Chapitre 19
Quelle désillusion ! La confrontation des huit nominés n'aura rien apporté. Aucune discussion n'est possible avec Maxence et Ken, qui sont chacun dans leur genre, bien trop violents. Je n'ai pas pu avoir une conversation censée avec Gabriel et Clémence qui sont de plus en plus inaccessibles, perdus dans leurs délires de drogués. Je suis vraiment déçu de cette dernière, je ne l'imaginais pas ainsi. Ma sex-friend a bien caché son jeu, mais je comprends mieux ses sautes d'humeur des jours précédents et sa dispute avec Ken. Je vois parfaitement à quoi tient leur relation et je ne souhaite plus m'en mêler.
De son côté, Romane est obnubilée par le procès dans lequel elle est en train de se lancer. Elle veut faire payer à Maxence son humiliation et, poussée par ses parents, elle ne lâchera pas l'affaire.
Fleur est absente, toujours dans la lune. Tantôt terriblement triste et affligée que son bien-aimé l'ait quittée, tantôt affolée d'être enceinte. Elle vogue dans ses songes, ne réalisant pas vraiment ce qu'il lui arrive.
Il reste Benjamin que j'observe du coin de l'œil. Je le surveille comme l'huile sur le feu, ne lui livrant que le strict nécessaire. Je ne parviens plus à le cerner. Je doute de ses propos et de ses affirmations de peur qu'il ne cherche à m'embrouiller. Totalement perdu, je n'ai plus confiance en personne.
Depuis l'affaire des nudes, les langues se sont déliées et tout le lycée est au courant de ces textos. L'ambiance dans la classe se dégrade petit à petit. D'un côté, il y a ceux qui ont déjà pris connaissance de leur invitation et qui n'en mènent pas large de peur que leur secret soit découvert et dans l'autre camp se trouvent ceux qui vivent la peur au ventre et espèrent ne rien réceptionner. Les élèves se regardent en chien de faïence, s'observent, espionnent les conversations et les messes basses. Comme moi, ils cherchent en silence le trouble-fête, l'auteur de cette mise en scène machiavélique, et y vont de leurs propres suppositions, accusant les uns et les autres pour diverses raisons. Si ces messages ont été pris pour un jeu au départ, la situation est en train de devenir bien sordide. Nous devons absolument démasquer le responsable avant quelqu'un ne finisse par céder à son chantage.
Je dois demeurer concentré sur chaque détail. Allongé sur mon lit, je compte désespérément les jours qu'il me reste avant la fameuse soirée. Mes sentiments sont mitigés. J'en suis encore à souhaiter qu'il s'agisse d'un mauvais tour de la part d'un élève de ma classe qui s'amuse des malheurs de ses camarades. Les révélations ont été très loin, beaucoup trop loin. Elles touchent les plaies profondes et cachées de chacun d'entre nous. Qui peut être suffisamment insensible et malsain pour dévoiler les pires secrets de ses amis ? Au fond de moi, j'appréhende réellement l'issue de cette intrusion dans l'intimité de nos vies.
Il est trois heures du matin et pour la énième nuit d'affilée, je songe aux événements en cours au lieu de dormir quand un sifflement strident attaque mes tympans. Dans un premier temps, je pense être pris d'une crise d'acouphène, pourtant je me rends bien compte que ce son perçant, qui me fout la chair de poule, ne provient pas de mon cerveau. Je tends l'oreille pour saisir ce qu'il se passe et déduis que ce crissement arrive du rez-de-chaussée. Ne supportant plus l'ambiance hallucinante et terrifiante de cette baraque, je soupire fortement et m'enfouis sous les draps, pour tenter de me désintéresser du phénomène assourdissant, mais rien n'y fait. Je suis beaucoup trop énervé pour dormir.
Je décide de me lever pour descendre dans la cuisine, non pas à la recherche du bruit que je préfère ignorer, mais pour boire un verre d'eau. Au passage, je cherche dans les médicaments, que mon frère prend pour son hyperactivité, un truc qui m'aiderait à roupiller. Une fois n'est pas coutume, cela me détendra. Avant que je n'appuie sur l'interrupteur de la hotte aspirante, celle-ci s'allume toute seule. Je sursaute et enfonce ma main dans ma poche en disant à voix haute, pour essayer de me rassurer :
— OK, c'est normal !
Je souffle un grand coup et vérifie autour de moi. Il n'y a personne, tout semble à sa place et le sifflement s'est arrêté. Je suis soulagé, je vais pouvoir boire et vite remonter me coucher. Je n'ai pas envie de traîner ici plus longtemps. Je repère un verre sur la table centrale en bois. Je ne sais pas qui l'a utilisé, mais il fera l'affaire pour cette nuit. La main tremblotante, je saisis la bouteille pleine restée sur le bord de la cheminée et la débouche. Au moment même où l'eau entre en contact avec le fond du verre, celui-ci éclate totalement.
Mon cœur se stoppe net, mes cheveux se dressent sur ma tête, je suis pétrifié de peur. Quiconque aurait hurlé, mais je suis si tétanisé qu'aucun son ne peut sortir de ma bouche. Je ne peux pas non plus m'enfuir, je suis tellement effrayé que j'ai les jambes coupées. Que s'est-il passé ? Habituellement, lorsque ma lampe est allumée, ce genre de manifestation ne se produit pas.
Je réalise que les minuscules morceaux transparents inondent la pièce et la panique s'empare soudain de moi. Je n'ai plus soif. Je largue tout pour monter en courant dans ma chambre, écrasant le verre sous mes pieds nus, me blessant par la même occasion. La douleur est grande et c'est un supplice de marcher avec une telle souffrance. Je fonce dans la salle de bains me rincer les pieds et retirer les débris coupants, avant de retourner m'enfouir sous mes draps pour ne plus bouger jusqu'au lendemain matin.
Je ne suis plus en mesure de réfléchir, chaque craquement de plancher me fait bondir. Je suis à l'affût du moindre bruit. Je ne dors plus, la peur me prive de discernement. Je suis accablé par la tristesse, persuadé que ma mère hante mes nuits, pendant que Devil me tourmente le jour.
Le lendemain matin, j'attends le lever du soleil pour poser un pied par terre. Angoissé, je m'habille, ne sachant plus si ce que j'ai vécu s'est vraiment déroulé. Pourtant, les petites plaies me prouvent que je ne n'ai pas rêvé.
Un peu plus tard dans la journée, j'accompagne Tom chez la psychologue. Il a tendance à mentir et à ne pas y aller, il ne se rend pas vraiment compte de l'importance de ces rendez-vous. Il est suivi pour ses troubles comportementaux depuis des années. Il ne m'en parle jamais, mais je devine que les séances sont aussi orientées pour travailler sur le drame qui nous a frappés.
Assis dans la salle d'attente, je repasse en boucle les événements de cette nuit. L'ampoule de la hotte aspirante qui s'allume sans que je la touche était probablement le fruit d'un faux contact. Mais le verre qui éclate sans raison ?
— T'as une sale gueule, Paul ! lance une voix qui m'interrompt dans mes pensées.
En levant la tête, je découvre en face de moi Maëlle, une fille de ma classe. Assise contre la porte, sous l'enseigne de la nouvelle psy de mon frère, la lycéenne me sourit. Elle a encore changé...
La transformation physique de « babine » est impressionnante. Je me souviens de son entrée en maternelle avec sa blessure à la lèvre supérieure que tous les gosses pointaient du doigt et qui lui vaut ce cruel surnom. Je n'étais pas le plus mauvais, mais j'avoue ne jamais avoir pris sa défense.
— Merci du compliment ! rétorqué-je en bâillant.
— De rien !
Sa cicatrice a désormais totalement disparu. Ses lèvres sont pulpeuses et appétissantes. La brune aux cheveux longs est devenue très belle, je dois le reconnaître. Grande, au moins un mètre soixante-quinze, élancée, sa mutation en bombe est quasi-terminée.
— Toi, en revanche...
— Ta gueule !
— Mais j'allais te complimenter ! Je te trouve vraiment jolie !
Elle me balance un bon coup de pied dans le tibia, ce qui me surprend.
— Ferme ta bouche Arand où je te pète les couilles et te les fais gober !
— Mais je le pense réellement ! Tu es devenue super charmante !
Elle ne répond pas, osant à peine me sourire. Les stigmates de sa malformation se laissent encore entendre légèrement lorsqu'elle parle. Mais ce n'est pas désagréable, un simple zozotement presque imperceptible, qui disparaîtra quand la correction de sa dentition sera terminée.
— Il paraît qu'il faut s'adresser à toi pour le complot ! me lance-t-elle soudain en cherchant ses mots.
Le complot ? Elle a donc reçu une carte ! Et elle sait que moi aussi. Le complot ! Cela me fait presque sourire de l'appeler ainsi.
— Possible ! avoué-je. Montre ton invitation !
— Montre la tienne !
Aujourd'hui, seul face à elle, j'ai honte d'avoir tant ri des insultes ignobles que chacun de nous lui envoyait quotidiennement.
— Tu fais quoi dans la salle d'attente des psys ? lui demandé-je en lui rendant son portable.
— J'attends ma mère...
— Elle est psy ?
— Ouais !
Intéressant, vraiment intéressant ! Voilà que soudain, le hasard m'ouvre les yeux... Et si la psy de Tom était l'indicateur de Devil, où peut-être Devil ? Mon frère doit forcément parler de ce qu'il se passe chez moi. De plus, elle reçoit une bonne partie du lycée. Il se peut même qu'elle nourrisse à l'égard des élèves une envie de vengeance pour les traumatismes que sa fille a subis.
— Tu as des infos à échanger avec moi sur le complot ?
— Possible !
— On peut se retrouver où ?
La brune aux grands yeux verts hausse les épaules et réfléchit un instant avant de me répondre très sérieusement :
— Pourquoi partagerais-je mes idées avec un mec comme toi qui a toujours été odieux ?
— Pour sauver des gens ?
— Tu parles de ceux qui m'ont harcelée depuis mon entrée à l'école ?
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