Chapitre 2
Je ne sais pas trop ce que je fous au lycée. Apprendre et se creuser la tête sur des équations et des formules de chimie, ce n'est pas mon truc et pourtant je suis en Terminale S. Bon, j'avoue que c'est ma deuxième année puisque j'ai été recalé au bac en juin. Je n'ai rien glandé l'an dernier. Rien de rien ! Je n'avais plus la force de me concentrer, la patience de tenir en place assis à un bureau, à écouter des profs en grattant sur des cahiers. Dès que je me pose, je me perds dans de sombres pensées et des images accablantes envahissent mon esprit. Depuis plusieurs mois, je me sens vide, tourmenté, je marche avec un poids lourd sur mes épaules. Le cœur serré, je me traîne telle une âme en peine, meurtri par le drame qui s'est déroulé chez moi. Alors, tant bien que mal, j'essaie de maintenir le cap pour Max et Tom, aussi désemparés que moi. Je suis persuadé que nous pouvons nous en sortir tant que nous restons soudés tous les trois et pour l'instant, je me considère un peu comme le pilier qui préserve l'unité familiale, je ne peux pas me permettre de flancher au risque que tout s'écroule. En soi, mis à part mes deux frères, rien ne m'intéresse plus vraiment.
Non, je mens, j'aime toujours le rugby : courir sans réfléchir, accroché à un ballon ovale pour atteindre une ligne blanche, j'y arrive encore. Je joins à cela la troisième mi-temps, celle où l'on se retrouve tous au Club House pour se détruire la gueule et oublier un instant les soucis. Et si on rajoute une jolie fille avec qui je peux terminer la nuit, à ce moment-là, la soirée est vraiment réussie et dans le pire des cas, Clémence n'est jamais bien loin. En toute sincérité, je n'arrive pas à qualifier notre relation. Je profite d'elle et la considère comme ma sex-friend alors que je sais pertinemment qu'elle en pince pour moi depuis plusieurs mois. Elle me l'a dit à maintes reprises, mais même pour essayer, je refuse d'officialiser notre liaison. Pourtant, elle est jolie et j'aime bien son tempérament autonome et solitaire, mais je ne ressens rien pour elle, si ce n'est cette foutue attraction physique qui opère dès qu'elle est dans les parages.
Le rugby. Les filles. Parfois un peu de surf. Voilà mes centres d'intérêt ! En dehors de cela, je n'ai que des problèmes. À commencer par le lycée où j'ai rendez-vous avec monsieur Sidoine, le CPE, qui m'attend pour délivrer sa sentence. Ce n'est pas la première et ce ne sera probablement pas la dernière. En plus de mes répliques piquantes, voire insolentes envers les profs, je ne suis pas un calme. J'ai parfois tendance à m'emporter et à régler mes affaires à la force des poings, ce qui me vaut de compter parmi les habitués des convocations et des retenues.
La cloche a sonné et tandis que tous les lycéens se précipitent vers l'extérieur, je m'établis sur l'unique chaise devant la porte vitrée encore close. Je tâtonne mon pantalon à la recherche de mon iPhone. Je suis rassuré, il est bien là dans ma poche droite, mais je n'ai pas le temps de le sortir que le conseiller m'invite à entrer.
— Asseyez-vous !
Je m'installe face à lui, sans appréhension, dans le grand bureau où des tas de dossiers colorés et classés sur des étagères ornent les murs. Ce n'est pas le style de gars qui veut absolument imposer son pouvoir en rabaissant les élèves d'une quelconque manière. Non, il est plutôt cool et du genre psychologue.
— Nous allons commencer par les points positifs : vous avez marqué un essai samedi ! Félicitations !
— Merci.
Son compliment m'apporte une certaine satisfaction et je me redresse aussitôt sur ma chaise, un léger sourire aux lèvres, tandis qu'il me fixe droit dans les yeux avant de se racler la gorge.
— Vous comprenez bien que je ne peux pas laisser passer votre petite familiarité de tout à l'heure ! Je ne veux pas non plus vous pénaliser pour les entraînements donc, vous viendrez mardi soir après les cours, de 16 heures 30 à 17 heures 30 !
Une heure de retenue, ce n'est pas cher payé ! Je suis relativement rassuré quant à la sanction infligée, qui n'a rien à voir avec la fameuse fête d'Halloween.
Je ne conteste pas et attends qu'il en ait fini avec son baratin. Derrière lui, la grosse horloge affiche déjà 17 heures 32. Si je traîne trop ici, je risque de rater mon bus qui passe dans un peu plus de dix minutes. Le prochain étant dans une heure, je me décide à bouger et me lève en empoignant mon sac. Malheureusement, l'homme aux tempes grisonnantes qui doit avoir dans la cinquantaine, n'en a pas terminé avec moi. Il saisit un stylo pour tapoter sur son bureau vide, affiche un air grave et remonte ses lunettes noires du majeur, tic qui me fait toujours marrer.
— Paul, comment ça va chez vous... enfin, je veux dire par rapport à votre père ?
En l'écoutant aborder le sujet tabou, mon sourire s'évapore. Je suis déstabilisé par ses mots, j'en laisse tomber mon sac au sol. Je baisse les yeux et me passe la main dans les cheveux. Ce n'est pas le moment, je n'ai pas envie d'avoir cette conversation et encore moins avec un étranger adulte qui exerce une pseudo autorité sur moi... Merde ! Toujours debout et prêt à m'enfuir, j'émets un fort soupir pour exprimer ma réticence et finis par répliquer de manière détachée en consultant l'horloge qui continue de tourner :
— Ça se passe...
Avec cette réponse, je souhaite au plus profond de moi qu'il me foute la paix, qu'il me libère et que je puisse attraper au vol ce putain de bus qui ne va pas m'attendre, mais c'est sans compter sur le tempérament trop bienveillant de l'homme instruit qui tente de trouver une faille dans mon regard.
— Pour être franc, j'ai été interrogé par les services sociaux, tout comme la psychologue de Tom...
Je saisis immédiatement ce à quoi il fait allusion et pense à mon plus jeune frère qui est suivi dans le cadre scolaire depuis plusieurs années à cause de son hyperactivité.
— Et ? le questionné-je juste pour tâter le terrain et mesurer l'ampleur des dégâts...
— Nous sommes seulement inquiets.
Mon sang ne fait qu'un tour et je ne peux pas me contrôler davantage. Je le coupe net dans son élan en posant mes deux poings avec violence sur son bureau. Le CPE sursaute tandis que le bruit du coup résonne dans la pièce et que les stylos s'entrechoquent dans le pot. Inquiets ? Ils n'ont pas à l'être, tout n'est pas rose à la maison, mais on gère ! On fait du mieux que l'on peut, on avance au jour le jour, on a juste besoin d'un peu de temps pour nous remettre. Qu'on nous foute la paix, bon sang !
— Contentez-vous de prodiguer vos avis sur les orientations des lycéens et continuez de vous mêler de ce qui vous regarde !
Il écarquille les yeux en constatant que je suis vraiment en colère. Je bous intérieurement et je suis prêt à escalader le meuble qui nous sépare pour lui exploser la gueule. Il m'en sait capable. Il ne peut pas comprendre ce que l'on traverse. Je ne veux pas que quiconque s'en prenne à ma famille, on a suffisamment morflé ! Je ne supporte plus que l'on nous pointe du doigt, que l'on parle dans notre dos, que l'on critique l'état de mon père, que l'on nous juge. Personne ne connaît le poids de la souffrance telle que nous l'avons vécue. Que tous ces donneurs de bonnes leçons aillent se faire foutre !
— Paul, je vous rappelle que j'étais présent à la réunion parents/profs de mardi dernier !
— Et alors ?
La colère me rend insolent. Comprenant pertinemment ce à quoi il fait allusion, je le provoque. Mon ivrogne de père a débarqué sans permis pour se garer dans la cour même du lycée, en gueulant sur tous les enseignants que c'étaient des bons à rien qui passaient leur temps à échafauder des plans pour faire des grèves plutôt qu'à faire cours correctement. Max et Tom ont dû m'aider à l'enfourner dans sa caisse pour le ramener chez nous avant que quelqu'un ne contacte les gendarmes.
— Paul, rasseyez-vous, s'il vous plaît ! insiste fermement le costard-cravate en face de moi.
— Je vais rater mon bus !
— Vous prendrez le suivant ! tente-t-il de me rassurer en baissant les yeux sur mon dossier scolaire posé devant lui. Quels sont vos projets pour l'an prochain ?
— Aucun ! J'aurai dix-huit dans trois mois, je ferai ce que je voudrai ! lâché-je en me dirigeant vers la porte.
— Connaissant la situation, je me rends bien compte que vous êtes chargé de famille et je sais que vos deux frères sont importants ! Je vous soupçonne même d'avoir échoué au baccalauréat pour ne pas les abandonner...
Je laisse ses doutes planer dans le bureau que je quitte sans prendre la peine de me retourner pour le saluer. Je suis mitigé par notre entretien. J'écope d'une heure de colle à faire mardi prochain et je dois reconnaître que cela aurait franchement pu être pire. En revanche, je suis préoccupé par l'intérêt soudain que nous portent les services sociaux.
J'accélère le pas dans les couloirs pour me rendre à mon arrêt, espérant qu'il ne soit pas trop tard. J'attrape dans la poche droite de mon pantalon, mon iPhone pour vérifier l'heure : 17 heures 44. Cela risque d'être un peu juste, mais j'y crois ! Je traverse le hall d'entrée complètement vide au pas de course et j'aperçois le car de ramassage redémarrer au travers de la baie vitrée. Loupé ! Je suis bon pour poireauter une heure tout seul et par-dessus le marché, il pleut ! Je n'ai vraiment pas de chance aujourd'hui, pensé-je en remontant ma capuche sur ma tête. Je jette un coup d'œil aux alentours, tout aussi déserts et choisis d'aller m'abriter dans le garage à vélos.
Isolé, assis contre le mur, je sors mes écouteurs pour lancer ma musique préférée du moment, Hug you hardcore de Lordi, et essayer d'oublier cette journée pourrie. J'appuie ma tête contre la paroi derrière moi et ferme les yeux quelques instants, jusqu'à ce que mon téléphone vibre, annonçant l'arrivée d'un nouveau message. Il s'agit d'une carte d'invitation...
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