Chapitre 23
Perché au-dessus de moi, m'écrasant de tout son poids, Maxence marque un temps d'arrêt avant de répondre. Il crache sur moi son haleine puante et coince mes deux bras sous ses genoux pour me tenir à sa merci. Je ne peux plus bouger mon torse, mais j'en profite pour fermer les yeux, respirer calmement et évacuer la douleur persistante de mon entre-jambes.
Je ne sais pas ce que j'attends de ce gars dans cette mésaventure, car en définitive nous en sommes au même point : deux pions dans un complot. Il n'empêche que je le hais et que je n'ai pour lui aucune pitié après ce qu'il a fait aux deux filles de la classe.
J'ouvre à nouveau les yeux pour observer le molosse blond aux cheveux en bataille qui renifle bruyamment. La symétrie de son nez a bougé, si cela se trouve, je le lui ai explosé. Il essuie régulièrement le sang qui coule avec sa manche. Après avoir raclé sa gorge et craché une glaire rouge à quelques mètres de nous, il finit par me demander :
— Pourquoi tu veux savoir ?
Il a été l'un des premiers à recevoir son invitation et je suis curieux d'en lire le motif. Je pensais que celui-ci se restreindrait à ses problèmes d'échange de photos avec Romane, mais depuis l'histoire de Fleur, le voilà mêlé à deux affaires sordides. Laquelle Devil a-t-il décidé de mettre en avant ?
— Tu n'as pas envie de savoir qui est Devil ? lui demandé-je calmement.
Ses yeux bleus me détaillent et essaient de comprendre où je souhaite en venir. Bien sûr qu'il veut connaître qui est à l'origine de ce complot, qui est ce personnage qui nous balance nos craintes, nos peurs et nos doutes, qui se réjouit de nous voir nous déchirer et qui cherche à pousser un ou plusieurs lycéens vers une issue morbide.
Finalement, j'ai visé dans le mille ! En suscitant sa curiosité, j'évite de nouveaux coups et je reprends le dessus. Nous avons réglé nos comptes, et en bons bagarreurs, nous savons passer à autre chose, en l'occurrence ici, à notre préoccupation commune. Maxence se détend et bascule sur le côté pour me libérer. Essoufflé, il s'assoit sur le trottoir et s'appuie contre le mur. Je respire beaucoup mieux depuis que je suis soulagé de son emprise. Je me hisse en rampant à côté de lui. J'ai mal partout, à la tête, mais aussi au ventre, et j'ai peut-être une ou deux côtes de fêlées.
— Je pense que je t'ai pété le nez, lui avoué-je en étirant mon cou vers l'arrière.
— T'as besoin de points à la lèvre !
Merde ! Je tente de bouger la bouche pour évaluer la gravité, cela me brûle et me tiraille. J'ai du sang sec sur les mains et en me passant les doigts sur le visage, je découvre que je suis enflé. Mon poing droit a doublé de volume.
— On est beaux ! dit Maxence en éclatant de rire.
— Tu m'as tué, enfoiré !
Je suis littéralement épuisé, vide... Je ferme les yeux quelques instants, pour reprendre ma respiration et me calmer. Garder la tête froide et trouver Devil représentent les vrais objectifs que je me suis fixés. Je dois à tout prix faire abstraction de Fleur, de Romane et des autres. Mon but ultime est d'éviter un drame, une issue tragique. Nous ne sommes pas passés loin avec Gabriel et je ne souhaite pas laisser à Devil l'opportunité de gagner du terrain dans ce jeu malsain.
Maxence est à côté de moi, il faut que j'arrive à en tirer parti !
— On fait quoi maintenant ? lance-t-il, me ramenant aux faits.
— Fais voir ta carte !
Je veux prendre connaissance de cette putain d'invitation et savoir ce que Devil lui a envoyé ! En attendant une réaction de mon adversaire, je m'essuie la figure à ma veste tachée et déchirée et réalise que si je rentre dans cet état, mon vieux me sautera dessus et ne va pas apprécier. Cela aggravera mon cas...
Je relis avec beaucoup d'attention le motif de mon coéquipier et essaie de me l'expliquer. La carte traite de Romane et de Fleur, mais je ne comprends pas le reste. Je me tourne vers Maxence pour l'interroger :
— C'est qui la troisième ?
— Quoi ?
— Devil parle de trois filles !
Il hausse les épaules et secoue négativement la tête. Rapidement, je saisis qu'il refuse de m'en dire davantage.
— Laisse tomber, Arand !
Tandis qu'il a piqué au vif ma curiosité, il m'arrache son portable des mains et l'enfourne dans sa poche. J'ai besoin de savoir, de connaître cette troisième fille. Elle fait probablement partie des douze. La voix chargée d'inquiétude, je le questionne :
— Bordel, Maxence, avec qui tu as encore déconné ?
Pendant que j'imagine tout un tas d'histoire à son sujet, mon collègue rugbyman reste silencieux. Que me cache-t-il ? Qu'a-t-il pu faire qu'il refuse d'assumer ? Qu'y a-t-il de pire que mettre enceinte une meuf, ou partager l'intimité d'une autre avec tout un lycée ?
— On bouge ! m'ordonne-t-il en se levant avec difficulté.
Je le dévisage pour tenter de percer le mystère qu'il garde pour lui et constate à nouveau que son visage est mal en point. Je pointe mon doigt dans sa direction et lui lâche :
— T'as besoin de voir un docteur pour ton nez !
— T'es pas mieux, tu dois te faire recoudre ! Appelle Alice, elle pourra demander à sa mère de nous examiner !
L'idée n'est pas mauvaise, la mère d'Alice est le médecin généraliste du village, elle pourrait peut-être nous faire la faveur de nous recevoir à cette heure-ci. Maxence me tend une main pour m'aider à me lever. Son geste me surprend, mais je l'accepte, comme un signe de trêve.
— Appelle-la toi-même, tu la fréquentes plus souvent que moi !
— Non, refuse-t-il catégoriquement. Si Apollon voit que je téléphone à sa meuf, ça va encore être le bazar !
— Pas étonnant, vu le nombre d'embrouilles que tu as ces derniers temps avec les filles du lycée !
Nous choisissons de nous rendre chez Alice sur-le-champ en boitant et clopinant, sans trop forcer à cause du tiraillement de nos hématomes. Elle ne vit pas très loin, à peu près deux cents mètres. Au fond de l'impasse mal éclairée, le modeste cabinet médical mitoyen de l'habitation est éteint et le volet roulant fermé. Nous décidons de toquer directement à la maison. Nous n'en menons pas large, je me tiens le ventre et suis plié en avant lorsqu'Alice m'ouvre la porte. Enroulée dans son peignoir blanc, les cheveux remontés en chignons, elle pousse un petit cri en me voyant et pince sa bouche avec ses doigts pour se retenir de hurler davantage. Maxence s'avance et sort de la pénombre dans laquelle il s'était réfugié.
— Si on dit qu'on s'est fait ça pendant l'entraînement, tu penses que ta mère va nous croire ? propose-t-il en grimaçant.
Nous éclatons tous les deux de rire et cela me fait encore plus souffrir. J'ai la sensation que ma lèvre se déchiquette à chaque gloussement, mais je ne peux pas me retenir et cet enfoiré de Maxence est aussi incontrôlable que moi. Nous relâchons ensemble la tension de la dernière heure et nous ne pouvons plus nous arrêter. Alice nous dévisage sans comprendre pourquoi nous n'arrivons pas à nous contenir.
— Les gars, s'il vous plaît, vous n'êtes pas sérieux ? Vous êtes déchirés...
Alice vérifie les alentours, pour être certaine que nous sommes seuls tandis qu'on lui jure d'être clean. De peur que le voisinage nous observe et que cela favorise des commérages, elle finit par nous ordonner :
— Soit vous vous taisez, soit vous vous démerdez sans moi !
Mais plus Alice nous implore de cesser de nous esclaffer, plus nous sommes hilares. Je suis même obligé de m'appuyer contre le muret qui encadre le portail noir en fer forgé pour me laisser glisser sur le sol, perdu dans un fou rire incontrôlable avec l'un de mes pires ennemis.
Ce n'est que quelques minutes plus tard, en regardant le médecin enfiler son fil dans l'aiguille que j'arrive à me calmer. Je me demande alors, qui je suis pour juger les actes de Maxence et de qui que ce soit, d'ailleurs ?
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