Chapitre 29

Incapable d'aligner deux mots cohérents, Leila sanglote comme une âme en peine. Je déteste observer les gens pleurer, cela me retourne toujours les tripes et me fend le cœur. Je me sens impuissant face au chagrin, aucune parole ne me vient à l'esprit pour consoler mon amie. Pourtant, j'ai beaucoup de tristesse de la découvrir dans cet état. J'aimerais qu'elle arrive à se confier à moi et qu'elle me dévoile la cause de son désespoir.

À ma gorgée serrée par les larmes que je retiens, s'ajoute mon envie de vomir qui grandit au fil du trajet. Je ne veux pas gerber, j'ai le ventre vide et ce serait vraiment douloureux, je suis dans une situation inconfortable. Appuyée contre mon épaule, les cheveux ébène de Leila envahissent mon visage pendant que mon sweat devient humide à cause des larmes intarissables qui défilent sur ses joues. Ses yeux rougis et brillants restent rivés sur le siège en velours de devant tandis qu'elle ne cesse d'essuyer mécaniquement son petit nez retroussé. Lorsque nous arrivons enfin à proximité du lycée, Leila se lève et cherche son paquet de Kleenex au fond de sa poche. Je profite de son inattention pour indiquer à Benjamin par un signe de la main qu'elle ne va pas bien. Un peu gêné, il nous attend à la sortie du bus.

Nous nous dirigeons tous les trois vers notre salle de physique, matière avec laquelle nous allons débuter la journée. Au moment d'entrer dans le laboratoire du sous-sol, suivi de mes deux amis, je bifurque vers la pièce d'à côté et pousse la porte de « la morgue ». Je n'ai pas remis les pieds dans cet endroit depuis mes ébats avec Clémence. L'éclairage n'a pas encore été réparé et l'odeur de remontée d'égouts est toujours aussi prenante. Je relève le col de mon sweat sur la moitié de mon visage pour ne pas sentir le parfum répugnant, de peur de vomir sur le champ.

De ma main libre, je cherche mon portable pour allumer la torche qui y est intégrée. Benjamin fait de même et nous choisissons de nous asseoir sur les vieux tabourets hauts les plus éloignés de l'entrée, pour entamer notre conversation. Nous avons un bon quart d'heure d'avance avant que le cours ne commence et ici, personne ne devrait nous déranger.

Leila a rentré ses mains dans les manches de son pull trop grand. Ses yeux noirs ont cessé de pleurer, mais ils brillent beaucoup dans le jet de lumière puissant que je viens de poser sur le pupitre. Benjamin fixe le squelette décharné qui trône au fond de la pièce alors que moi, je demeure impressionné par le point rouge qui clignote au plafond. Malgré mon sweat remonté sur ma bouche et mon nez, l'odeur de pourriture m'inconforte et j'ai de nouveau les tripes qui se tordent en imaginant un animal en décomposition, coincé dans la VMC. Cette salle est vraiment morbide.

Mes deux amis restant silencieux et mal à l'aise, je décide sans hésiter de me jeter à l'eau pour ouvrir la discussion :

— Nous allons nous parler franchement !

— Ok, approuve aussitôt Benjamin, accompagnant ses paroles d'un signe de tête.

De son côté, Leila ne lâche pas un mot et se recroqueville sur elle-même. Pour lui prouver qu'elle peut me faire confiance, je lui dévoile ce que j'ai sur le cœur.

— Chez moi, c'est la merde ! J'ai l'impression que ma maison est hantée, que le fantôme de ma mère erre chaque nuit derrière la porte de ma chambre. Je n'arrive pas à surmonter ma peine, à prendre soin de mes petits frères. Je perds parfois la tête. Je crois que je deviens fou ! Devil sait tout ça ! Il y fait allusion sur mon invitation. Mais je vous jure que je n'ai nullement l'intention de me sacrifier ce soir et je ne veux en aucun cas que l'un d'entre vous le fasse, ni personne d'autre, d'ailleurs... Je connais maintenant le nom et les motifs des douze lycéens ! Sauf le tien, Leila !

— Je connais également les motifs de tout le monde, sauf celui de Leila ! dit Benjamin en se tournant vers la brune tétanisée.

Elle ne bronche pas alors mon meilleur ami décide de poursuivre :

— Je n'ai pas non plus envie de me détruire. Je me pose énormément de questions sur mes origines. Je ne sais pas vraiment où j'en suis dans ma tête. J'ai parfois l'impression d'être un étranger chez moi et au lycée, mais je consulte une psy...

Sa dernière révélation m'interpelle. Je repense aussitôt à celle que mon frère rencontre régulièrement, ainsi qu'à Maëlle que j'ai croisée un jour dans la salle d'attente. Je baisse le col de mon sweat pour demander :

— Depuis longtemps ?

— La rentrée à peu près, me répond Benjamin en plissant les yeux pour réfléchir.

Nous nous dévisageons quelques instants, persuadés d'avoir mis la main sur un potentiel indice, alors je précise à mes amis que la mère de Maëlle est psy.

— Vraiment ? interroge Benjamin, de plus en plus intrigué par la tournure que prend notre conversation.

— Oui !

— Ça, c'est une piste intéressante !

Benjamin tapote nerveusement ses doigts sur le plan de travail tandis que je me mords l'intérieur de la lèvre, concentré sur la probabilité que la psy ou Maëlle soient Devil. Le simple fait que cette dernière ait été persécutée enfant, et même adolescente est un mobile à ne pas négliger... Un peu tremblante, Leila reste prostrée en avant, à fixer le faisceau lumineux qui sort de mon téléphone, comme tétanisée par nos soupçons ou pire, comme si soudain, la réalité la rattrapait...

— J'ai reçu cette putain d'invitation dont tout le monde parle, il y a une semaine ! nous avoue enfin Leila, en hoquetant.

Entendre mon amie s'ouvrir me soulage, même si je redoute vraiment ce qu'elle va me dire. Pour lui donner du courage, je pose ma main dans son dos en attendant qu'elle s'exprime à nouveau, mais Benjamin intervient :

— Si tu ne veux pas nous dire, peut-être pourrais-tu simplement nous montrer le texto de Devil ?

Leila hésite un moment. Benjamin et moi restons pendus aux lèvres de notre amie pendant que, dans le couloir, les lycéens chahutent avant le début des cours.

— D'accord, marmonne-t-elle enfin, en posant devant elle son téléphone portable.

Rapidement, elle trouve le message démoniaque. Benjamin et moi approchons ensemble nos têtes pour mieux lire, tandis que Leila se cache les yeux avec les mains.

Finalement, j'avais raison pour Leila. Son motif est bel et bien lié à Maxence, cependant, je n'en comprends pas toute la signification. Bien que très impatient de découvrir ce qu'elle nous dissimule, je la questionne calmement :

— Tu peux nous expliquer ?

Toujours cachée par les manches de son grand pull qu'elle maintient sur son visage, elle marmonne :

— J'ai tellement honte. Personne ne devait savoir.

Mon amie est encore une fois assaillie de sanglots qu'elle essaie de maîtriser en soupirant, puis elle renifle avant de tenter de nous raconter :

— Je suis sortie avec Maxence quand il a quitté Fleur. Cela faisait des semaines qu'il me tournait autour. Aujourd'hui, j'ai compris qu'il agit ainsi avec toutes les filles...

Leila s'arrête à nouveau, retire ses mains de sa figure pour se moucher et reprend en déchiquetant du bout des doigts son Kleenex avec nervosité :

— Nous sommes sortis ensemble, un mois. Je n'avais rien à lui reprocher, il était respectueux et vraiment adorable. J'avais confiance en lui et je suis tombée amoureuse. Je lui ai dit que la chasteté était une chose sacrée et que pour moi qui suis musulmane, croyante et pratiquante, je n'offrirai ma virginité qu'à mon époux...

À ce moment du récit de Leila, j'imagine le pire et je demande avec une anxiété dans la voix :

— Il t'a violé ?

— Non !!!

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