Chapitre 10
Le dossier contient une foule de témoignages pour violence à l'encontre de Ken, tous exprimés depuis des collèges et lycées différents. Il y a aussi des copies de plaintes enregistrées dans des gendarmeries de plusieurs départements, ainsi que des portraits de lui à divers âges. Même sur les photos de classe, j'arrive à le reconnaître facilement grâce à sa moue contrariée et son regard provocateur.
Une feuille manuscrite attire en particulier mon attention. Le premier paragraphe fait allusion au père de Ken qui a été condamné à dix ans de prison pour meurtre en janvier 2016. Maintenant, je suis franchement rassuré sur mon camarade, j'ai bien fait de m'attaquer au plus doux des agneaux, je songe ironiquement.
Dans la deuxième partie du document est détaillée une liste de sévices reçus par Ken : violences verbales, agressions physiques ayant provoqué diverses fractures et séjours à l'hôpital, ainsi que les adresses de familles d'accueil successives. Je reste coi à la lecture du dossier. Que penser de lui ? Il est brutal, car il n'a probablement connu que ça depuis sa naissance, mais ce n'est pas une raison pour s'en prendre à Clémence ou à qui que ce soit.
À coups sûrs, je tiens l'auteur de mon invitation. Je ne me suis pas trompé, ce gars est le psychopathe de mes pires cauchemars ! Malheureusement, je ne suis absolument pas certain qu'il ait compris le message de mon poing dans sa gueule. Il a tellement été frappé dans sa vie qu'il n'est plus à ça près !
Le ton monte dans le couloir et une ombre s'approche de la porte vitrée, je referme le dossier pour le remettre en place. Je n'ai pas envie que le CPE me surprenne en train de fouiller dans ses papiers. J'ai à peine le temps de me rasseoir qu'il enfonce la poignée avec vivacité et entre furieux.
— Monsieur Arand, nous reprendrons notre conversation plus tard ! Attendez dehors, je dois recevoir Madame Virenne.
En me levant, je croise la prétendue génitrice de Ken. Depuis la lecture de son dossier, je ne suis pas certain qu'il s'agisse de sa mère biologique. Dans tous les cas, elle a une bonne tête de sorcière ou de tueuse en série. Mis à part ce détail, je ne leur trouve aucune ressemblance. La cinquantaine et très grande, elle a une cicatrice qui creuse sa joue gauche. Ses yeux noirs injectés de sang me transpercent le cœur et je ne serai pas étonné qu'elle soit armée. La croix en or qui pend à son cou au bout d'une épaisse chaîne contraste totalement avec son attitude démoniaque. Dans le couloir, son fils attend patiemment. Sans un regard dans sa direction, je rejoins mon pire ennemi sur la chaise libre à côté de lui, quand le téléphone sonne dans le secrétariat. La voix de la femme répond :
— Exactement, Monsieur ! Je vous mets en relation avec monsieur Sidoine, ne quittez pas !
Elle parle probablement à mon vieux qui vient de la rappeler. Je soupire en pensant à la soirée pitoyable qui s'annonce chez moi. Il va me saouler et je vais en prendre plein la gueule !
Tous les deux assis devant la porte fermée du CPE, nous ruminons en silence notre haine réciproque, quand Ken sort de sa poche son smartphone qui vibre. À la lecture du message, je l'entends retenir sa respiration. Je tente un coup d'œil vers son portable sur lequel j'ai le temps d'apercevoir « son invitation » au travers de l'écran brisé.
Je connais ces SMS par cœur et la seule chose que je cherche à lire est son motif personnel : « La violence résout tous tes problèmes. Tu finiras comme ton père. » Deux options me viennent aussitôt en tête. Soit il est Devil et il fait en sorte de réceptionner son invitation à l'instant même où je suis à côté de lui, afin que je ne le soupçonne pas. Ce qui me semble peu probable, car il n'a pas l'air d'être un génie informatique. Soit il n'a rien à voir avec tout ça et il fait partie des douze victimes...
Je dois lui parler ! Je tente une première approche le plus calmement possible et lui explique que j'ai reçu un SMS similaire. Ce à quoi, il me répond en se levant brusquement :
— M'adresse pas la parole ou je te défonce !
Évidemment, je ne reste pas assis plus longtemps ! Pas question de le laisser me dominer. Je me positionne face à lui et afin d'en apprendre davantage sur Devil, j'essaie de lancer intelligemment la conversation :
— On peut juste échanger tranquillement deux minutes au sujet de ce que tu viens de recevoir ?
Son front se plisse et ses yeux se chargent d'agressivité.
— Me fais pas chier, grosse merde ! articule-t-il en me projetant contre le mur.
Il me bloque la tête avec son coude. Je sais que j'ai plus de forces que lui, mais je ne souhaite pas le braquer. Je dois comprendre ce qu'il se passe. Les deux bras en l'air pour lui signifier que je ne cherche pas d'embrouilles, je marmonne en reprenant mon souffle, car il m'étouffe :
— Ken, on est dans la même galère ! Y a un psychopathe qui veut nous flinguer !
Mais il est complètement braqué, impossible de le raisonner, il resserre sa poigne et m'étrangle un peu plus en me menaçant, sûr de lui :
— T'as pas encore compris ? Je vais te saigner !
Dans le bureau qui jouxte le couloir, la secrétaire nous rejoint pour tenter de nous séparer.
— Non, mais vous n'allez pas recommencer ?
La petite femme boulotte hurle de sa voix grave en tirant sur le bras de Ken qui me lâche immédiatement.
— C'est rien, madame Violette !
J'essaie de la rassurer en posant ma main sur son épaule et en reprenant mon souffle, tandis que Ken enfile son blouson en cuir et se dirige tranquillement vers la sortie.
— Monsieur Virenne, où allez-vous ? crie-t-elle. Revenez immédiatement !
Mais ce gars n'a peur de rien. Il ne se retourne même pas quand la secrétaire le menace de renvoi définitif.
Il me rend service d'agir ainsi ! Je passe pour sa victime auprès du principal, ce qui est en quelque sorte un peu vrai... Même si j'ai frappé le premier, il l'avait bien cherché !
Comme je m'y attendais, le CPE me relâche très vite et j'écope de deux heures de colle supplémentaires. Je ne sais pas quand j'aurai le temps de les faire, bientôt, je n'aurai plus assez de mercredis après-midis !
En montant dans le bus, je suis désemparé par la tournure des événements. Je souhaite vraiment comprendre la signification de ces invitations. Clémence a accepté de me filer la sienne et j'ai aperçu celle de Ken. Dans les photos de ma bibliothèque, je retrouve la feuille de classeur envoyée par Devil qui détaille le déroulement de cette tragédie. Nous sommes douze élèves de la même classe concernés. J'en connais trois : moi, Clem et Ken.
Et il y a Devil, le treizième lycéen. Je ne vois que Benjamin qui est d'ailleurs absent aujourd'hui pour concevoir cette facétie. Après tout, ce genre de truc ne peut pas exister dans la vraie vie ! C'est forcément le fruit de l'imagination débordante de quelqu'un qui veut s'amuser pour Halloween ! Qui est mieux placé que Benjamin, ce geek qui passe son temps sur son ordi et son téléphone, pour inventer une histoire pareille ?
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