Chapitre 20

J'abandonne Tom qui a rejoint des amis au skate park tandis que Maëlle accepte de me suivre. Sa mère ayant pas mal de retard dans ses consultations, la brune consent à m'accorder quelques minutes pour discuter. J'espère pouvoir lui sortir les verres du nez au sujet du « complot ». J'en profite également pour me remettre en question vis-à-vis de mon comportement. Je me rends compte que cette fille a beaucoup souffert et j'en suis en partie responsable. Les mains dans les poches arrière de mon jean, épaule contre épaule, nous marchons sur les berges du petit port de pêche de notre village, lorsque je lui lance :

— Si je m'excuse, est-ce que ça fait bouffon ?

— T'excuser de quoi ?

Elle marque un temps d'arrêt pour passer derrière ses oreilles ses cheveux bruns frisés qui volent à cause du vent. Puis elle croise les bras pour serrer les pans de sa veste contre elle. Je hausse les épaules, ce que j'ai à lui dire n'est pas facile à formuler. Je tâtonne et cherche mes mots avant de me lancer :

— D'avoir été un petit con ! Un de ces gars qui ne réfléchit pas avant de vanner pour faire le beau devant ses potes !

— Arrête ton baratin, Paul !

Je soupire et shoote dans un caillou. Elle ne me croit pas et pourtant je suis sincère. J'ai beaucoup changé ces derniers temps. Je ne suis plus cet ado débile qui profitait des filles sans s'interroger, ce mec égoïste qui ne pensait qu'à lui et à son propre plaisir. La vie m'a transformé, la souffrance m'a ouvert les yeux sur mes plaies, mais aussi sur celle des autres.

Mon regard est attiré par une tourterelle qui est posée sur une bitte d'amarrage pour les bateaux. Cela fait plusieurs fois qu'elle essaie de s'envoler désespérément, mais qu'elle ne décolle pas. Elle a une aile blessée, et cela ne me surprend pas en cette période de chasse. Il y a des violences que l'on subit et dont on ne guérit jamais. Même si Maëlle reste détachée de tout ce qui se raconte sur elle, elle n'en demeure pas moins meurtrie.

— Maëlle, écoute-moi ! lui demandé-je en lui faisant face, chacune de mes mains posée sur ses épaules. La vie est injuste, vraiment ! On vit parfois des choses terribles, révoltantes, qui nous semblent insurmontables ! Mais au final, on peut se remettre de tout ! Je ne dis pas que l'on oublie, loin de là ! Mais on avance et notre existence prend le dessus !

Les mots que je lui balance sont les mêmes que ceux que j'ai utilisés il y a quelques jours avec Benjamin. Comme pour me convaincre moi-même, je les connais par cœur. J'ai besoin de me les répéter sans cesse pour les ancrer dans ma tête, surtout quand je pense à ma mère.

Nous restons un moment ainsi, face à face, sans sourire ni bouger, juste à comprendre que chacun souffre et que ce salaud de Devil enfonce son doigt dans nos cicatrices.

— Personne ne m'a jamais parlé comme toi ! murmure-t-elle en glissant ses mains dans ses poches.

— Je ne suis pas les autres !

Tandis que ses yeux brillent et qu'elle essaie de contrôler sa sensibilité pour ne pas pleurer, je suis heureux que mes paroles la touchent, qu'elle me croie enfin.

— Je peux te demander quelque chose ?

— Dis toujours...

Pendant qu'elle hésite, nous nous dévisageons quelques instants, jusqu'à ce que mon regard se fixe sur sa lèvre. Elle détourne alors ses pupilles vers la tourterelle qui tente à nouveau de s'envoler, mais l'aile gauche est beaucoup trop raide et elle se repose sur la borne en pierre.

— Je n'ai jamais embrassé quelqu'un ! murmure-t-elle un peu gênée.

Je manque de m'étouffer en comprenant ce qu'elle souhaite. Maëlle est vraiment belle aujourd'hui. Grande et élancée, elle a beaucoup de classe. Son visage exprime encore parfois un peu de mélancolie, mais il est agréable à contempler. Ses yeux verts pétillent de malice et le maquillage délicat qu'elle applique sur ces cils accentue leur forme en amande. Elle a tout pour plaire, mais je n'ai aucune attirance physique pour elle. Rien à voir avec son ancienne blessure, ce n'est juste pas mon style de fille. Et puis, j'ai Fleur dans la tête.

— Tu veux que je t'embrasse ? lâché-je surpris, en faisant une légère grimace.

— Non, laisse tomber ! Je te comprends ! dit-elle en posant ses mains sur sa bouche pour cacher sa lèvre.

— Ce n'est pas ce que tu crois ! Tu es très belle, c'est juste... Oh et puis merde !

Paul Arand n'a jamais refusé de galocher qui que ce soit depuis la maternelle, ce n'est pas maintenant que cela va commencer. Après tout, j'ai roulé des pelles à la moitié des filles du lycée, une de plus ne changera pas ma vie. Je n'ai de compte à rendre à personne, même si c'est à Fleur que je pense à cet instant.

Maëlle est jolie, et si ça peut lui donner un peu d'assurance... Je retire ses mains de son visage en l'attirant contre moi pour poser ma bouche sur la sienne.

Je ne suis pas rasé et, pour elle, cela ne doit pas être si agréable que cela. Mais je vais quand même lui offrir une vraie galoche. Je ne ressens pas grand-chose durant cet échange de salive et pourtant, je m'applique à rendre ce moment très sensuel. Un premier baiser, c'est comme une première fois, ça ne s'oublie pas...

Quelques minutes s'écoulent avant que nos bouches ne se séparent. Maëlle s'écarte de moi rapidement et je ne la retiens pas.

— Merci ! me susurre-t-elle embarrassée, en baissant la tête vers ses chaussures.

Maintenant que je crois avoir apprivoisé la lycéenne, je lui lance en arquant un sourcil pour mettre tout mon charme en avant :

— Et si on passait aux choses sérieuses ?

Étonnée par ma proposition, elle écarquille les yeux, puis son visage se durcit et prend un air mécontent.

— N'y pense même pas !

— Je parlais du complot !

Je reconnais que ma formulation était ambiguë et lorsqu'elle éclate de rire sans pudeur me laissant entrevoir l'intérieur de sa bouche, je me marre avec elle.

Soudain, elle se rend compte de mon regard interrogateur sur sa dent manquante.

— Je serai opérée dans dix jours, pour terminer la chirurgie réparatrice de ma malformation. Ensuite, je pourrai avoir une prothèse...

— Et tu seras parfaite !

— Ça, c'est toi qui le dis !

Je lui indique un banc un peu isolé pour que nous puissions nous asseoir et continuer cette conversation.

— Personne n'est parfait de toute façon, mais s'aimer comme on est, c'est le secret des gens heureux !

— Je ne te savais pas autant philosophe ! me taquine-t-elle. C'est tellement facile pour toi ! Toutes les meufs t'adulent...

À cet instant, je repense à Fleur. Si toutes les nanas m'appréciaient, elle n'aurait pas succombé à Maxence ! En analysant la situation, je dois reconnaître que je me pointe peut-être un peu tard. J'ai pas mal joué avec les filles, et le temps que je me rende compte que je suis amoureux, la fille en question a disparu dans les bras du plus gros connard du lycée.

— Tu as subi combien d'opérations depuis ta naissance ?

— Pourquoi tu veux savoir ? demande-t-elle surprise.

— Comme ça !

— Ce n'est pas tant le nombre que je retiens, mais toute la souffrance que j'ai rencontrée à chacune. Physique, bien sûr ! J'ai eu la bouche tiraillée et déchiquetée pour accéder aux standards de la « normalité » et aux critères de beauté ! Et morale, putain ! J'en ai tellement chié ! Tous les regards de dégoût que j'ai dû affronter, les insultes quotidiennes et les railleries ! Je n'oublierai jamais !

Aucune larme ne perle sur ses joues et j'admire la force de cette fille peu ordinaire, si déterminée dans son combat. Elle ne réclame pas la pitié des gens, elle désire simplement vivre sa vie comme elle le souhaite et forcer toutes les barrières qu'elle trouvera sur sa route. Maëlle est si résignée que rien ne l'arrêtera.

— Je me sens con, à côté de toi... Je ne sais pas quoi te dire...

— Dans ce cas, ferme-la ! me lance-t-elle en se levant.

J'ai rouvert toutes ses blessures et c'en est beaucoup trop pour elle. Je m'interroge sur la façon dont je pourrais me rattraper, il est grand temps de changer de sujet pour parler de ce qui m'intéresse.

— Maëlle, attends ! Et pour le complot, tu voulais me dire quoi ?

— J'ai les noms des douze lycéens !

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