Chapitre 32

Fleur est accrochée à mon bras quand nous rentrons dans la salle décorée pour l'occasion par des guirlandes en papier de fantômes, des fausses toiles d'araignées et des citrouilles en tissu remplies de bonbons.

Face à nous dans la cantine transformée, une estrade a été dressée pour faire office de scène où l'animateur musical de la nuit s'agite sur sa platine. Le son n'est pas trop fort et je reconnais rapidement un tube pop du moment qui passe régulièrement à la radio. J'émets une grimace en pensant que ce sera certainement une ambiance à mille lieues de mes goûts. J'aurais préféré écouter du Rock ou du Metal, mais cela ne plairait pas à tout le monde.

Heureusement, le cocktail de Fleur me fait planer en toute légèreté. Les angoisses que j'ai développées toute la journée ont disparu et le sourire que me rend ma copine lorsque je la regarde me donne du baume au cœur. Je connais cet état euphorique dans lequel nous nous trouvons et je me doute de ce qu'elle a pu mélanger à l'alcool de son flacon. Je ne lui en veux pas, c'est exactement ce dont j'avais besoin.

— J'ai la tête qui tourne, je vais bouffer un truc !

— T'es déjà bourré ? me questionne-t-elle en arquant un sourcil.

Je ne prends pas le temps de lui répondre ni d'observer autour de moi qui est arrivé. Dans les minutes qui vont suivre, je vais devoir rester attentif au moindre détail et user de la plus grande prudence avec tous ceux qui m'entourent. Mais je suis incapable de garder l'esprit clair et de réfléchir le ventre vide. Je suis à jeun depuis la veille au soir et avant toute chose, je choisis de me précipiter vers la longue table recouverte d'une nappe noire où est dressé le buffet. Tout le rayon de snacks et de bonbons exposé sous mes yeux et réparti proprement dans des assiettes en carton à l'effigie d'Halloween m'ouvre l'appétit.

J'ai tellement la dalle que je me goinfre de chips et de gâteaux apéro sous l'œil amusé de Fleur qui n'en revient pas de me voir ingurgiter autant de nourriture.

— Tu devrais bouffer un truc, je lui conseille. Ta fiole va nous faire perdre la tête !

— Je préfère ne pas être trop lucide quand je vais le croiser...

— Je serai là, OK ?

Elle hausse les épaules, hermétique à mon assurance, tandis que je balaie du regard la salle à la recherche de Maxence. Le self est assez lugubre, simplement éclairé par des lampes tamisées et quelques spots multicolores. Des lycéens dansent sur la piste, mais pas de trace de mon coéquipier, je reconnais seulement Benjamin et Leila qui s'avancent vers moi. Je constate qu'ils ne se sont pas vraiment foulés pour se costumer : Benji a enfilé une cape noire et ressemble de loin à un vampire alors que Leila, en robe marron, s'est bêtement dessiné une toile d'araignée sur le visage.

Devil a donné le ton du bal et ce n'est pas un synonyme de fête qui s'apprête à se dérouler. Comme si nous formions tous les quatre un clan, nous nous mettons à l'écart, pas trop loin du buffet, que je ne veux pas quitter, pour échanger sur nos projets pour la nuit qui s'annonce.

— T'as un plan ? me questionne Benjamin calmement.

— Pas vraiment...

J'appuie mon dos contre le mur pour jeter un coup d'œil autour de moi et finis d'avaler lentement la bouchée de Monster Munch en réfléchissant aux erreurs que je ne devrais surtout pas commettre. Je frissonne à l'idée que cette nuit pourrait être la dernière, alors j'attire délicatement ma cavalière contre moi avant de m'adresser à mes amis :

— On va se jurer de ne pas se séparer ce soir ! On reste toujours deux par deux.

J'apprécie que Fleur me laisse l'enlacer et, en saisissant ses deux mains, je réalise qu'elle a posé son masque sur la table au milieu des boissons. Je suis content qu'elle ne s'encombre pas avec.

De plus en plus de lycéens s'aventurent sur la piste de danse et le DJ augmente le volume des baffles qui crachent désormais un mauvais Rap. À cause des costumes et des maquillages, je ne distingue pas tout le monde. J'arrive tout de même à repérer Apollon et mon équipe de rugby qui ont tous revêtu le même costume. Ils forment une belle meute de loup-garous. Au milieu d'eux, Maxence roule des mécaniques.

— Il y a deux endroits que j'aimerais aller explorer ! lancé-je à Benjamin.

Les deux mains dans un saladier de bonbons acidulés à la recherche de ses friandises préférées, il me demande sur un ton détaché :

— Lesquels ?

De mon côté, je ne quitte pas des yeux les allées et venues dans la pièce et j'observe notre CPE qui s'avance, vêtu de son éternel costume noir. Il ne porte pas de déguisement ni de fioriture et il me semble, à sa façon de se déplacer, qu'il est un peu tendu. Il se dirige vers un groupe d'adultes que je n'avais pas encore vus dans l'obscurité. Son allure précipitée me confirme qu'il est véritablement contrarié et nerveux. Il indique la sortie par des gestes saccadés et j'en profite pour déclarer à Benjamin :

— En premier lieu, le bureau du CPE, puis « la morgue » !

Puisque Sidoine a l'air particulièrement absorbé par un imprévu, c'est le moment d'aller découvrir ce qu'il nous cache.

— Je te suis ! approuve Benji, inquiet.

— Allons-y tant qu'il est occupé !

Avant de me perdre dans les couloirs obscurs du lycée, je jette un ultime coup d'œil dans la salle pour faire un point sur les invités de Devil. Alice, en superbe Cruella sexy, vient de rejoindre l'équipe de rugbymen et se dandine contre Apollon tandis que son regard, noirci par un trait trop épais d'eye-liner, cherche discrètement sa petite amie encore absente. Le capitaine la saisit par le bras pour lui signifier qu'elle lui appartient, puis il se tourne vers Maxence et s'enfile une rasade de la bouteille qu'il avait planquée dans son accoutrement trop ample.

Maëlle et Romane s'éclatent toutes les deux de l'autre côté de la piste de danse sans se soucier des adolescents qui les entourent. J'ai du mal à décrire à leurs costumes. Elles sont comme la plupart des filles du bal très maquillées, en robe noire et talons. Les deux jeunes lycéennes ont fraternisé et j'en suis assez surpris. Pour des raisons bien différentes, elles sont toutes les deux mises de côté par les gens de ma classe. L'une pour sa malformation physique, l'autre pour s'être affichée sous toutes les coutures sur internet.

Ken, égal à lui-même, sans déguisement, vient d'entrer dans le self et je sens directement son regard mauvais me chercher. Je l'ignore rapidement en découvrant Clémence et Gabriel qui arrivent derrière lui en titubant. Gabriel, dans son costume d'Harry Potter, dépasse mon ancienne sex-friend d'une bonne tête. Il tient cette dernière, qui lui a emprunté ses lunettes rondes, par le cou. Ensemble, ils font quelques pas de danse en traversant la piste.

Les douze sont à la fois réunis et tous dispersés dans la même pièce. Plusieurs camps se sont formés et je trouve cela positif. J'en déduis que personne ne souhaite s'isoler pour l'instant.

— OK, c'est parti, lancé-je à mes trois amis.

Fleur s'accroche désespérément à moi pour sortir, d'autant plus que nous devons passer à proximité de Maxence. Je fonce vers lui en le regardant droit dans les yeux, mais il ne prête aucune attention à notre petit groupe qui se dirige vers le bureau du CPE. Je m'arrête dans le couloir pour suggérer aux filles d'aller faire le guet, puis je me tourne vers Benji et indique :

— Nous, on part à l'assaut du bureau ! Vous envoyez un SMS pour nous prévenir si quelqu'un arrive. Est-ce que cela vous va ?

— Bonne idée, accepte Benjamin.

Les lycéennes entrent toutes les deux dans une classe pour surveiller depuis l'embrasure de la porte. Je m'apprête à m'engager à nouveau vers la destination que j'ai prise quand une voix que je connais m'interpelle au fond du couloir :

— Paul ! Paul ! Attends !!!

Maëlle, perchée sur ses talons, se précipite dans notre direction.

Une angoisse me saisit et je lui crie aussitôt :

— Qu'est-ce qu'il se passe, bordel ?

L'anxiété qui m'attaque monte d'un cran et mon premier réflexe est de vérifier l'heure sur mon portable : il est à peine vingt-deux heures. Maëlle est essoufflée d'avoir couru vers nous, avec son index, elle essuie sous ses yeux son maquillage qui a un peu coulé. Elle reprend sa respiration, puis tire sur le bas de sa robe noire qui s'est légèrement retroussé.

— Quoi, Maëlle ? demande à son tour Benjamin qui est dans le même état que moi.

Nous n'en pouvons plus d'attendre ce qu'elle va dire...

— C'est Tom ! Il est en train de gerber, aux chiottes, tu devrais aller voir !

J'écarquille les yeux, surpris par son annonce et soupire pour évacuer ma colère avant de lâcher :

— Qu'est-ce qu'il a foutu, putain ? OK, j'arrive.

Je pivote vers Benjamin qui hausse les épaules et me propose en grimaçant :

— Vas-y, Paul. On t'attend ici !

Avant de lui tourner le dos, j'ordonne à Benjamin :

— OK, vous séparez pas !

Je me précipite dans le couloir, à la suite de Maëlle qui a les bras croisés et marche d'un pas rapide et assuré. Je finis par la rattraper et me place à sa hauteur. Nous bifurquons pour traverser le hall qui jouxte les toilettes. D'un coup, toutes les lampes se mettent à clignoter, cela n'est pas du tout réconfortant. Inquiet, j'interroge l'adolescente :

— Qu'est-ce qu'il se passe avec la lumière ?

Comme si cette dernière pouvait y remédier... Je trouve ma question soudain absurde, mais le comportement de Maëlle qui ne me décroche pas un mot, commence à me préoccuper. Elle a les bras croisés sur sa poitrine et son visage est fermé, sans expression, presque glacial. Les couloirs sont lugubres et l'ambiance est de plus en plus glauque.

— Où est Tom ?

Une fois arrivée à destination, je la bouscule pour entrer dans les sanitaires à la recherche de mon frère. L'odeur des chiottes de mecs est toujours dégueulasse. Ça pue l'urine et ça me donne à nouveau la nausée. J'espère bien ne pas le trouver la tête dans une des cuvettes...

— Tom ? Tom ?

J'ouvre chaque porte pour visiter les cabines, mais elles sont toutes vides, pas de trace de Tom.

— Maëlle, où est mon frère ?

Alors que je me tourne vers la jeune fille pour l'interroger, je me rends compte que celle-ci a disparu...

Dans le couloir qui s'allume et qui s'éteint à intervalles réguliers, j'appuie mon front contre le mur. Une sensation de chaleur remonte le long de ma colonne vertébrale et me fait perdre toutes mes capacités à réfléchir. Mon rythme cardiaque s'accélère, j'ai des picotements dans les mains. Je sens le danger imminent, mais je ne vois pas d'où il arrive. Bordel, je dois recouvrer mes esprits et envoyer un SMS à mon frère pour tirer cette affaire au clair.

Moi : T'es où ?

J'essaie par tous les moyens de me rassurer : Tom va certainement très bien, je vais bien et je ne dois pas rester seul. Mon frère n'est pas malade et ne va pas mourir. Personne ne va crever ce soir...

Je parviens lentement à m'extirper du couloir sans quitter des yeux mon téléphone en attendant une réponse qui ne met pas longtemps à arriver.

Tom : Dans le self, pourquoi ?

Moi : Pour rien

Je suis totalement rassuré de savoir mon frère avec tous les autres lycéens. Mais je me demande pourquoi Maëlle m'a raconté cette salade ? C'est quoi ce plan qu'elle me fait ? M'a-t-elle tendu un piège ? Voulait-elle me séparer de mes amis ?

Je m'étire pour tenter de détendre tout mon corps, puis je fais craquer mes doigts en marchant. Je n'entends pas un bruit, si ce n'est la musique qui provient du self et le claquement de mes dix phalanges.

Rapidement, je retrouve Benji qui piste depuis l'embrasure de la salle de cours.

— On y go, Benji ! Pas de temps à perdre...

Je lui fais signe de se dépêcher, poussé par l'adrénaline qui m'envahit.

— Et ton frère ? s'inquiète-t-il avant de bouger.

— Il va bien !

Les têtes de Fleur et de Leila passent la porte pour nous observer entrer dans le bureau du fond du couloir qui n'est jamais fermé à clef.

— Si on allume la lumière, ça se verra depuis cantine...

— Je m'en doute, réplique gentiment Benjamin. On cherche quoi, en fait ?

— Aucune idée...

Plantés au milieu de la pièce, nous ne savons pas par où commencer. Les faisceaux blancs de nos smartphones font l'état des lieux. Les murs sont recouverts d'étagères pleines de dossiers, alors que le bureau n'est garni que d'un porte-plume et d'une trousse.

Benjamin essaie d'en ouvrir les tiroirs, mais en vain. Tout est verrouillé. J'attrape un ciseau pour forcer, mais en grands amateurs, nous n'arrivons à rien si ce n'est griffer le bois laqué.

— Laisse tomber, on pourra pas !

— À moins de tout péter, je suis d'accord avec toi !

En voulant me diriger vers la sortie, je shoote dans la poubelle que je renverse maladroitement. Je pointe la torche de mon portable pour en éclairer le contenu : un amas de papiers déchirés que je tente de rassembler pour les déchiffrer.

— Attends, regarde ! m'interpelle Benjamin en me tapotant le dos.

— Quoi ?

— Un truc bizarre : je viens de tomber sur mon fichier, posé ici.

Il m'indique du doigt les étagères du mur.

— Et ?

— Bah, juste à côté du mien, il y a le tien et comme par hasard, tous à la suite, les dossiers de tous les invités de Devil !

— T'es sûr ?

Je laisse de côté les déchets pour me relever et vérifier ce que Benjamin me détaille.

— Putain !

Benjamin attrape son fichier pour l'ouvrir et je fais de même avec le mien, mais nous sommes interrompus par les bruits de pas dans le couloir. Nous nous immobilisons aussitôt. Quelqu'un se dirige vers nous en courant.

— Vite, le CPE arrive, nous lance Leila, paniquée.

— Pourquoi t'as pas envoyé un message comme c'était prévu ?

— J'ai pas de réseau ! Et Fleur, non plus !

— Merde !

Nous remettons les dossiers en place et nous dégageons rapidement du bureau par un couloir adjacent pour ne pas prendre le risque de croiser notre proviseur.

— Attends, Paul ! me retient Leila.

— Non, on y va ! On se magne le cul sinon il va nous voir !

— Mais Fleur... elle est encore dans la classe.

— Merde, Leila ! On avait dit qu'on restait toujours par deux !

La lumière du couloir s'allume et nous nous précipitons dans la cage d'escalier pour observer qui s'approche. Je suis à plat ventre et seules ma tête et celle de Benjamin dépassent du mur qui nous cache. Je reconnais de loin notre CPE qui s'arrête au niveau de l'alarme à incendie. D'un coup-de-poing, il en fracasse la vitre et appuie violemment sur l'interrupteur. Aussitôt, la sirène se déclenche...

— Il est minuit, souffle Leila.

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