Chapitre 25

Étendue sur son lit, ses longs cheveux blonds ébouriffés et emmêlés, Fleur ne dort pas. Ses lunettes sur le bout du nez, la lycéenne studieuse est concentrée sur ses cahiers et ses livres de cours qu'elle a répandus partout autour d'elle. En fond, la musique de Lordi va de pair avec le large T-shirt terne à l'effigie du groupe qu'elle porte. Il règne, dans la pièce aux volets fermés et à la lumière rouge tamisée, une ambiance démoniaque. Tandis qu'elle m'interroge silencieusement, je lis sur son visage du dégoût et de la haine. Sans oser m'avancer davantage, je lui souris bêtement et tente un salut. En guise de réponse, elle me reproche aussitôt sur un ton glacial :

— Je t'avais dit de ne pas venir !

Son regard me foudroie et ses yeux habituellement bleu clair m'apparaissent rouges et injectés de sang. Sa bouche si douce semble désormais affamée et affiche un rictus mauvais. Soudain, son visage pâle et angélique m'effraie. Angoissé par la jeune fille que j'ai devant moi, je me demande si cette vision diabolique est une hallucination ou s'il s'agit de la face cachée de Fleur. J'ai la chair de poule et je frissonne dans la chambre lugubre où les basses de la musique agressive rythment les battements de mon cœur.

— Je vais ouvrir les volets ! J'étouffe ! avoué-je en me dirigeant vers la fenêtre.

Mais en faisant un pas dans la pièce, une odeur me prend à la gorge, comme si quelqu'un m'avait sauté dessus pour m'étrangler. Je me sens de plus en plus paralysé et ma respiration est bloquée. Un bâtonnet d'encens posé sur le bureau toujours pas rangé, à côté du masque noir, répand un filet de fumée aromatisée. Fleur cumule tous les signes d'adoration pour le diable, j'ai l'impression qu'elle lui voue un culte.

Entre l'ambiance démoniaque dans la chambre de fleur et l'assaut de Maxence que j'ai pris pour un spectre, je deviens complètement paranoïaque et fébrile. Devil s'accapare petit à petit de mon bon sens et de mon esprit. Je refuse de le laisser gagner si facilement, je dois me ressaisir.

Je finis par sauter sur la poignée de la fenêtre que j'ouvre en grand, repoussant fort les volets pour les faire claquer contre le mur en pierre. Le bruit résonne et j'expire enfin. Lorsque je me retourne, la lycéenne a repris son aspect de jeune fille douce et délicate. Finalement, je réussis à articuler en grimaçant légèrement à cause des points qui me cisaillent le coin de la bouche :

— Dans ce cas, réponds à mes messages !

— Quels messages ? m'interroge-t-elle en vérifiant son smartphone.

— Ceux que je t'ai envoyés !

— Mon téléphone est déchargé ! La batterie est morte !

Elle hausse les épaules et replonge dans son livre. Je laisse la pièce jouir du rayon de soleil qui irradie l'adolescente. J'en profite pour la contempler dans son T-shirt noir et m'étonne encore sur cette fille que j'aurais pu surnommer Barbie avant de rentrer dans sa chambre. Ses jambes sont recouvertes par une couette épaisse avec le logo du métro londonien.

— Comment tu te sens aujourd'hui ?

— Ça va ! répond-elle sûre d'elle en détaillant les plaies de mon visage. Par contre, toi...

— Mauvais coups, hier à l'entraînement !

Je m'interroge sur ce que je peux lui dévoiler au sujet de l'affrontement et comment elle interprétera cette bagarre où je ne suis même pas en mesure de me vanter d'être sorti vainqueur.

— Tu peux fermer la fenêtre, j'ai froid, me demande-t-elle. Maxence t'a pas loupé !

— Comment tu sais ?

Je lui tourne le dos en saisissant les deux battants vitrés que je verrouille. J'évite de regarder ce putain de masque noir qui me fout les jetons avant de venir m'asseoir sur le lit à côté de Fleur.

— Tout se sait !

— Il a pris cher, aussi ! me vanté-je fièrement.

Mais à ces mots, la jolie blonde baisse la tête pour contempler ses doigts. Elle reste muette en jouant avec ses ongles. Je suis mal à l'aise. J'ai certainement dû la blesser et le regrette. Des voix se font entendre dans la pièce d'à côté et cela malgré la musique qui se dégage dans la chambre. Fleur s'empare d'une télécommande pour couper le son.

— C'est reparti ! finit-elle par lâcher en soufflant.

— C'est tes parents ?

— Non, ils ne sont pas là ! C'est Alice et Apollon !

Ce dernier parle fort maintenant. Je ne saisis pas toute la conversation, mais je comprends qu'il fait des reproches à Alice sur je ne sais pas trop qui. Il me semble que celle-ci pleure. Cela me gêne de les entendre et il en est de même pour Fleur qui décide de remettre la musique un peu plus fort que tout à l'heure. J'ai soudain très envie de la serrer contre moi, pour lui dire que tout ira bien, qu'elle ne doit pas avoir peur de demain ! Mon épaule est presque contre la sienne et je la sens apaisée, cela me rend heureux.

Durant quelques minutes, côte à côte, nous écoutons le refrain de notre chanson préférée. L'ambiance est moins électrique entre nous et je choisis cet instant pour enfin oser lui parler des sentiments qu'elle éprouve pour mon coéquipier. Je ne suis pas certain que ce soit le bon moment, mais j'ai tellement besoin de savoir...

— Hier, pendant la bagarre, Maxence m'a dit que tu étais amoureuse de lui !

Je sens le corps de Fleur se tendre, je vois ses mains se crisper et gratter nerveusement la couette.

— Ne me parle plus jamais de lui ! Il n'existe plus ! Tout son être me blesse !

J'acquiesce et m'excuse aussitôt, regrettant ma curiosité. J'aurais mieux fait de tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant d'émettre un mot. Nous étions bien tous les deux et j'ai la sensation d'avoir gâché ce moment.

— Je ne plaisante pas Paul, ne prononce plus jamais son nom devant moi !

Je me sens oppressé par sa menace, car désormais, une multitude de questions m'envahissent sur leur véritable relation et ce que ressent Fleur à son égard. L'aime-t-elle toujours ou a-t-elle vraiment fait une croix sur lui ?

Notre conversation est malheureusement interrompue par une porte qui claque. Je comprends de suite que la dispute d'Alice et Apollon est en train de sérieusement s'envenimer. Je jette un coup d'œil vers Fleur qui hausse les épaules quand je décide d'aller découvrir ce qu'il se trame dans la pièce voisine. En me voyant bouger, Fleur fronce les sourcils et tente de me retenir en posant sa main sur mon avant-bras.

— Paul, je ne pense pas que tu devrais te mêler de ça !

— De quoi ?

Alice pousse un cri devant la porte de la chambre. Je bondis du lit pour ouvrir brusquement et les surprendre. Apollon est en train de menacer sa copine du poing. Je ne sais pas ce qu'il se passe entre eux, mais je ne les ai jamais vus ni l'un ni l'autre dans cet état. Je me tourne vers la jeune fille au regard embué par les pleurs et l'interroge :

— Alice, ça va ?

Apollon baisse aussitôt son poing et me répond à la place de sa copine sur un ton enragé :

— Ne te mêle pas de ça, Arand !

— Je ne me mêle de rien, je demande juste si ça va.

Je lève les mains en signe de paix pour lui indiquer que je ne lui veux rien de mal, surtout qu'il n'en vienne pas à coller une baigne à Alice qui me scrute avec des yeux de chiens battus. Mais mon capitaine est énervé et il s'adresse désormais à moi en pointant son index sur mon visage :

— Si, justement en ce moment, ton nom revient dans toutes les sales histoires !

— Écoute, Apollon, je te propose qu'on aille faire un tour, le temps que tu te calmes !

— Mais je suis hyper calme ! hurle-t-il.

Fleur apparaît dans l'embrasure de la porte, son T-shirt noir un peu court laisse entrevoir ses jambes aussi blanches que sa figure. Au moment où nos regards se croisent, je comprends qu'elle ne m'en veut plus de mon intrusion. Et même si au départ elle pensait que je n'aurais pas dû m'en mêler, je saisis que désormais elle m'approuve lorsqu'elle dit :

— Paul a raison ! Vous devriez arrêter de vous voiler la face ! Et si nous nous parlions tous franchement ?

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