Chapitre 18

C'est avec soulagement que j'entends enfin les sirènes des pompiers approcher, pendant que Benjamin et moi tenons Gabriel penché en avant. Celui-ci a un semblant de conscience entre deux râles de vomissements et arrive même à articuler quelques mots, pas toujours cohérents. Durant des minutes interminables, j'étais complètement paniqué, mais, maintenant que les secours sont là, je me sens moins seul et toute mon inquiétude disparaît. Deux grands hommes habillés en noir bousculent Fleur qui est encore en travers du couloir, et entrent en trombe dans la salle de bains. Je leur donne avec joie le relais auprès du comateux.

Benjamin et moi, quittons la pièce, trop petite pour contenir tout le monde, tandis qu'à la sortie un pompier nous interroge sur Gabriel.

— Je l'ai trouvé inanimé ! indique mon ami, les mains dans les poches de son jean. La seule qui pourrait vous dire ce qu'il s'est passé n'est plus là !

Il hausse les épaules, un peu embarrassé, et tend son cou à la recherche de Clémence parmi les curieux montés sur le palier. Comme lui, je jette un rapide coup d'œil sur les lycéens présents bien que je sache pertinemment que cette dernière a déguerpi en apprenant la venue des secours. Ayant partagé son cocktail d'ecstasy accompagné d'une bonne ration d'alcool, il semblerait que l'adolescente ait eu peur d'avoir de sérieux problèmes...

— Nous allons emmener votre ami aux urgences. Où pouvons-nous joindre ses parents ?

— Ils arrivent, indique Fleur en tripotant nerveusement son portable.

— Parfait !

Les trois pompiers chargent le lycéen à demi conscient et complètement trempé sur le brancard, puis ils l'enveloppent dans une couverture de survie brillante avant de le monter dans l'ambulance. Quelques instants plus tard, ses vieux se précipitent vers le chef de la brigade, évitant les attroupements d'adolescents.

Je suis un peu abasourdi par ce qu'il vient de se passer et me jure de ne jamais prendre de drogues dures. Les effets sont trop imprévisibles et voir Gabriel semi-mort m'a vraiment secoué.

Assis sur les marches de l'entrée entre Benji et Fleur, légèrement en retrait des élèves de notre classe qui ne se privent pas de décrier l'évènement, j'observe le camion de pompier quitter la maison quand Benjamin me tend un téléphone.

— Le portable de Gaby ! Cadeau !

— Quoi ?

J'écarquille les yeux tellement je suis offusqué que mon ami ait profité du coma de Gabriel pour lui prendre son smartphone.

— Je vais lui rendre, mais tu dois voir ça avant ! se justifie-t-il en déverrouillant l'écran.

 

— Putain ! soufflé-je en relisant la carte.

Je n'aurais pas soupçonné qu'il pouvait être sur la liste de Devil et encore moins que la famille de Gabriel le rejetterait un seul instant. Mais en y réfléchissant, les parents du lycéen sont des catholiques pratiquants, pour eux, l'homosexualité est une anomalie génétique, une maladie, un trouble psychique ou une connerie dans ce genre... Je trouve cela si injuste pour lui. Merde, c'est un être humain comme les autres !

Moi qui connais Gabriel depuis l'école primaire, je n'ai pas été surpris par son coming out. Il a toujours été un peu à part et se souciait beaucoup de son apparence quand, nous les gars, ne pensions qu'à courir après un ballon. Nous n'avons jamais eu les mêmes centres d'intérêt pendant les récréations : pour moi, c'était le baby-foot, les cartes Pokemon et les bagarres tandis que lui jouait à la corde à sauter, enfilait des perles et coiffait les filles. C'était un pro des tresses et je jalousais secrètement sa présence bien acceptée auprès des demoiselles.

— Dieu n'est pas censé représenter l'amour ? demande Benji.

Par la même occasion, il me transfère l'invitation de Gabriel sur mon portable. Je l'archive aussitôt dans le dossier que je me suis créé pour l'occasion.

— Vous ne savez rien de Gaby ! intervient Fleur.

Elle a recouvert ses genoux avec sa robe trop large et joue avec une mèche de cheveux. Je ne relève pas sa remarque et suggère que tous les élèves de notre classe ayant reçu cette carte se réunissent le plus vite possible. La jolie blonde valide mon idée d'un coup de tête tandis que Benji ajoute :

— Tu as raison, il n'y a que comme cela que nous trouverons Devil !

— Demain ! propose Fleur.

J'émets une grimace en pensant aux évènements de cette nuit et je rétorque en sortant mon paquet de cigarettes :

— Demain ? Pour Gabriel, c'est compromis !

— Ken, ne viendra pas non plus ! ajoute Benji.

— On ne va pas lui laisser le choix ! dis-je avec assurance. Après tout, c'est lui qui refourgue ses merdes de shooté aux gens du lycée.

Le rendez-vous est fixé au skate park, deux jours plus tard, le temps pour Gabriel d'être sur pied. Benjamin et moi avons convié les six personnes ayant, à notre connaissance, reçues une invitation.

À midi, lorsque la sonnerie clame la fin du cours, tous les élèves se précipitent vers la sortie, tandis que le prof de maths m'interpelle. Ce n'est franchement pas le moment et cela me fait bouillir intérieurement d'arriver en retard à la confrontation que j'ai organisée. Benji me fait signe qu'il s'occupe de tout en attendant mon arrivée.

Je m'avance vers le bureau où le chauve patiente. Il a retiré ses lunettes et ses yeux, d'habitude globuleux, me semblent minuscules.

— Je voulais vous proposer de vous donner quelques cours de soutien entre 12 heures et 14 heures, selon votre emploi du temps.

Je comprends ce à quoi il fait allusion, je reconnais que je n'ai pas brillé aux deux précédents devoirs. Ma moyenne au premier trimestre n'est pas meilleure que celle de l'an dernier alors que je redouble, mais j'ai d'autres préoccupations et je n'arrive pas à me concentrer ni à trouver la motivation de m'y coller. Le bac est dans huit mois, j'ai largement le temps et la capacité d'en mettre un coup quand le moment sera venu.

— C'est gentil Monsieur, mais en ce moment, je suis très occupé...

— Paul, vous avez de grosses lacunes sur le programme de maths, mais ce n'est pas irrattrapable ! Un peu de travail et vous pouvez y arriver ! De plus, nous ne sommes que le 25 octobre ! Je peux vous prendre dès la rentrée des vacances de Toussaint !

La rentrée ? Qui sait ce qu'il se sera passé d'ici là ? Le vieux prof qui se touche la moustache en attendant ma réponse, est loin de se douter de ce qu'il se trame autour de lui.

Soudain, une idée me vient à l'esprit. Et si Devil représentait l'union de plusieurs personnes ? Comme une secte ou une confrérie de psychopathes. Peut-être même que ce prof qui paraît si soucieux de mon cas est un des membres et qu'il veut se rapprocher de moi pour mieux me perturber et me pousser vers la mort.

Je commence à devenir le plus grand paranoïaque de tous les temps ! Je dois me reprendre ! Il me reste encore six jours pour trouver les quatre élèves manquants et cela devrait être plus facile si les huit désignés réussissent à collaborer.

— Je dois y aller ! On en reparle à la rentrée ! Merci, Monsieur !

— Paul ! Deux à quatre heures par semaine ! Mardi et jeudi, si vous voulez ! lance-t-il alors que j'ai déjà tourné les talons.

En arrivant à notre point de rendez-vous, je comprends de suite que rien ne fonctionne tel que prévu. Tout le monde est en train de s'embrouiller et Benjamin ne sait plus où donner de la tête pour apaiser les élèves. Seule, comme à son habitude, Fleur attend patiemment, assise appuyée contre une rampe de skate, ses écouteurs sur les oreilles. Les yeux dans le vague, aucune dispute ne l'atteint. Discrètement, je la rejoins pour me poser à côté d'elle. J'observe quelques instants les petits groupes divisés.

D'un côté, Romane menace Maxence de l'envoyer au tribunal, elle se vante que ses parents ont engagé un excellent avocat. De l'autre, Ken réclame une grosse somme d'argent à Clémence et Gabriel, probablement pour leurs dépenses de la soirée. Au milieu Benjamin effectue des va-et-vient pour essayer de réunir tout le monde.

— Salut, finis-je par murmurer à l'oreille de Fleur en lui enlevant un écouteur.

— Salut.

— Maxence est au courant que tu es enceinte ?

Ses doigts ramassent délicatement une brindille sur le goudron. Elle la fait tourner entre son pouce et son index, me laissant sans réponse. Il ne s'agit pas de curiosité malsaine de ma part. J'ai juste besoin de savoir pour comprendre et répertorier les personnes connaissant les problèmes intimes des douze lycéens.

Fleur lève ses pupilles vers le salaud qui l'a foutu en cloque, je saisis à son regard triste qu'elle éprouve encore des sentiments pour lui et cela génère en moi de la colère, de la jalousie même. Je serre les poings pour ne pas lui sauter dessus et le mettre face à ses responsabilités. La jolie blonde détourne enfin les yeux et, abattue par ce qu'elle observe, finit par me murmurer un petit non. Je décide de me concentrer sur son cas et réfléchis à l'énigme. Je me penche vers elle et lui explique mon raisonnement :

— Pour trouver Devil, j'ai besoin de savoir à qui tu en as parlé.

— OK.

Je tente de la rassurer, de me justifier, j'en pince vraiment pour cette fille et je ne veux pas qu'elle voit dans mes questions, une forme de jugement alors je lui avoue sans oser la regarder :

— Sache que cela ne change rien de ce que je ressens pour toi.

— Ne mélange pas tout !

Elle balaie aussitôt ma semi-déclaration de façon incisive. Elle est toujours tranchante à mon égard et je commence à douter de pouvoir la séduire. Elle est amoureuse de Maxence et se perd dans son chagrin, cela me fend le cœur quand elle me repousse.

— Donc, tu en as parlé à qui ?

— Le gynécologue du planning familial. Il n'y a que lui au courant.

— Il connaît quelqu'un de ton entourage, quelqu'un du lycée ? Il a un fils ou une fille en classe avec nous ?

— C'est un gynécologue qui tient la permanence une fois par semaine ici. Il vient de Bordeaux. Donc peu de chances d'avoir un lien avec qui que ce soit.

Elle lève à nouveau les yeux vers Maxence qui est toujours en grande conversation avec Romane. Le ton de la jeune fille est moins virulent. Dépitée, Fleur jette devant elle le brin d'herbe qu'elle avait entre les doigts. Je tente de la ramener dans notre discussion en lui posant une nouvelle question :

— Et tes parents ?

— Personne ne sait, mis à part toi !

— Et Benjamin ! murmuré-je entre mes dents en levant les yeux sur lui.

Il était au courant pour Clémence avant que je ne le lui dise, et il n'a pas eu l'air surpris quand je lui ai montré la carte de Fleur. Il détenait le portable de Gabriel à la soirée. Il connaissait les arrangements entre Ken et Clem et pourtant, il s'est bien gardé de m'en faire part. Mon meilleur ami m'aurait-il menti ? Un goût amer s'invite dans ma bouche, celui de la trahison. Benji se moque de moi, il ne me raconte pas tout et son attitude est pour moi comme un coup de poignard dans le dos. Je suis perdu, je ne sais plus si je peux encore lui faire confiance. Je dois rester lucide et vérifier sa loyauté avant de trancher sur son cas.

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