Chapitre 14

Une fois Victoire couchée, je retourne au salon, où j'y retrouve Mason. Il est appuyé contre la bibliothèque et regarde par la fenêtre.

—    Elle dort ? me demande-t-il en tournant la tête vers moi.

     Je hoche la tête.

—    Café ou thé ? le questionné-je. J'ai du décaféiné si tu veux dormir.

—    Café, s'il te plaît.

     Je vais à la cuisine préparer nos boissons puis, lorsque je reviens, le policier a allumé la télé et regarde le télé-journal.

—    Te tiens-tu toujours au courant des actualités ? lui demandé-je.

—    Je n'ai pas vraiment le choix avec le métier que j'exerce, me répond-il.

—    En parlant de cela, je voulais te dire que ton métier ne me rebute pas. Je me suis mal exprimée l'autre fois. Par quelqu'un comme toi, je voulais dire quelqu'un qui aime bouger, qui a plein de projets et qui est libre, c'est-à-dire tout ce que je ne suis pas.

     Je baisse les yeux en retenant un soupir de lassitude. Lui et moi ne sommes pas rendus au même stade. J'ai l'impression de vivre comme une femme de quarante ans, perdue dans ma petite routine quotidienne. Je suis certaine que ma vie le rebutera lorsqu'il me connaîtra mieux. Nous sommes l'opposés l'un de l'autre. Moi, la fille ennuyante et routinière, lui, le flic actif et...chiant. Oui, ce mec est chiant. Il possède tout pour faire fantasmer le sexe opposé. C'est comme une succulente pâtisserie qu'on ne peut même pas toucher. Et même si je le voulais, ça ne m'apporterait rien de bon. Seulement de la déception...encore. Et ça, je ne peux me le permettre.

     Mason ne répond pas tout de suite. Il boit son café en fixant la télé.

—    Les raisons que tu me donnes ne sont pas fondées, dit-il finalement. J'aime bouger, c'est vrai, mais rien ne m'empêche de le faire si je suis en couple. Et les vélos avec sièges pour enfants existent. De plus, des projets, tout le monde en a, mais ils changent selon notre cheminement. Lorsque nous sommes en couple, ils se transforment pour se faire à deux, ou à plusieurs dans le cas des familles.

     Ce type a le don de me boucher un coin.

—    Tu as peur de tomber en amour avec moi, conclut-il en s'étirant comme un chat. J'ai compris en voyant ton crétin d'ex. Tu dois craindre de tomber à nouveau sur un type comme lui. Cependant, je suis loin de lui ressembler.

—    Ça, je l'avais remarqué, ironisée-je. Toutefois, son infidélité a détruit ma vision de l'amour et ma confiance en moi, alors...

—    Alors, il te faut quelqu'un pour t'aider à la reconstruire.

     J'allais dire qu'il me faudra beaucoup de temps avant de me laisser prendre à nouveau dans le piège de l'amour.

—    Faisons un compromis, me propose Mason. Je t'aide à voir la vie autrement et, en échange, tu me fais une petite place dans la tienne.

     Je fronce les sourcils. Ça proposition n'a aucun sens.

—    Comment comptes-tu faire cela ? questionné-je.

—    Tu verras, me répond-il d'un air mystérieux. Alors, qu'en dis-tu ?

—    Je ne vois pas comment tu peux me faire voir la vie différemment.

—    Ah ouais ?

     Mason me fixe, puis son regard vagabonde sur mon corps, ce qui me rend mal à l'aise.

—    Et comment te vois-tu, toi ? me demande-t-il.

—    Euh...comme quelqu'un bien ordinaire.

—    C'est faux. Tu es authentique, dévouée, spontanée, attachante, dynamique et très séduisante.

—    Séduisante ? répété-je. Tu m'as bien regardée ?

     Je porte un pantalon de jogging gris et un débardeur noir. Rien d'affriolant.

     Ma remarque semble l'amuser.

—    J'aime la beauté naturelle, sans artifice, me dit-il. Tes cheveux qui ondulent irrégulièrement te donnent un air impulsif et têtu. Tu es une femme qui aime bouger.

—    Je ne suis pas très active, contesté-je. Je suis plutôt sédentaire ces temps-ci.

—    Il y a plusieurs façons de bouger...

     Je toussote suite à son dernier commentaire afin de dissimuler mon embarras. Je suis toujours mal à l'aise lors d'une d'allusion sexuelle. À moins que je n'aie trop d'imagination.

     Cependant, le petit sourire narquois que Mason m'adresse me prouve qu'il songe à la même chose de moi.

—    J'aime la nature, m'avoue-t-il et, lorsque je fixe tes yeux, j'ai l'impression de voyager, de parcourir milles lieux. Les différentes expressions de ton regard font varier les tonalités de vert de tes iris. Parfois, je traverse la jungle amazonienne, d'autres fois, je surplombe l'île hawaïenne, et quelques fois, les montagnes canadiennes. Ils me dont visiter les eaux vertes de la Laguna Verde ou ceux du lac volcanique Okana. Tes yeux sont une porte sur le monde entier.

     J'ai la bouche grande ouverte. Jamais on n'avait comparé mes yeux à la nature sauvage, aux forêts tropicales ou à un lac couleur émeraude. On m'avait seulement sorti une phrase ringarde concernant les étoiles. Je ne m'en souviens même plus tellement ça fait longtemps.

—    Dans ce cas, tu as dû être déçu lorsque tu es entré chez moi, plaisanté-je. Ma porte n'ouvre pas sur grand-chose.

     D'accord, ma blague est pourrie, mais je suis tellement déroutée par sa petite déclaration qui avait presque l'air d'un poème que je suis incapable de formuler une pensée correcte.

—    Au contraire, ton décor est aussi expressif que tes yeux, réplique-t-il.

     Toujours le dernier mot, celui-là !

—    À part mes yeux, je n'ai rien d'intéressant, argué-je. Tu m'as vue ?

—    Oui, je me souviens du sauna que nous avons pris ensemble.

     Je rougis à ce souvenir.

—    Alors, tu as probablement aperçu mes jambes flasques ou ma cellulite ou...

—    Laurel ! me coupe-t-il. J'ai vu le corps d'une vraie femme tout en courbes et très sexy. Arrête de te dévaloriser ainsi. Tu es parfaite telle que tu es.

     Okay, la conversation est un peu trop poussée à mon goût.

—    Lorsque je te parlais de voir la vie autrement, je parlais aussi de ta façon de te percevoir. Ce sera du travail, mais je suis sûr que ça t'aidera à t'épanouir.

     Où est passé la grosse brute qui m'a arrêtée pour avoir raté un stop ? Ce type est vraiment surprenant. Et moi qui pensais qu'il s'apparentait à un robot ? Robocop Mason, ça sonnait bien ? Maintenant, ça semble être n'importe quoi. Son visage impassible de flic trop sûr de lui se transforme en un homme passionné par...moi ?

—     Et moi qui trouvais qu'il te manquait de tact avec les gens et que tu n'avais pas le sens relationnel ! soufflé-je, déboussolée.

—    C'est seulement parce que tu me rends fou avec ton impertinence, réplique le flic.

     Je lève les yeux au ciel et mon regarde s'attarde sur la vieille horloge grand-mère que j'ai entièrement retapé. Mince ! Il est vingt-deux heures passé. Je travaille demain et je dois me lever tôt afin de préparer mes cours.

     Mason a deviné à quoi je pense.

—    Vas te coucher, me dit-il. Cette journée a été riche en émotion. Et dors sur tes deux oreilles.

     J'acquiesce et lui souhaite bonne nuit. Je prends une douche rapide, puis me couche. Je m'endors en rêvant de forêts tropicales et de lacs verts.

     Toutefois, des pleurs me réveillent et je me lève en reprenant contact avec la réalité. Il est quatre heures du matin et Victoire prend souvent un biberon à cette heure. Je descends au rez-de-chaussée et passe devant le salon. Je retiens un petit rire en apercevant les pieds de Mason dépasser de mon canapé. Il est un peu trop grand pour ce mobilier.

     Je ne m'attarde pas et m'empresse de faire chauffer le lait, puis me rends dans la chambre de ma fille. Je la prends dans mes bras et m'installe dans la chaise berçante. Je l'ai achetée dans un marché aux puces et l'ai repeinte en blanc. J'ai ensuite cousu un gros coussin rembourré et la transformation m'a beaucoup plu. J'aime recycler et donner une nouvelle vie aux objets. Hélas, je n'ai plus le temps de m'adonner à cette activité depuis que je suis devenue maman mais, un jour, je vais m'y remettre.

     Je berce ma fille pendant qu'elle boit son lait tout en chantant une berceuse que j'adore.

Ma mère chantait toujours, la la la
Une vieille chanson d'amour
Que je te chante à mon tour
Ma fille tu grandiras
Et puis tu t'en iras
Mais un beau jour
Tu te souviendras à ton tour
De cette chanson-là**

     Au moment où Victoire termine son biberon, j'entends un craquement et je lève les yeux pour surprendre Mason qui me fixe depuis le corridor d'un drôle d'air. J'ai laissé la porte entrouverte et il a dû entendre ma voix.

     Son visage exprime quelque chose de tout nouveau, une émotion que je n'avais encore jamais aperçue sur lui : une effusion de tendresse mélangée à une douceur insoupçonnée sur ses traits virils et souvent sévères.

     Il me fait un petit signe de la tête, puis repart.

     Le lendemain matin, je découvre un salon désert. Le policier est parti aux aurores sans me dire au revoir.

     Tout en préparant le petit-déjeuner, je cherche infructueusement le contrat qu'il a laissé sur la table la veille. Il est peut-être tombé et est allé se coincé sous le divan. Toutefois, mes recherches demeurent vaines.

     J'ai perdu cette fichue amende !


**Chanson de Fabienne Thibault.

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