Chapitre 3
Je suis dans un premier temps surpris que l'expéditeur du message soit un numéro secret. Aucun de mes contacts ne m'écrit en mode inconnu. La photo que j'ai sous les yeux fait référence à la soirée que ma classe organise puisqu'elle indique « Happy Halloween ! » dans la même typographie que les affiches du lycée...
En parcourant ce message, je mords l'intérieur de ma lèvre et jette un coup d'œil autour de moi. À mon grand désespoir, je suis seul, les abords du lycée sont déserts, il n'y a pas âme qui vive sous cette pluie qui continue de tomber. Personne ne semble m'épier pour m'annoncer que c'est une blague. Je me penche à nouveau sur mon téléphone pour relire le SMS en détaillant chaque mot, mais en toute franchise, je ne comprends pas très bien ce que cette carte signifie. Elle ne devrait pas encore être expédiée puisque c'est ma classe qui travaille sur ce projet. D'ailleurs, la soirée est prévue pour dans six semaines et je trouve que c'est beaucoup trop tôt pour transmettre des invitations. J'oublie rapidement ce message qui est probablement une farce de mauvais goût et relance Lordi un peu plus fort dans mes écouteurs quand le bus arrive enfin.
En entrant dans l'immense baraque ancienne, je sens que c'est le bordel. Mon vieux est déjà au courant de l'entretien avec le CPE, je suis persuadé que cette balance de Tom s'est empressée de lui raconter mes exploits. Assis au milieu du foutoir de son large bureau, il m'attend de pied ferme, la porte grande ouverte. Ses cheveux blonds attachés en queue de cheval, je le découvre les traits crispés, ses yeux bleus injectés de sang. L'ancien militaire se laisse de plus en plus aller, il traîne le même jean pendant des jours et ne se rase plus. Il me dévisage d'un air mauvais en tirant sur sa cigarette.
— Paul, c'est quoi ces histoires au lycée ? hurle-t-il en tapant son poing sur un meuble.
Le bruit résonne dans toute la maison et fait trembler les murs. Son fauteuil à roulettes grince et recule.
— Rien !
D'un geste de la main, je tente de couper court à la conversation et entreprends de m'échapper à l'étage. J'ai eu ma dose aujourd'hui avec l'autre con de conseiller, je n'ai pas envie de me prendre la tête avec mon patriarche maintenant. Je suis crevé, car je dors mal en ce moment, à cela s'ajoutent les deux heures de rugby de ce matin. J'ai juste l'intention de me jeter sur mon lit et ne pas supporter ses reproches habituels.
Tandis que je suis arrêté sur la quatrième marche de l'escalier en pierre, mon vieux s'est levé pour se précipiter à ma rencontre. Pour ne pas tomber, il se tient à la poignée de la grande porte vitrée qui donne sur le jardin et commence à gueuler en pointant son index vers moi :
— Tu me regardes quand je te parle ! J'en ai plein le cul de tes conneries !
Au ton de sa voix rauque et de ses paroles hachurées, j'en déduis qu'il n'a pas dû aller bosser de la journée. J'ai la certitude qu'il est défoncé. C'est la période de la cueillette, il doit être en train de faire sécher ses plants de cannabis et a dû tester sa production.
— Il a embrassé le CPE, il a cru que c'était son pote ! lance Tom.
Il vient d'apparaître en boxer sur la balustrade du palier pour rapporter une fois de plus, comme un gamin de primaire alors qu'il a presque quinze ans. Ses yeux noirs pétillent de malice et sa tête de petit con affiche un grand sourire dans ma direction, tandis qu'il glisse son majeur sous son nez. Quel enfoiré, celui-là ! Je n'ai jamais vu une pipelette pareille. Tout ça parce que je n'ai pas voulu l'emmener avec moi samedi soir quand je suis sorti avec mes amis. Il m'avait promis de se venger...
En le désignant du poing, je lui réplique aussitôt :
— Ta gueule, merdeux !
— Tom, va dans ta chambre, c'est pas tes affaires ! lui ordonne mon père.
La tête brune disparaît immédiatement. J'en profite pour monter quatre ou cinq marches de plus et tenter de me faire oublier en esquivant rapidement l'engueulade qui se profile.
— Paul, tu restes ici quand je m'adresse à toi ! hurle mon vieux, en s'entravant dans une paire de chaussures qui traîne dans l'entrée.
J'imagine qu'il n'a pas que fumé. Une fois de plus, il est complètement bourré.
— Tu me parleras quand tu seras clean et c'est pas demain la veille !
Fin de la discussion ! Je pars m'enfermer dans ma chambre, balance mes Converse au pied de mon lit défait, sur lequel je me laisse tomber, mon sac encore sur le dos. J'ai un peu peur que mon père ne monte chercher le conflit et j'attends quelques minutes ainsi, à fixer mon surf accroché au mur au-dessus de ma tête. Il est loin le temps où je prenais plaisir à affronter l'océan, seul avec mon paternel... La frise collée au niveau du plafond est en train de s'arracher. Elle pend dans un angle, à hauteur de ma grande armoire vitrée. Je projette de la retirer ce week-end, de toute façon, je n'aimais plus les losanges pastel choisis pour mes douze ans.
Finalement, rien ne se passe, il est trop ivre et a décidé d'abandonner la partie pour cette fois. Je suis soulagé et me résous à ouvrir mon sac et sortir mon agenda sur lequel j'ai dessiné une tête de mort avec des yeux bridés sur la couverture noire.
Pour demain, j'ai noté une tonne de devoirs, en particulier un DM de maths à rendre. J'essaie de m'y mettre, mais je suis très vite distrait en constatant que Fleur est connectée sur Messenger. C'est mon crush du moment. En vérité, ce moment dure depuis longtemps puisqu'elle ne m'a jamais cédé, même pas un petit bisou inoffensif de rien du tout. Je l'aime bien cette fille, un mystère pour moi : elle est belle et se croit moche. Toujours à contre-courant, jamais fashion, pourtant elle pense se fondre dans la masse sans qu'on la remarque. Moi, je ne vois qu'elle.
Benjamin me tire de mes rêveries en m'envoyant un message et m'empêche de tenter une connexion avec elle.
Benji : Alors ton rdv en tête-à-tête ? T'as pécho ou pas ?
Il a de l'humour cet enfoiré, cependant ce soir, je n'ai pas le cœur à rire. Tout me tombe sur la tête et je suis à bout. Je saisis pertinemment à qui il fait référence, mais je n'ai pas envie de rentrer dans son jeu.
Paul : De quoi tu parles ?
Benji : Le CPE !
Paul : Parfait ! Je lui ai dit de se retourner et il m'a obéi !
Je sais qu'il n'a pas mis longtemps à comprendre l'allusion, pourtant il ne me répond pas de suite. Je lui ai fermé sa grande bouche, il va peut-être enfin me foutre la paix. Je regarde mon agenda pour retrouver les numéros des exercices de maths à préparer quand mon pote se manifeste à nouveau.
Benji : Prends pas tes rêves pour la réalité !
Oh, l'enfoiré ! Je le connais bien et je sais qu'il ne va pas me lâcher aussi facilement !
Paul : TG
Benji : Sérieux, il t'a dit quoi ?
Paul : Collé mardi !
Benji : C'est tout ?
Paul : Ouais !
Je songe à ce foutu rendez-vous avec ce connard et son allusion aux services sociaux. La colère m'envahit à nouveau, je jette mon agenda contre le mur de ma chambre. Celui-ci s'écrase sur le sol, ouvert en éventail.
Je passe une nuit agitée. J'ai systématiquement du mal à m'endormir, parce que ma dernière pensée est toujours pour ma mère. Je me demande chaque soir si ce qui est arrivé a vraiment eu lieu, si elle est véritablement morte. C'est tellement incompréhensible que je ne peux pas admettre qu'elle ait pu mettre fin à ses jours. Et quand je réalise que tout ceci est bel et bien ma vie, je suis submergé et je pleure. Pourtant, je serre les dents et j'essaie de songer à autre chose, mais le chagrin est une émotion que je ne contrôle pas. Je pense à mes petits frères qui ont besoin d'elle et ça me rend triste, comme si le ciel était privé de ses étoiles. Je revois ses yeux bridés débordant d'affection, son teint pâle, sa peau douce et parfumée qui embaume le cœur lorsqu'elle m'étreignait contre elle. Chaque nuit, je m'endors avec le souvenir de son rire aigu et de sa voix autoritaire qui savait se faire entendre.
Quand, en fin de compte, je finis par atteindre la phase de sommeil profond, les pas de Tom dans le couloir, qui part prendre sa douche, me réveillent. Bordel, de merde ! Deux heures que je tourne dans mon lit et l'autre con, qui a traîné sur internet jusqu'à minuit, se décide à se laver au moment même où je roupille enfin !
Une fois qu'il a terminé, je n'arrive pas à me rendormir, alors je me connecte sur les réseaux, jusqu'à deux heures, trois heures, quatre heures...
Peu à peu, le sommeil m'envahit, mes paupières deviennent lourdes, impossible de lutter, je sombre.
— Paul ! murmure une voix douce que je connais bien. Paul ! Paul !
— Arrête, maman ! Tu vas réveiller Tom et ça va être le bazar !
— Paul ?
— Laisse-moi, va-t'en !
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