Chapitre 13
Depuis plusieurs jours, une rumeur court au lycée et l'on sait tous pertinemment qu'il n'y a rien de pire que le bouche-à-oreille suspicieux d'élèves pour détruire une réputation. Même si elle se doute que les chuchotements dans son dos lui sont dédiés, Romane fait profil bas.
C'est vers midi que ce connard de Maxence dévoile les photos dans le vestiaire du club de rugby. L'entraînement vient de se terminer, les retardataires traînent sous la douche pendant que les autres se rhabillent. Un peu à part, sur les bancs à côté de l'entrée, je lace mes Converse et remballe toutes mes affaires, quand je me rends compte que j'ai oublié ma serviette au porte-manteau près des casiers. J'abandonne mon sac pour retourner vers les compartiments où une dizaine de mes collègues sont attroupés.
— Paul, viens voir ça ! m'interpelle Maxence, un grand sourire aux lèvres.
Je tombe des nues en apercevant la série de photos et de vidéos que Maxence et Romane s'envoient depuis des mois.
Benjamin m'avait pourtant averti la veille, il était lui-même au courant grâce à notre pipelette de Leila qui sort avec Maxence et qui a découvert dans le portable de son bien-aimé ses échanges érotiques avec Romane. Le couple ayant aussitôt volé en éclats, Maxence peut désormais se vanter en toute légèreté des qualités de sa sex-friend, à qui il donne des défis via son écran de téléphone. Dignes de films pornos, les jeux pervers des deux mineurs sont dorénavant connus de tous et les bruits de couloir sont confirmés.
— Paul, mate un peu ça ! m'apostrophe le pilier de mon équipe, fier comme un dieu du sexe.
— Non, c'est bon pour moi, j'en ai assez vu...
Je récupère ma serviette et me dirige vers la sortie, quand Maxence m'interpelle. Il a besoin de sentir les autres l'admirer, mais avec moi, ça n'a jamais marché. Je me suis toujours méfié de lui, et ne me suis jamais plié à ses ordres.
— Pourquoi, tu le prends comme ça ? Sérieux, t'es juste vénère, car cette meuf, t'as pas pu la pécho !
— Va te faire voir Maxence !
La tension des derniers jours et la provocation de mon coéquipier de rugby mettent mes nerfs à vif. Je ne comprends pas ce que montrer ces Snaps peut lui apporter. Cela est simplement irrespectueux envers Romane. Elle a toujours été sympa avec moi, je trouve qu'elle n'a rien fait pour mériter que tout le club du lycée détaille son intimité au travers d'un écran de téléphone.
Pendant que je range ma serviette dans mon sac, j'entends chacun des commentaires déplacés de mes collègues et cela me met hors de moi. Je ne vais pas pouvoir me contrôler si Maxence ne remballe pas rapidement son smartphone. Je tape mes crampons l'un contre l'autre pour en décrocher la terre et tire sur la fermeture éclair pour boucler mon barda. Je suis maintenant prêt à partir, mais avant d'ouvrir la porte, je ne peux pas me retenir de lancer avec autorité vers Maxence :
— Remballe ton téléphone et tes photos de merde !
Tous les joueurs se tournent vers moi et demeurent silencieux en attendant la réponse du pilier. Il m'a toujours dominé physiquement, mais je me suis pas mal épaissi et musclé ces derniers temps et nous sommes dorénavant aussi grands et carrés l'un que l'autre. Tous les deux bagarreurs, nous avons constamment été dans le même clan sur le terrain, nous ne nous sommes donc jamais affrontés. Je ne sais pas ce que je vaux vraiment face à lui et si je suis dans la capacité de lui flanquer la raclée qu'il mérite.
Il choisit de prendre mon ordre très au sérieux et traverse la pièce pour s'avancer au plus près de moi alors que je reste immobile. Une fois à ma hauteur, il colle son portable à quelques centimètres de mon visage et me lance en guise de provocation :
— Regarde sa petite chatte délicieuse !
Cela suffit pour que je lui rentre dedans. Je lui mets directement un coup de boule qui le fait reculer. Surpris, il n'a pas le temps de répliquer et j'en profite pour le plaquer contre les casiers, en lui assenant mon poing dans le ventre. Les gars de l'équipe s'emparent aussitôt de moi pour m'obliger à le lâcher. Maxence saisit l'occasion et me décoche une droite en pleine gueule. Maintenu par deux rugbymen, je ne peux qu'encaisser.
— Va te faire foutre Arand, me déclame-t-il furieux en me tournant le dos pour ranger son téléphone dans son sac.
Mes coéquipiers comprennent que la bagarre va s'arrêter là, ils me libèrent sur-le-champ. Je leur jette un regard contrarié et si j'avais été certain de ne pas me faire tabasser par tout le club, j'aurais tenté de leur en coller une à eux aussi. Je préfère saisir mon sac et mes chaussures pour sortir quand Apollon, le capitaine, intervient :
— Allez, calmez-vous ! On a un match samedi et nous devons rester soudés !
Toujours chargé de mes affaires, je ne peux pas me retenir de lui répondre :
— Bah, dis à ton pote d'arrêter de balancer ses photos de merde à la gueule de tout le monde !
— Va te faire foutre, Arand ! hurle Maxence dans tout le vestiaire.
La moutarde me monte encore une fois au nez, je lâche sur le sol mes crampons et mon sac, prêt à bondir sur lui à nouveau. Je ne vais pas lui laisser l'honneur d'avoir le dernier mot, dans pareille situation, je ne sais pas contrôler mes nerfs.
— Putain les gars, vous n'allez pas recommencer !
Apollon me retient par l'épaule pour m'inviter à me détendre.
— Reconnais que c'est dégueulasse ce qu'il fait ! dis-je à mon capitaine. Merde, la meuf est dans notre classe ! Elle lui a envoyé ça, car elle avait probablement confiance en lui ! Et l'autre grosse merde balance ça à tout le monde ! Imagine si cela avait été ta sœur...
Apollon déglutit et écarquille les yeux en prenant le temps de réfléchir un instant. Je sais que j'ai trouvé le bon argument. Comme moi, il doit désormais être en train de penser à sa jumelle, Fleur.
— OK, OK ! Je ne veux plus entendre parler de cette histoire ! Taulin, tu gardes tes photos pour qui tu souhaites en dehors du rugby et toi Arand, tu fermes ta gueule !
Contrarié que personne ne prenne réellement parti pour la cause que je défends, je secoue la tête dépité en regardant chacun des joueurs, puis je récupère mes affaires et quitte le vestiaire en claquant la porte.
En retrouvant Benjamin, qui m'attend à la sortie, je suis vert de rage.
Son soutien sera plus que le bienvenu dans cette histoire. Nous nous sommes donnés comme mission de trouver rapidement les douze lycéens. Ainsi, nous pourrons peut-être identifier Devil avant le 31 octobre.
— Romane est au Café des Sports ! m'annonce Benjamin. Elle accepte de nous parler de son invitation ! '
— Cool ! approuvé-je en changeant mon sac d'épaule.
— Elle a super honte ! L'entretien va être compliqué.
À notre arrivée, le bistrot nous semble vide. Il n'y a personne sur la charmante terrasse fleurie, malgré le beau temps et les parasols ouverts. Nous poussons la porte vitrée et Benji entre le premier. Lorsqu'il retire ses lunettes de soleil, je lui trouve une meilleure mine qu'hier. Il a également pris soin d'enfiler un polo que je ne connaissais pas. Il semble plus enjoué, peut-être qu'avoir parlé lui a fait du bien, à moins que ce ne soit Devil qui occupe ses pensées. C'est en tout cas l'effet que produit cette énigme sur moi. J'oublie la morosité de ma vie, les engueulades avec mon père et je mets même de côté mon chagrin. Je me concentre sur mon entourage, m'évertuant par tous les moyens à percer ce mystère.
Il n'y a pas plus de monde à l'intérieur, je fais un rapide tour d'horizon en cherchant du côté des baby-foot. C'est en général dans ce coin que les lycéens ont l'habitude de se retrouver. Seuls deux secondes sirotent une bière, pas de Romane de ce côté-là. Quelques élèves sont accoudés au bar et une fille sort des toilettes.
Je choisis une table centrale pour surveiller qui entre et me délester de mon sac quand je découvre en fond de salle, cachée derrière un pilier, notre rendez-vous. Romy lâche nerveusement sa tasse de café en m'apercevant, et détourne les yeux pour éviter mon regard. J'ai vraiment du mal à croire qu'il s'agit de la personne qui pose sur les clichés de Maxence. Elle paraît si timide et pudique dans sa petite robe beige à col Claudine. Je fais un signe de tête à Benjamin pour lui indiquer que notre rendez-vous est déjà là.
Il part s'installer à côté d'elle pendant que je commande deux expressos au barman. En rejoignant mes amis à table, je découvre en même temps que Benji l'invitation de Romane sur son portable.
Romane est blême, complètement désorientée. Elle ne cesse de surveiller qui entre dans le café, angoissée d'être remarquée ou pire : de se retrouver face à Maxence. La petite blonde à la taille fine tapote avec nervosité sa croix contre ses lèvres attendant une réaction de notre part. Je réfléchis à la suite en fixant le vernis rouge écaillé de ses ongles et à la façon dont je pourrais la rassurer. J'ai envie de lui dire qu'elle peut compter sur moi, même si j'ai conscience qu'il est déjà trop tard, que le mal est fait. Peu m'importe la raison pour laquelle cette pauvre fille s'est découverte ainsi, je ne prête aucun jugement. En l'observant du coin de l'œil, j'en déduis simplement qu'elle est l'un des éléments les plus fragiles du puzzle de Devil.
— Je ne supporterai pas que mes parents l'apprennent... nous avoue-t-elle entre deux sanglots.
Au fond de son sac à main signé d'un grand couturier, elle cherche un mouchoir pour s'essuyer le visage et prend soin d'ôter son maquillage qui coule en même temps que ses larmes. D'habitude assez jolie, elle a aujourd'hui une mine d'enterrement : le teint pâle, le nez rougi et ses yeux bleus gonflés. Appréhendant la suite avec elle, je tente de lui donner un dernier conseil :
— Romy, tu dois leur en parler avant qu'ils ne l'apprennent par quelqu'un d'autre ! Ce que fait Maxence est totalement illégal !
— Mais j'étais consentante au moment de l'envoi !
Elle frotte à nouveau sa croix contre ses lèvres, puis secoue négativement sa tête pour nous signifier que c'est impossible pour elle. En regardant sa chaîne, je me souviens de sa mère qui m'a fait le catéchisme quand j'étais au primaire. J'imagine la réaction de sa famille catho quand elle va découvrir la nouvelle.
— Ce n'est pas une raison pour faire tourner ça au sein de tout le lycée, ajoute Benji qui repose sa tasse de café.
Dans l'espoir de l'aider, je lui propose :
— On peut t'accompagner pour parler à tes parents, si tu veux.
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