Chapitre 3
Nous entrons dans le commissariat bondé à cette heure de pointe. Je tiens ma fille dans mes bras et Mason me suit.
Nous nous dirigeons vers les bureaux au fond du couloir. Il y en a au moins une vingtaine et plusieurs sont occupés par des collègues du policier qui m'accompagne. Ils discutent ensemble et tous s'interrompent en nous voyant.
— Aie ! s'exclame l'un d'eux. Ce ne serait pas la femme qui a...
— La ferme, Patrick, le coupe Maison, ce qui le fait rire.
— Que fait-elle ici ? lui demande un autre.
— Refus de coopérer, répond le flic d'un air détaché. J'ai pensé qu'un petit tour dans une cellule lui ferait du bien.
Les officiers éclatent de rire. Pourtant, je ne vois pas ce qu'il y a de drôle là-dedans.
— Il veut seulement se venger parce que j'ai menacé ses bijoux de famille, l'an dernier, ajouté-je en lui lançant un regard noir.
— Et impertinence vis-à-vis un représentant de l'autorité, ajoute-t-il d'un air sévère.
Ses collègues, amusés par notre petite joute, préfèrent ne pas s'en mêler et reprennent leur travail. Certains mangent à leur bureau. Je jette un petit coup d'œil à leur menu : sous-marin, burger et patates frites. Ça me donne l'eau à la bouche. Normalement, je serais en train de cuisiner et de faire manger ma fille à cette heure-ci. Celle-ci commence justement à pleurnicher.
— Qu'est-ce qui se passe ? interroge Mason en fixant Victoire avec suspicion.
— Elle a faim, lui réponds-je sèchement. C'est l'heure de son goûter.
— Je m'en occupe, s'exclame une femme policière en s'approchant de nous. Ce qu'elle est jolie, cette petite !
Qu'est-ce que je disais ? Ma fille va briser bien des cœurs, plus tard. Sans doute plus que moi. Jusqu'à présent, je n'ai eu qu'une seule fréquentation sérieuse le seul cœur qui ait été brisé, c'est le mien.
— Elle est allergique aux noix, informé-je la policière.
Celle-ci hoche la tête et l'emmène dans un petit coin avec comptoir-repas. Instantanément, trois autres policières se joignent à elle et deviennent gaga.
— Gérard, veux-tu bien aller porter Mademoiselle dans la cellule numéro quatre pendant que je rédige son constat d'infraction ? demande Mason à son collègue d'une cinquantaine d'années.
Celui-ci hoche la tête et me conduit dans un autre couloir où se trouvent plusieurs cellules.
— Voilà, me dit l'agent en me faisant entrer dans l'une d'elles. Ce ne devrait pas être bien long. Mason se montre parfois acerbe, mais c'est quelqu'un de bien.
Peut-être, mais je crois quand même qu'il abuse de son pouvoir d'agent. Toutefois, je n'ose pas faire de remarque sarcastique, craignant de passer encore plus de temps dans cette cellule.
Il referme la porte et me laisse debout dans cet endroit ne comprenant que deux mètres carrés.
Un raclement de gorge me fait sursauter et je réalise que je ne suis pas seule dans cette cellule. Un mec dans un mauvais état se trouve assis sur le banc du fond. Ses vêtements sont crasseux, sa barbe est mal rasée, sa pommette saigne légèrement et son regard lubrique me fait reculer.
— Tiens, tiens, me dit-il en articulant difficilement.
Il est apparemment sous l'emprise de substances illicites.
— On m'a arrêté pour avoir agressé une femme, mais on m'enferme avec une autre, ajoute-t-il en se léchant la lèvre. Quels imbéciles, ces flics !
Il se lève péniblement et s'avance vers moi. L'effroi m'empêche de bouger.
— Reculez ou je crie, le menacé-je.
— J'en doute, répond-il avec un sourire mauvais.
Avant que je n'aie pu réagir, il me tire et appuie sa main crasseuse sur ma bouche, m'empêchant de hurler. Pour quelqu'un qui n'est pas dans un état normal, il est drôlement vif. Mais peut-être que c'est, justement, son état normal.
En moins de quelques secondes, je me retrouve sur le sol froid, mon corps bloqué sous celui de cet immonde individu. Je panique et j'essaie de bouger, sans résultat.
— Tiens-toi, tranquille, salope, me menace-t-il, ou je te tords le cou.
Il tire sur ma blouse en satin et la déchire sur toute sa longueur, dévoilant une partie de mon soutien-gorge. Dites-moi que je rêve, ou plutôt, que je cauchemarde ! Je vais me faire agresser dans un commissariat de police. Quelle ironie !
Je décide de réagir lorsque sa main dégueulasse se pose sur ma poitrine. Je mors de toutes mes forces celle qui me bâillonne. Il me lâche en poussant un juron et j'en profite pour hurler aussi fort que je le peux, ce qui me vaut une belle baffe. Le coup me déchire la lèvre et je sens immédiatement le goût du sang se répendre dans ma bouche.
Alors que je sanglote, désespérée, j'entends des bruits de pas dans le couloir. Cinq agents, dont Mason, déboulent devant ma cellule et la déverrouillent rapidement. Ils se jettent sur mon agresseur et le plaquent par terre tandis que j'essaie de reprendre mon souffle, ébranlée.
— Est-ce que ça va ? me demande Mason en m'aidant à me relever.
— Est-ce que j'ai l'air d'aller bien ! hurlé-je, encore sous le choc. Il était sur le point de...oh mon Dieu...
Je réalise que j'ai vraiment failli me faire violer et je vacille sur mes jambes.
Mason me retient en jurant et admoneste son collègue :
— Idiot ! Je t'avais dit de la mettre dans la cellule numéro quatre, pas dans la huit.
Celui-ci bafouille des excuses.
— Va-t-elle faire un malaise ? demande un policier en me désignant.
— Je m'en occupe, lui répond Mason. Et lui, mettez-le en retrait, ajoute-t-il en désignant le prisonnier. J'espère qu'il va faire prison à vie.
Mason enlève sa veste de policier et la pose doucement sur mes épaules, cachant ainsi mon haut déchiré.
— De quoi ai-je l'air ? lui demandé-je, en reniflant d'une façon pas très élégante.
— D'une dure à cuire, répond-il avec un petit sourire moqueur. Venez.
Es-il plus sympathique parce qu'il a pitié de moi ? Ou s'en veut-il d'avoir laissé son imbécile de collègue m'enfermer avec l'agresseur ? J'espère qu'il est conscient que ça aurait pu très mal se terminer. En tout cas, moi, je le suis. Je tremble toujours, secouée par cette accès de violence auquel j'ai eu droit. Mason m'accompagne dans la salle de bain. J'ai un mouvement de recul en apercevant mon allure. Mon maquillage a coulé sous mes yeux, mes cheveux sont ébouriffés, mes paupières sont gonflées et ma blouse n'est bonne qu'à servir de chiffon. Et c'est sans parler de ma lèvre tuméfiée.
Je fais peur à voir.
— Je vais chercher une compresse pendant que vous vous nettoyez un peu, me dit Mason en refermant la porte.
J'en profite pour me débarbouiller avec un gant de toilette propre et j'attache mes cheveux en une queue de cheval. L'agent revient et me tend un sac congelé.
— C'est pour diminuer l'enflure, m'informe-t-il.
Je le remercie et appuie la glace sur ma lèvre.
— Et dire que, si vous ne m'aviez pas prise en grippe, je serais en train de dîner avec un homme séduisant dans un bon petit restaurant, grogné-je, irritée. En plus, je meurs de faim.
— Dans ce cas, je vous emmène dîner, me dit l'officier.
J'écarquille les yeux, surprise par sa suggestion.
— Il en est hors de question, rétorqué-je. Vous n'êtes qu'un...vous n'êtes pas aimable et je refuse d'aller où que ce soit avec vous. Je crois que vous en avez assez fait pour ce soir. Donnez-moi mon amende et je m'en vais.
J'ai envie de m'encabaner chez moi et d'oublier cette affreuse soirée.
— Dans ce cas, je vais vous reconduire chez vous, me dit-il en fixant son regard pénétrant sur moi. Allons chercher votre fille.
Nous retournons dans les bureaux, où ses collègues jouent avec Victoire. Celle-ci se promène partout de sa petite démarche de bébé. Elle n'est pas encore très solide sur ses pieds et c'est mignon de la voir se dandiner ainsi. Elle parait contente comme tout de me voir et m'adresse un grand sourire qui fait fondre mon cœur.
— Allons-y, me dit Mason. Je finirai votre constat un autre jour.
Je ne réponds rien et le suis jusqu'à la voiture de patrouille. Il conduit tranquillement jusqu'à ma rue sans que je ne lui donne d'indication.
— Comment savez-vous où j'habite ? lui demandé-je, suspicieuse.
— C'était inscrit sur votre permis de conduire, affirme-t-il.
Il l'a retenu ? Il a vraiment une excellente mémoire.
L'agent se stationne dans ma cour et retire son ceinturon, qui comprend son talkie-walkie, son pistolet et sa matraque.
Je remarque que ma voiture est garée devant la porte de mon garage.
— Qui est allé chercher mon auto ? questionné-je, surprise.
— Gérard, me répond Mason. Il voulait se faire pardonner sa mainmise. Il est un peu distrait depuis qu'il a appris que sa femme souffrait d'un cancer.
— Oh ! Je suis désolée pour lui.
Je lui en veux un peu moins en apprenant ceci. Pauvre homme ! Ça ne doit pas être facile de travailler dans ces conditions.
— Il est sensé prendre sa retraite l'an prochain, m'informe le policier. En attendant, il est enquêteur.
Maison m'aide par la suite à entrer le siège de voiture de bébé à l'intérieur de ma maison. Celle-ci, âgée d'une trentaine d'années, a été rénovée deux ans auparavant. La cuisine, la salle de bain, le plancher et le recouvrement extérieur on été refaits au goût du jour. Mon père et mon frère ont effectué eux-mêmes les travaux et je dois avouer que j'adore le résultat final. C'est moderne, peint en gris clair et agrémenté par des insertions de bois exotique, comme le plancher et les cadrages, et par des touches de noir tels que les poignées, les accessoires de décorations, les fenêtres et les robinets. J'ai ajouté un peu de verdure, moi qui adore les plantes, plus particulièrement les palmiers d'intérieur. J'ai malheureusement dû enlever tous mes cactus lorsque Victoire a commencé à marcher.
Le hall d'entrée est spacieux et comprend une penderie qui permet de ranger immédiatement les souliers et les vêtements d'extérieur. J'en profite pour remettre au policier sa veste qu'il m'a aimablement prêtée.
Au moment où je m'apprête à le mettre dehors, il se dirige vers ma cuisine comme s'il se trouvait chez lui.
Mais que fait-il ? Je reste interloquée pendant un instant, puis je le suis, Victoire dans les bras.
— Faites comme chez vous ! lui lancé-je d'un ton sarcastique.
— On peut se tutoyer puisque je ne suis plus en service, me répond-il seulement en ouvrant la porte de mon frigo.
— Sûrement pas ! Nous ne sommes pas amis.
— J'ai assisté à ton accouchement, me dit-il. Je crois que ça me donne ce droit.
Ses yeux rencontrent les miens et je me sens rougir à ce souvenir. Il s'est comporté comme un vrai compagnon pendant les minutes les plus douloureuses de ma vie. Néanmoins, ça ne fait pas de nous des amis, et encore moins des connaissances.
— Saumon, crevettes, riz, avocat, énumère Mason en examinant le contenu de mon frigo. Que dirais-tu d'un poke bowl ?
— Euh...
— Tu devrais aller coucher ta fille en attendant que je nous prépare tout ça.
J'ai de la difficulté à assimiler ce qu'il vient de me dire. Il va vraiment cuisiner comme chez lui ?
Victoire, qui est toujours dans mes bras, commence à gigoter, alors je la conduis dans sa chambre, où je la change, lui donne son biberon et l'endors.
Un quart d'heures plus tard, je retourne dans la cuisine et reste complètement ahurie devant la table dressée. Mason y a installé des condiments, des bols remplis de riz et il a même trouvé les baguettes chinoises que m'a offertes ma mère le Noël dernier.
Le jeune homme me tourne le dos. J'en profite pour reluquer son derrière moulé par son uniforme de policier. Il est plus que plaisant à regarder. Sans sa veste, je peux détailler à ma guise son dos découpé par son t-shirt noir. Ses bras musclés à souhait démontrent qu'il doit s'entraîner pour garder la forme.
Ouf ! Il fait chaud tout d'un coup. Pourtant, le chauffage parait normal. Je n'aurais jamais cru que regarder un homme remuer une salade pouvait être à ce point troublant.
Je n'arrive toujours pas à réaliser qu'il y a un flic dans ma cuisine en train de me préparer un repas.
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