Chapitre 5

— Zachary, n'oublie pas de faire signer ton bulletin par tes parents, ordonné-je au blondinet en train de ranger ses cahiers. C'est la troisième et dernière fois que je te le rappelle. Après, ce sera une sanction.

Il hoche la tête en s'empressant de sortir de la classe. Je parie qu'il ne le fera pas et que je devrais appeler ses parents. Ce garçon ne pense qu'à s'amuser et a de la difficulté à se concentrer pendant les cours. Je dois continuellement le rappeler à l'ordre. J'aimerais trouver un moyen pour obtenir son attention sans le héler à tout bout de champ mais, aujourd'hui, ma tête est sur le point d'exploser. J'ai très mal dormi la nuit dernière, sans doute à cause du policier qui ne cesse d'accaparer mes pensées et j'ai seulement envie de retourner à la maison me coucher. Malheureusement, l'heure du dodo devra attendre encore un peu.

— Mademoiselle Laurel, m'interpelle alors Gabriel avant de sortir de la classe. C'est au sujet de demain. Vous nous avez demandé d'inviter nos papas dans la classe pour qu'il nous parle de leur travail, mais je me demandais si...euh...je pouvais inviter ma maman à la place.

— Une autre fois, lui réponds-je, inflexible. Tu sais, Gabriel, personne ne rira du job de ton papa, quel qu'il soit. Au contraire, c'est pour ça que j'ai décidé de faire cet exposé. Je veux que tout le monde puisse parler de leur travail.

— Oui, mais...

— Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer. Je sais que tu es nerveux, mais tu n'auras qu'à le présenter et dire à tes camarades de classe quel est son métier et, ensuite, c'est lui qui parlera. Tu verras, ce n'est pas affolant.

Je le congédie puisque je dois aller récupérer en vitesse Victoire à la garderie. Je ramasse mon sac et les derniers devoirs à corriger, puis sors de l'école et passe à la garderie. Ma pauvre petite a attrapé un gros rhume et a une toux creuse. J'espère que ce n'est pas grave et qu'elle ne fera pas de bronchite.

Je la couche après le repas, puis m'installe dans le salon devant la télévision. Certains préfèrent se concentrer dans un lieu sans bruit, toutefois, je préfère effectuer mon travail de correction devant la télé, avec un bruit de fond. Ainsi, j'ai l'impression d'être moins seule.

Je me couche vers vingt-et-une heures, brûlée.

...

La salle de classe est remplie de papas pour notre journée « Raconte-moi ton travail ». Je suis contente de voir que la plupart des hommes sont entrés dans le jeu et ont vêtu leurs habits de travail.

Mécanicien, Charpentier-menuisier, plombier, comptable, pilote, avocat, cuisinier, producteur bovin, conducteur de camion, ébéniste, concierge, informaticien et orthopédiste et bien plus se trouvent assis à côté de leurs enfants, fiers de présenter leur père au reste du groupe.

— Merci à vous d'être venus pour notre exposé sur les métiers, leur dis-je. Vous pourrez passer à tour de rôle et nous expliquer en quoi consiste votre travail.

Au même moment, on toque à la porte et je m'empresse d'aller ouvrir. Gabriel est en retard et se tient debout devant la porte, penaud.

— Désolé du retard, fait la voix de l'homme qui se trouve à ses côtés. J'ai dû faire un petit détour par le poste avant de venir.

La mâchoire m'en tombe presque par terre en reconnaissant le policier qui me fait face. Il porte son traditionnel uniforme d'officier et se tient droit comme un I. Son assurance me fait presque reculer, mais je m'empresse de reprendre contenance.

— Euh...pas de problème, bafouillé-je en leur faisant signe d'entrer.

Mason m'a reconnue aussi et j'ai cru voir une lueur d'amusement briller au fond des saphirs qui lui servent de prunelles.

Seigneur ! Jamais je n'aurais cru que ce type était le père d'un garçon de huit ans. Je n'avais pas encore rencontré les parents de mes élèves puisque je viens de reprendre le travail, mais j'aurais peut-être dû parce que je suis tellement décontenancée que j'ai du mal à me rappeler pourquoi tous ces pères se trouvent ici.

Je me racle la gorge, puis invite le premier d'entre eux à se présenter.

— Bonjour, dit l'homme vêtu d'une combinaison bleue. Je travaille pour un concessionnaire automobile et je m'occupe de remplacer les pièces des voitures, que ce soit les freins, les pneus ou autres. Je suis comme un médecin pour les autos.

Les enfants sont pendus à ses lèvres et l'écoutent jusqu'à la fin. Puis, nous l'applaudissons et c'est le tour du papa de Nelly, qui est avocat.

Je dois avouer que j'ai de la difficulté à me concentrer puisque je sens le regard du policier sur moi. Je suis en train de me demander s'il va m'arrêter et me passer les menottes afin de démontrer à quoi ressemble son job. J'espère que non ; il a assez abusé de son autorité depuis notre dernière rencontre.

Les parents défilent les uns après les autres et, plus le temps passe, plus je suis contente d'avoir eu cette idée géniale de les faire venir. Chacun parle avec passion de son travail et certains racontent même des petites anecdotes comiques, comme la fois où une vache a pris en chasse le producteur bovin, ou qu'un cuisinier a échapper par terre le gâteau de mariage d'un couple.

C'est maintenant au tour de Mason.

— Bonjour tout le monde, dit-il de sa voix grave. Je suis Mason, l'oncle de Gabriel. Je suis policier et mon job consiste à arrêter les criminels.

Son oncle ? Pourquoi suis-je rassurée de savoir qu'il n'est pas son père ? D'un autre côté, je ne comprends pas pourquoi c'est lui qui est venu. Je vais devoir éclaircir ce point.

— Wow ! s'exclament les garçons, les yeux plein d'étoiles.

— Par contre, je ne fais pas que ça, poursuit l'officier. Je veille à ce que tout le monde respecte les règlements, que ce soit sur la route ou en public.

— Sinon, est-ce que tu les envoies en prison ? demande Zachary en levant sa main comme s'il voulait atteindre le plafond.

— Non, je leur donne des points de démérite.

— Nous aussi, nous avons des points de démérite lorsque nous ne nous comportons pas bien, l'informe Gisèle, une petite fille qui n'a pas la langue dans sa poche. C'est mademoiselle Laurel qui a eu l'idée. Et lorsqu'on a de bonnes notes, elle nous donne des autocollants pour nous récompenser.

J'avertis la petite de lever la main avant de parler tandis que Mason me fixe avec cette intensité qui lui est propre.

— Et qui punit mademoiselle Laurel quand elle ne se comporte pas bien ? demande-t-il à la classe.

Mais qu'il se taise, ce con !

— C'est notre professeur, dit Gabriel à son oncle. Elle se comporte toujours bien.

— Hum, fait-il. Si elle se comportait aussi bien que tu le dis, elle ne t'aurait pas demandé d'emmener ton papa aujourd'hui en sachant qu'il se trouvait au ciel.

Un silence embarrassant envahit la classe tandis que je deviens livide. Merde ! Ce devait être ça que Gabriel essayait de m'expliquer la veille alors que j'avais la tête ailleurs.

La cloche sonne au même instant, interrompant ce moment extrêmement gênant.

— Nous poursuivrons après la récréation, annoncé-je à la classe.

Puis, je m'adresse aux parents.

— Il y a une cantine au premier étage avec du café et des biscottes si vous avez un petit creux, les informé-je.

Tout le monde sort de la salle de classe et je peux enfin respirer. Jamais je n'ai eu aussi honte de toute ma vie. J'aurais dû discuter avec Gabriel afin d'en apprendre plus sur sa vie. Je suis tellement focalisée sur la mienne que j'ai oublié de m'informer sur celle des autres, plus exactement sur mes élèves. Je me sens maladroite et incompétente.

— Tu ignorais vraiment que son père était mort ?

Je sursaute et lève la tête. Cet ignoble policier se tient debout juste devant la porte.

— Monsieur, je ne vous autorise pas cette familiarité, le cinglé-je en reprenant mes esprits.

— Je ne suis pas au travail, alors nous pouvons nous le permettre.

— Moi, si. Maintenant, je vous prierais de bien vouloir me laisser seule pendant la récréation. J'ai besoin d'un moment de répit.

Je lui tourne le dos, mais il poursuit comme si de rien n'était :

— Le père de Gabriel est mort d'un accident de voiture il y a deux ans, m'informe-t-il. Lorsque mon neveu m'a dit que les pères étaient invités à venir parler de leur job, je me suis proposé.

— C'est très honorable de votre part, lui dis-je, sincère. Si vous permettez, je...

— Tu travailles ici depuis longtemps ?

Interloquée, je le fixe en me demandant comment on peut être à ce point irrespectueux en ne respectant pas le vouvoiement imposé par quelqu'un.

— Quelques années, réponds-je finalement.

— C'est bien ce que je pensais. Tu sembles jeune et...

— Si vous êtes sur le point de dire « inexpérimentée », je vous fiche dehors à coup de pied dans le cul, policier ou pas, le coupé-je.

Un demi-sourire étire sa lèvre charnue.

— J'allais dire « qualifiée », ajoute-t-il. Toutefois, je trouve que tu as un langage plutôt élémentaire, sinon grossier, pour une institutrice.

— Et vous, je vous trouve blessant et très mauvais en communication. Comme quoi l'habit ne fait pas le moine.

— Je suis parfois ferme et autoritaire puisque c'est mon métier.

— Tant mieux pour vous si votre petite amie apprécie votre fermeté. Quant à moi, je n'accepte pas qu'on me parle ainsi, et encore moins qu'on me rabaisse devant toute la classe.

— Je n'ai pas...

— Vous êtes détestable et vous abusez de votre autorité, l'admonesté-je. Voilà la vérité. Peut-être que j'ai fait preuve de négligence en oubliant de demander à mes élèves si leur papa était disponible et toujours en vie, mais je n'ai jamais manqué de respect envers qui que ce soit.

Il cligne des yeux, bouche bée. Habituellement, je préfère discuter calmement avec mon interlocuteur peu importe la situation. C'est ce que je préconise avec mes élèves, au lieu de s'emporter. Cependant, j'en ai ras-le-pompon de cet insupportable flic. Il parait enfin réaliser ce que je pense de lui et semble quelque peu déconcerté par mes dernières paroles. Tant mieux ! Je veux qu'il se sente aussi mal que moi devant mes élèves et leurs parents quelques minutes plus tôt.

— Navré de t'avoir donné cette opinion de moi, finit-il par articuler d'un air sincère. J'essayais seulement de faire mon boulot.

— Eh bien, la prochaine fois, essayez mieux, le rabroué-je sèchement.

Ses yeux plissés démontrent qu'il n'est pas très ravi de ma remarque. Je croise mes bras en le fixant avec animosité.

La guerre est déclarée.


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