Hantise


Il s'avança vers moi, pâle comme un mort, la silhouette floue, presque irréelle, le visage caché dans la pénombre, engloutissant toute la lumière à chaque pas. Il avait les traits d'un inconnu, pourtant je savais qui il était, et ses grands yeux ambrés étaient la seule lueur dans cet atmosphère lugubre. Mais ces mêmes yeux étaient vides, vides de toutes vies, et me fixaient d'un air coupable. Alors je reculai, imperceptiblement à chacun de ces mouvements, jusqu'à ce que ce mon dos rencontre une surface plane.

Il avait une apparence calme et réfléchie, il avait l'air d'avoir avalé, en même temps que la lumière, toute la sagesse du monde. Pourtant, une dangerosité féroce émanait de lui, un instinct que tout mon corps frêle ressentait jusqu'à la moelle : cette attitude tranquille ne lui ressemblait pas.

Il s'avança vers moi, encore et encore, jusqu'à ce que la lumière disparaisse complètement, comme si elle n'avait jamais existé. Une sensation de terreur me glaçait entièrement, sans que je puisse la nommer.

A présent, seules ses prunelles luisaient dans la pénombre mouvante, ces prunelles enflammées qui représentaient ce qu'il était réellement, ces prunelles qui brulaient d'une flamme imperceptible.

Je tremblais, je voulais juste le repousser et m'enfuir, fuir cette noirceur, fuir cet inconnu qui m'était dangereusement familier, fuir cette terreur qui me noyait par vagues noires et putrides.

Alors il ouvrit la bouche et me dit, sans sourciller, d'une sérénité étouffante, néanmoins curieuse.

« Pourquoi m'as-tu tué ? »

Je me réveillai en sursaut, et fut submergé d'un coup par le flot d'émotions qui m'avait parcourues durant mon sommeil. Mes doigts tremblaient, ma respiration était difficile, j'avais à la fois froid et chaud. Et le noir de ma chambre me rappelait horriblement celui de mon rêve. Je me levai avec grande difficulté, et malgré la peur qui m'assaillait de toutes parts, je me déplaçais aussi vite que je le pus dans ma chambre afin de de trouver l'interrupteur, seule issue de cette obscurité maladive. Lorsque mes doigts trouvèrent le bouton, j'eus un instant d'hésitation, et un hoquet de terreur me traversa à l'idée de le voir se tenir devant moi, si par malheur j'allumais la lumière. Je fermai les yeux un court instant, comme pour me donner du courage, et allumai la chambre soudainement d'un mouvement de poignet.

J'étais toujours seul, et un soulagement intense m'envahit.

Je marchai, mon sac sur le dos, essayant vainement de penser à autre chose que ce cauchemar, les mains dans les poches, la tête baissée.

Lorsque je franchis les portes du lycée, je ne fis pas vraiment attention à ce qui m'entourait, je sentais juste quelques regards à certains moments. Une fois arrivé dans ma classe, je m'assis sur ma chaise et fouillais mon téléphone d'un air absent. J'arrivais toujours avant les autres et ceux-ci ne me prêtèrent pas plus attention que d'habitude.

Jusqu'à ce que je le vis arriver. Le pas trainant, des écouteurs plantés dans les oreilles, et ces cheveux blonds désordonnés, encadrant son visage d'une beauté sauvage qui lui était propre.

Moi à l'inverse, je devais faire peine à voir avec ma peau blanche, mes mèches sombres et mes yeux tout aussi noirs que mes cheveux. Lorsque nos regards se croisèrent, mon cœur s'affola et la même sensation étrange que dans mon rêve, m'envahit.

Je secouai la tête pour chasser mes mauvais pensés, après tout ce n'était qu'un rêve.

Pourtant, la nuit suivante, je refis le même cauchemar, ainsi que la nuit d'après, et il semblait plus réel à chaque fois et je commençais à avoir peur de m'endormir. Mes cernes avaient grandi, et imperceptiblement, j'avais commencé à l'éviter. Lui, qui me hantait chaque nuit.

Je regardais mon lit d'un air morne, avant, celui-ci était mon havre de paix, là où je me réfugiais lorsque tout allait mal, maintenant, j'avais l'impression qu'il me trahissait. Je me glissai doucement entre les draps, les doigts crispés, la mâchoire serrée, et je priai intérieurement qu'il ne revienne pas cette fois. Je combattais contre le sommeil, mais celui-ci eu raison de moi, comme chaque fois, et mes paupières se fermèrent toutes seules. Je sombrai alors petit à petit.

Lorsque j'ouvris les yeux, je me retrouvais dans une petite plaine fleurie. Un soleil rougeoyant léchait l'eau d'un lac brillant qui s'étalait devant mes yeux. Soudainement, je sentis des bras s'enrouler autour de moi et un parfum familier m'embauma les sens. Il ressemblait à celui de ma mère...

Je respirai d'un grand coup, et un sentiment d'euphorie et de félicité m'envahit, je l'avais vaincu. Alors je me retournais pour serrer celle qui m'avait mise au monde, dans mes bras.

Mais ce n'était pas ma mère, c'était lui. Et il se mit à sourire, de ce même sourire horriblement calme. L'air autour de nous commença à tourner, les flots du lac devinrent rouge écarlate, et les fleurs commencèrent à faner. Je reculai soudainement, essayant de trouver le plus de distances entre nous. Mais c'était impossible, il était solidement et fermement accroché à ma taille, comme pour m'empêcher de m'enfuir. Son visage commença à fondre et il ne restait que deux trous béants à la place de ces orbites. Du sang commença à sortir de sa bouche, et les sons qu'il produisait n'était que des gargouillis incertains.

Pourtant je comprenais ce qu'il me disait, car ses lèvres bougeaient de ce même mouvement qui me traumatisait chaque nuit depuis maintenant quatre jours.

« Pourquoi m'as-tu tué ? »

Je poussais un hurlement de terreur, seul le silence me répondit.

Et je me retrouvais happé par l'obscurité, je n'arrivais plus à différencier si je rêvais encore ou non. L'air était étouffant, ma respiration sifflante et mon corps tremblait.

Je cherchais à tâtons mon téléphone jusqu'à mettre la main dessus, je ne voulais plus bouger de ce lit, j'étais complètement paralysé, paralysé par la peur, paralysé par un rêve.

Je me mis alors à chercher sur le web, tout ce qui pourrait m'aider à sortir de là, pourquoi cette hantise, comment faire pour sortir d'un cauchemar que l'on fait chaque nuit, comment éloigner les mauvais rêves.

Plus le temps passait et plus je me mis à essayer des choses qui n'avaient même plus de sens, mais je voulais y croire, ça tournait à l'obsession, pourtant aucune de ces choses ne fonctionnait. Et j'avais bien tout essayé, les somnifères, les attrape-rêves, les bougies, les prières, le sel purifié...

J'aurais tellement aimé en parler, mais mes parents n'étaient jamais là et je n'avais pas vraiment d'amis. Il était mon seul ami avant, mais il avait commencé à devenir plus violent et à m'insulter sans aucune raison. Il s'était peu à peu éloigné de moi, comme effrayé, et je me retrouvais à présent seul et harcelé par son image.

Plus les jours passèrent, moins je savais ce que je faisais, mes notes au lycée avaient drastiquement baissées et les commerages avaient monté en flèche. Mais peu m'importait, mon but à présent était de fuir la nuit et de combattre le sommeil, mais je ne pouvais tenir indéfiniment et à peine je fermais les yeux qu'il m'attendait sournoisement.

Et le jour je le voyais me regarder, la mâchoire crispée, lorsque nos regards se croisaient, le regard fuyant, je sentais en lui un combat intérieur comme un regret ou une rage inconnue.

Et un jour il vint me voir, un sourire léger aux lèvres, les sourcils crispés, une attitude calme pourtant inhabituelle que je ne lui connaissais que trop bien. Et instinctivement je le repoussais, ses lèvres bougèrent, et je me mis à pleurer, sans aucune raison, ou alors parce qu'il voulait surement me rabaisser comme il savait si bien le faire. Je ne voulais plus le voir, car je ne différenciais plus rêve de la réalité, je ne voulais plus le voir, car il venait me harceler, je ne voulais plus le voir, alors que j'avais tellement besoins de son aide.

Et plus le temps passait, moins je savais ce que je faisais, je restais parfois enfermé dans ma chambre, entouré par ce noir que je ne cherchais même plus à fuir, je ne mangeais plus, abandonnant toute sortie et toute solution.

Comme d'habitude, il m'attendait, dans cette noirceur funeste, mais il n'avait plus ce regard calme et réfléchi, il avait le même regard que moi, une lueur possédée et tiraillée d'une folie intérieure. Il pataugeait dans une marée de sang putride et infecte, une fontaine que s'écoulait tel des larmes de ses prunelles dorées, et son corps était possédé de convulsions irrégulières. Sa peau, habituellement bronzée était blanche comme un linge, et il ne restait de son corps, plus que de la peau sur les os. Il leva alors une main tremblante vers moi, puis d'une rapidité soudainement surhumaine, il rampa jusqu'à moi, s'affala de tout son long sur mes membres frêles, vomissant des gerbes de sang épaisses, s'agrippa à mon t-shirt dans une dernière tentative désespérée. Et sans même qu'il n'eut besoin de mouvoir ses lèvres, sa comptine préférée résonna à l'infini, me transperçant entièrement de sa mélancolie macabre.

« Pourquoi m'as-tu tué ? »

Et comme à chaque fois que je me réveillais, je me demandais toujours comment il avait fait pour se rendre plus effrayant encore que la nuit d'avant, à chaque fois que je croyais m'y être habitué, il me surprenait toujours plus encore.

Un matin, je le vis par la fenêtre de ma chambre, les doigts entrelacés, la tête baissée, et moi je le regardais, derrière ma vitre. Un moment il leva la tête, et nos regards se croisèrent encore. Il devait surement me voir, là, pâle, le corps encore plus maigre et fragile qu'avant, les lèvres violacées, mes yeux noirs et ternes, vides de tout espoir, et mon corps désespéré dans une nuit qui n'avait de cesse que de me ronger de l'intérieur.

Egoïstement, je voulais qu'il ressente tout ce que je ressentais, qu'il prenne conscience de sa faute, que je me laissais mourir à petit feu par ces rêves. Je voulais ignorer mon cœur qui s'affolait dans ma poitrine à la seule pensée de présence, et tentais de lui laisser un dernier regard indifférent, avant de sombrer dans mes ténèbres.

Alors je me relâchais, complètement, m'abandonnant aux spectres de la nuit.

Après ce dernier épisode, étrangement, je ne refis plus le rêve.

Cela faisait une semaine maintenant, que j'étais chez moi, dans la peur qu'il ne me reprenne par surprise. Mais pas une nuit je ne le revis.

Alors un matin comme je me décidais à retourner à l'école, j'y découvris une atmosphère pesante, des regards rivés sur moi comme sur un parfait inconnu, comme si cela faisait longtemps des mois que je n'étais plus allé en cours.

Lorsque j'arrivais dans ma classe, tout le monde était déjà présent, l'air était chargé et tous les yeux se figèrent sur moi. Je me décidais à les ignorer, de la même manière que le faisais d'habitude, puis m'assis doucement à ma place.

Puis j'eus une étrange sensation, comme si quelque chose clochait, comme si les choses n'étaient pas à leur place. Et c'est à ce moment-là que je réalisais : il n'était pas là. Alors je levai doucement les yeux, et demandais, d'une voix faible.

« Où est-il ? »

Je n'avais pas besoin de préciser de qui je parlais, tout le monde savait et je n'avais pas besoin non plus d'élever plus la voix, toutes les oreilles étaient suspendues à mes lèvres, comme attendant impatiemment que je pose cette question. Pourtant, personne ne me répondit, et il y eut quelques regards incertains.

Et moi je redoutais la réponse, alors que celle-ci flottait autour de moi, comme le spectre, et je me résignai à ignorer cette horrible sensation lancinante. Alors j'étirais mes lèvres d'un léger sourire, comme pour me convaincre moi-même que j'étais encore en train de rêver.

« Il est malade ? »

Alors, une des élèves, plus courageuse que les autres, se décida à parler, en me lançant à la fois un regard glacial et interrogatif, de celle qui avait l'air d'attendre plus que tout, ma réaction à sa réponse.

« Il est mort. »

C'était bref, mais pourtant ces trois mots me firent l'effet d'une lame dans le cœur, mon sourire s'effaça aussi rapidement qu'il était venu et j'eus la sensation de m'être pris une douche glacée. Ce n'était pas possible, il ne pouvait pas être mort, il n'avait pas le droit, c'était tout bonnement impossible.

Et comme incité par ma réaction, la fille continua son monologue. A chaque mot, j'avais l'impression d'être de plus en plus anéanti.

« On l'a retrouvé mort, dans sa baignoire, on pense à un suicide »

Je n'en pouvais plus, ça ne pouvait être que des mensonges, rien n'était vrai, rien ne pouvait être vrai. L'air m'empoisonnait les poumons et mes lèvres tremblaient, j'avais envie de hurler, de l'insulter, de tout casser, de lui faire regretter de me mentir. Mais la vérité était là, et je ne pouvais rien y changer. Il fallait que je sache tout. Alors en rassemblant tout mon courage, je posai l'ultime question.

« Quand est-ce que vous l'avez retrouvé ?

- La semaine dernière, la seule chose qu'on sait c'est qu'il était venu te voir, et lorsqu'il était parti de chez toi, il avait l'air dévasté, je ne l'avais jamais vu comme ça, je crois qu'il voulait s'excuser de quelque chose. Après ça il était mort. Pourquoi ? »

Voilà, c'était la fin, la fin de tout. Je n'osais même pas lancer un dernier regard à la fille, je partis en courant. Fuir, fuir mes responsabilités, fuir cette réalité qui me rattrapait et me montait à la gorge comme de la nausée était mon seul but. A bous de souffle, je finis sur un toit, l'air me fouettant le visage comme pour me punir, lui aussi.

Alors je fondis en larme, je ne pouvais plus m'arrêter, je ne voulais plus. Je voulais évacuer cette douleur incessante qui ne cessait de me déchirer.

Une main se posa sur mon épaule, et je le vis, calme, les mains dans les poches, le regard figé sur moi, entouré d'une marée de sang, blafard.

« Pourquoi m'as-tu tué ? »

Alors tout pris un sens, je l'avais tué, je l'avais tué alors qu'il cherchait à se faire pardonner de m'avoir abandonné, je l'avais tué en le rejetant. C'était simple, mes rêves ne cherchaient qu'à me prévenir de ce qu'il allait se passer, et moi j'étais tombé en plein dans le piège.

Car tout était de ma faute.

Et la réponse du « pourquoi » devint évidente.

Alors je me levais docilement, et le pris dans mes bras, ignorant le sang s'accrochant à mes vêtements.

Ça ne devait pas se finir comme ça, ça ne pouvait pas se finir comme ça, car une question me brulait les lèvres et il fallait que je sache, absolument.

« Pourquoi m'as-tu abandonné ? »

Il ne disait rien, après tout je n'attendais pas vraiment une réponse. Je crispais les poings, je voulais tellement savoir, mais c'était inutile, c'était comme parler à une radio qui ne savait dire qu'une seule chose.

« J'avais peur de mes sentiments, j'avais peur de ce que je ressentais. Parce que je t'aime. »

A ces mots, je tressaillis, il m'avait répondu ! Mon cœur s'emballa à toute vitesse. Mais une vague de culpabilité, m'assaillit encore plus violemment. C'était le moment, je devais lui dire.

« Je ne t'en veux pas, et puis...moi aussi je... »

Je n'eus pas le temps de finir ma phrase qu'il n'était déjà plus là, mes bras ne rencontraient que le vide. Mais il était parti en même temps que mes regrets. C'était fini, et je le savais. Car c'était mon destin, notre destin fatal à tous les deux.

Alors j'escaladais la rembarde, ouvris les bras en grands, et me laissai emporter par le vent. J'allais le rejoindre là où nous pourrions enfin être unis pour l'éternité.

« Moi aussi je t'aime. »

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