Chapitre 21

À la réception d'un message de Fleur qui sort juste de l'hôpital, j'abandonne Maëlle avec précipitation. Je sens dans la tournure de son texto qu'elle est un brin perdue et qu'elle n'a personne sur qui compter dans cette épreuve. Moi, je ne demande que ça, l'approcher un peu plus, la connaître, l'épauler si elle en a besoin et surtout avoir de ses nouvelles. Sans réfléchir davantage, je fonce chez elle.

Nous arrivons tous les deux en même temps. Fleur semble assez surprise de me voir, mais ne fait pas de remarques. Elle me tend un sac en papier provenant de la pharmacie, et la main tremblante, elle glisse la clef dans la serrure, avant d'entrer dans le hall de sa petite maison en pierre. Elle grimace légèrement en levant la jambe pour passer la première marche. Je la trouve anxieuse et souffrante même si à aucun moment, elle ne se plaint. Je referme derrière moi pour la suivre jusqu'à sa chambre que je découvre pour la première fois.

Loin de l'univers Barbie que j'aurai imaginé pour elle, sa pièce rassemble tous les éléments du style Hard Rock. Je m'y sens à l'aise, comme s'il s'agissait de ma propre piaule. Des posters de groupes de Metal sont accrochés partout en vrac sur les murs dont la tapisserie a été arrachée. Les volets sont fermés, des éclairages tamisés rouges expriment le feu des enfers et un masque noir avec deux grandes cornes à l'effigie du diable est posé sur un vieux bureau en bazar.

Fleur, qui es-tu ? Une fois de plus, je suis perdu dans mes déductions. Devil n'est-il pas tout simplement, un petit peu de chacun de ces douze élèves ? Comment peut-on s'appeler Fleur, sembler si douce et aduler des chanteurs satanistes ? Après tout, cette fille vient de se faire avorter, elle n'est pas aussi pure que je me l'étais imaginé... Je m'aperçois que depuis des mois je ne connais rien d'elle, si ce n'est ce qu'elle laisse transparaître et qu'elle accepte de nous montrer au lycée. Effacée par la forte personnalité de son jumeau, elle vit dans un univers effrayant et démoniaque.

Pendant que je détaille chaque recoin, elle me tire de mes pensées et m'arrache des mains la poche de médicaments. Comprenant qu'elle va démarrer son traitement, je lui propose gentiment :

— Tu veux de l'eau ?

— J'ai ce qu'il faut, me répond-elle en saisissant une bouteille pleine, par terre à côté de son lit.

Elle avale par la même occasion deux anti-inflammatoires pour calmer la douleur qui se réveille. J'aimerais la soulager, mais je ne peux rien faire et je me sens terriblement impuissant. Elle s'allonge, encore habillée, tandis que je demeure debout, planté devant elle.

— Tu as mal ?

— L'anesthésie ne fait plus effet, donc ça commence à brûler un peu !

Elle remonte la couette épaisse jusqu'à son menton, ne laissant dépasser que son visage pâle et me jauge à travers ses prunelles bleues.

— Tu veux que je reste ? lui proposé-je doucement en espérant qu'elle accepte.

— Je ne préfère pas, mes parents ne vont pas tarder !

— Mais tu ne dois pas faire d'efforts !

— Je vais prétexter une mauvaise grippe ou un truc du genre ! C'est vendredi, je vais rester couchée jusqu'à lundi !

Bien qu'elle ne m'y invite pas, je m'assois sur son lit et passe mes doigts dans ses cheveux longs pour remonter la mèche blonde qui lui tombe devant les yeux. Je soupire en l'examinant, je suis tenté de la serrer contre moi, mais je n'ai pas l'audace de le faire. Elle repousse délicatement ma main de son visage, sans un regard ni un mot pour moi. Même si je comprends que ce qu'elle vit est probablement terrible et que ce n'est pas le moment pour elle d'envisager une quelconque relation, son indifférence me rend triste. J'ai plus que tout envie de la soutenir dans cette épreuve, de lui apporter un peu de réconfort, car je l'apprécie vraiment.

Je m'accroche à ses doigts avant de lui murmurer :

— Si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là !

— Je sais.

— Tu as ton portable ?

Elle profite de ma question pour me lâcher la main et ramasser son téléphone qu'elle agite sous mon nez. Je soupire à nouveau, en pensant que je dois la quitter et la laisser récupérer. Je ne peux m'empêcher de rattraper ses doigts et d'y déposer un baiser rapide avant de me lever et partir sans la regarder.

Après avoir claqué la porte d'entrée derrière moi, je traverse la rue principale et me dirige chez moi, un peu contrarié que Fleur n'exprime aucune émotion à mon égard. Mon charme n'opère pas. Plus je sens la réticence de Fleur, plus je désire la revoir. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive. Je m'accroche à cette fille alors que je n'ai que l'embarras du choix.

La nuit est tombée, les ruelles de mon village sont sombres et mal éclairées. Cela me fait bizarre, car je n'ai pas l'habitude de marcher. J'utilise toujours mon skate et file à vive allure, alors que là, tout le paysage se déroule au ralenti. Tout m'interpelle : les odeurs des caniveaux, le vent frais sur mon visage, un chien qui hurle à la mort.

Je longe le trottoir sans qu'aucune voiture ne passe. Je pourrais prendre mes écouteurs pour m'occuper, mais j'ai l'esprit tracassé par l'épreuve que vient de subir Fleur et par cette entêtée de Maëlle qui n'a rien voulu me balancer en prétextant qu'elle n'avait confiance en personne ! Elle connaît les douze, et pas moi ! Elle a vu toutes les cartes, il ne lui manquait que la mienne, et moi, en grand naïf, je la lui ai divulguée sans réfléchir à un éventuel compromis.

Une chouette se met à hululer sur mon passage à proximité de l'ancienne forge. Je n'aime pas trop ce chant. Les vieux de mon village prétendent que lorsque l'on entend cet animal, cela présage un décès dans les jours qui suivent. Je ne suis pas superstitieux, mais je reconnais qu'avec tout ce qui se trame autour de moi ces derniers temps, la peur me gagne. Il n'y a rien de pire que la panique pour que votre esprit divague dans des visions d'horreur.

J'accélère un peu la cadence de mes pas qui résonnent sur les pavés. Une ombre apparaît sur le sol et je comprends que je ne suis plus seul. Le retentissement de mes chaussures s'intensifie alors que spectre s'agrandit comme ma frousse. Les habitations ne laissent pas présager de présence, les volets sont clos et aucune lumière ne transperce l'embrasure d'une quelconque porte. Il n'y a pas âme qui vive à plusieurs lieux à la ronde. Ma lâcheté pourrait me conduire à me réfugier chez n'importe qui, mais la partie du village que je traverse reste désespérément déserte. Je décide de m'écarter des façades lugubres, pour marcher au milieu de la route, sous la demi-lueur des lampadaires. Malgré cette précaution, je devine que le spectre se rapproche. Il m'effraie et je me mets à trembler comme une feuille. J'étouffe au creux de ma gorge le cri qui ne servirait à rien, en sentant une force me projeter à terre. Le coup est si violent que je perds l'équilibre, m'affalant de tout mon corps sur le goudron froid, en travers de la ruelle étroite...

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