Chapitre 11
J'ouvre les yeux en grimaçant. Ma tête tourne et je ne vois qu'un plafond flou. Ça me prend au moins cinq bonnes minutes avant que ma vision ne se stabilise. Je réalise que je me trouve dans une chambre et que ce n'est pas la mienne, alors mon cœur s'emballe. J'essaie de me rappeler comment j'ai pu atterrir dans cet endroit inconnu, mais c'est le néant. La dernière chose dont je me rappelle, c'est d'avoir dansé avec les jumelles pendant que Kayra faisait du charme aux policiers.
Je me redresse en essayant d'ignorer la nausée qui me gagne. J'ai déjà eu des lendemains de veille difficiles, mais celui-ci les bat à plate couture. Je gémis en réfrénant un haut-le-cœur. J'aimerais me lever et quitter les lieux en courant, mais j'ai peur d'être malade.
J'en profite pour détailler la grande chambre qui ne me dit absolument rien. Elle est décorée sobrement. Des stores romains empêchent la lumière de pénétrer à l'intérieur, mais la peinture claire et les meubles en bois pâle me permettent de bien apercevoir le décor. Une simple toile aux motifs abstraits au-dessus du lit donne un peu de couleur à la pièce.
J'essaie de me concentrer afin de dissiper ce brouillard qui enveloppe mes pensées et m'empêche de me rappeler les faits. C'est alors que je réalise que mes bras sont nus. En baissant les yeux, je me rends compte qu'on m'a déshabillée, ne me laissant que mes sous-vêtements.
Ça y est ! Je panique et m'apprête à hurler lorsque la porte de la chambre s'entrouvre. J'ignore si j'éprouve du soulagement ou de la colère en voyant apparaître Mason. Celui-ci s'approche du lit en me tendant un grand verre d'eau. Je remonte les couvertures pour me couvrir un minimum.
— Comment te sens-tu ? me demande-t-il.
— Est-ce que j'ai l'air de quelqu'un qui pète le feu ?
Il parait amusé par ma réplique, mais pas moi. Je suis de mauvaise humeur et je veux des explications.
— Les effets que tu ressens ne sont pas dus à l'alcool, me dit-il, mais au GBH.
Ce nom me dit vaguement quelque chose.
— La drogue du viol, ajoute-t-il en voyant mon froncement de sourcil.
J'ouvre la bouche, stupéfaite, et secoue frénétiquement la tête.
— Impossible, réponds-je, catégorique. Je n'ai pas quitté une seule fois mon verre des yeux.
Mason pousse un long soupir et se frotte le front.
— En fait, un serveur du bar a été embauché par un groupe d'agresseurs pour verser la drogue dans les verres qu'il servait. En tout, vous avez été une vingtaine de femmes à avoir été intoxiquées.
Ça alors ! J'en reste bouche bée. Et moi qui me croyais à l'abri dans cette petite ville tranquille !
— Notre mandat était de repérer les violeurs ainsi que leur complice. Si j'avais su que tu étais présente, je t'aurais fait sortir bien avant.
— Et mes amies ?
— Elles n'ont rien et sont reparties après l'arrestation des coupables.
Ouf ! Je n'en reviens toujours pas.
— Donc, récapitulé-je, si tes collègues et toi n'aviez pas été là...
Je suis incapable de finir ma phrase, tétanisée.
— Tu aurais sans doute été victime de viol.
L'entendre de sa bouche me fait réaliser qu'il m'a sauvée. Le visage du flic est très grave et je comprends que j'ai eu une chance inouïe qu'il soit présent ce soir-là.
— Pourquoi m'as-tu emmenée chez toi et pas à l'hôpital ? lui demandé-je.
Je me rends compte qu'après les derniers événements, je ne peux plus le vouvoyer.
— Tu as repris conscience alors que les ambulanciers arrivaient. Tu avais de la difficulté à parler et à bouger, mais ils en ont conclu que les effets se dissiperaient rapidement. D'autres ont toutefois été transportées à l'hôpital parce qu'on ne parvenait pas à les réanimer.
Je grimace, choquée à cette pensée.
— Je ne me rappelle de rien.
— C'est normal. C'est l'un des effets secondaires du GHB. Tu étais aussi molle qu'une poupée de chiffon.
Je frisonne en l'entendant prononcer ces trois petites lettres qui peuvent détruite complètement une personne en une seule nuit.
— Et pour répondre à ton interrogation sur ta présence ici, ajoute Mason, je ne trouvais pas tes clés, alors je n'ai pas eu le choix de te ramener chez moi. Tes copines étaient incapables de prendre soin de toi puisque tu ne tenais pas debout.
Pas étonnant qu'ils n'aient pas trouvé mes clés ; je les cache toujours dans mon décolleté afin de ne pas les perdre. Au moins, je suis certaine qu'il n'a pas glissé la main entre mes seins. Néanmoins, je suis fâchée contre Kayra. Pourquoi m'avoir laissée avec ce type que je ne connais point ? Elle va en entendre parler.
— Ton amie m'a menacé de me briser les couilles avec un casse-noisettes si jamais je profitais de la situation, précise le policier avec un petit sourire amusé. Elle ne pouvait clairement pas te ramener chez elle en taxi.
— Parlant de profiter de la situation, que fais-je en sous-vêtements ? questionné-je en croisant mes bras sur ma poitrine.
J'espère qu'il a une bonne excuse, sinon, policier ou pas, je vais lui en faire voir de toutes les couleurs.
— Tu as toi-même enlevé ton haut, mais j'ai dû t'aider à retiré cette...chose qui te sert de pantalon. On aurait dit une deuxième peau. J'ai failli utiliser les ciseaux tellement c'était serré.
Je me sens rougir de honte. C'est décidé. Je ne les mettrai jamais plus.
— Ils te faisaient un cul d'enfer, soit-dit en passant, ajoute Mason en se penchant vers moi.
Mon regard est happé par ses prunelles aux éclats de saphir. Le corps de l'homme est à quelques centimètres du mien et je ressens la chaleur qu'il dégage ainsi que les effluves de sa lotion après-rasage. Une note de fraicheur mélangée à une épice vivifiante me donne envie de plonger mon nez dans son cou et de le humer incessamment. Cependant, je ne veux pas qu'il gagne cette manche, pas alors que je suis incapable de me concentrer avec ma tête qui semble peser une tonne. Je choisis donc de reculer afin de ne pas lui démontrer à quel point il me fait de l'effet. S'il est déçu par mon repli, il n'en laisse rien paraître. Je suis incapable de décrypter ses réactions en ce moment. Il les cache bien, se contentant de m'analyser pour sans doute vérifier si je présente encore des effets de la drogue.
— Si tu veux prendre une douche, j'ai placé quelques vêtements dans la salle de bain, me dit-il enfin en se levant. Ils vont peut-être être trop grands, mais ça devrait faire l'affaire en attendant que je te ramène chez toi.
— Quand ? lui demandé-je.
— Lorsque tu iras mieux, répond-il seulement en sortant de la chambre.
Curieusement, je ne suis pas si pressée de quitter cet endroit. J'ai envie d'en apprendre plus sur ce flic insondable.
Je me lève péniblement et attends plusieurs minutes avant d'être capable de poser un pied au sol. La chambre tourne quelque peu. Je prends donc tout mon temps afin d'être certaine de embrasser le plancher.
Mason ne m'a pas indiqué où se trouve sa salle de bain, alors je sors de la chambre dans laquelle j'ai dormi et entreprends cette quête périlleuse qu'est de trouver la fameuse douche. J'ouvre la porte face à la mienne et me retrouve dans un autre chambre à coucher, puis j'ouvre une seconde porte, toujours une chambre, mais celle-ci est assurément à Gabriel, son neveu. Elle est remplie d'affiches de Spider Man et de Batman. Finalement, la dernière porte est la bonne. La salle de bain est assez petite, mais pratique et décorée avec soin. La céramique grise qui imite le béton donne un ton plutôt froid à la pièce, mais le mur couleur feu équilibre l'ambiance. De plus, le plancher chauffant est si réconfortant pour mes pauvres pieds gelés que j'en soupire de bonheur. La douche est parée de blanc et de gris et est légèrement plus petite que la mienne. Toutefois, je ne m'attarde pas à ce détail, trop pressée à goûter à une bonne douche qui en enlèvera cette odeur d'alcool et de sueur qui me colle à la peau. J'emprunte le gel douche au parfum d'agrume qui traîne sur une tablette et me savonne à l'aide d'une éponge. Puis, je lave mes cheveux et tente de les démêler avec mes doigts.
Une fois ma douche terminée, je prends une longue serviette blanche accrochée sur un crochet et repère des vêtements masculins qui sont déposés sur un petit tabouret blanc.
Ma bouche s'entrouvre de stupéfaction lorsque je découvre un boxer bleu marin, propre, bien sûr, ainsi qu'un jean et un t-shirt bien trop large pour moi. J'hésite à les enfiler, mais je n'ai aucunement le goût de remettre mes vêtements de la veille, alors je revêts les habits du policier.
Je m'examine dans le miroir avec appréhension et je pouffe en me voyant accoutrée ainsi. J'ai l'air d'un garçon manqué...ou d'une fille manquée. Bref, je flotte littéralement là-dedans et je parais encore plus petite que je ne le suis déjà. Aucune chance que je sorte de la salle de bain vêtue ainsi ! Je tourne sur moi-même en inspectant les vêtements. Avec une ceinture, le pantalon tiendrait probablement. Or, je n'en ai pas. Toutefois, je lorgne le peignoir blanc accroché sur le panneau vitré de la douche. Je tire sur la ceinture en ratine et l'entoure autour de ma taille. C'est affreux...mais ça tient. Ensuite, j'empoigne le bas du t-shirt de Mason et le remonte en faisant un nœud. Voilà ! Mes hanches sont dénudées, mais je n'ai plus l'air de flotter dans un sac à poubelle.
J'attache finalement mes cheveux avec l'élastique à mon poignet. Comme toutes les filles qui ont une chevelure indomptable telle que la mienne, je n'ai pas le choix de toujours en avoir un sous la main.
Je sors de la salle de bain et observe les lieux. Le couloir débouche sur des escaliers, que je m'empresse de descendre. J'arrive dans un grand salon dont le toît cathédrale donne l'impression que le plafond est interminable. Agrémenté de hautes fenêtres, j'ai presque l'impression de me trouver à l'extérieur. Wow ! Ma maison est minuscule à côté de celle-ci. Je m'avance dans la pièce, mais une odeur de crêpe m'arrête net. Je meurs de faim ! Je n'ai pas mangé depuis le dîner de la veille et mon estomac est vide.
Je me laisse aussitôt guider par les effluves appétissants provenant de la cuisine. Celle-ci est plus petite que la mienne et sans dessus-dessous. Je suppose que Mason n'est pas habitué à ranger au fur et à mesure qu'il sort les ingrédients. Il est justement aux fourneaux et j'en reste baba en l'apercevant vêtu d'un tablier noir sur lequel est écrit : « Haut les mains, Donne-moi ton cœur ! ». Cette phrase est tellement kitsch que je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. Le policier me remarque à ce moment-là et ose un sourire lorsqu'il découvre mon accoutrement.
— Pas mal, dit-il. Je n'aurais pas pu faire mieux.
— Apparemment, si, réponds-je en désignant son tablier.
Il rigole.
— C'est ma sœur qui me l'a donné pour Noël.
— Elle n'est pas là ?
— Non, Gabriel et elle sont allés jouer aux arcades, me répond-il en sortant des gaufres de la machine à gaufres.
J'en ai l'eau à la bouche. J'aime encore mieux que les crêpes, surtout avec du sirop d'érable. Je m'assure que toutes les petites cavités en sont emplies. Ce n'est pas bon pour ma taille, mais pour mon moral, si.
— Je me suis dis que tu devais avoir faim, commente le flic. Si je me fie à la bave qui dégouline de ta bouche, ce doit être le cas.
Je lui jette un regard noir en pinçant mes lèvres. Elles s'étaient légèrement entrouvertes, mais aucun liquide n'en émergeait.
Mason enlève son tablier sexy et me fait signe d'approcher. Il a enfilé une paire de jeans clair qui dévoile son arrière-train rebondi et qui pend sur ses hanches. Tout d'un coup, je me demande ce qui est le plus alléchant : lui ou les crêpes ?
Je secoue la tête de gauche à droite en essayant de repousser ces pensées. La drogue et l'alcool ne doivent pas encore avoir quitté mon corps. Habituellement, je ne suis pas aussi perverse.
— As-tu encore des nausées ou des étourdissements ? me demande-t-il en me tirant une chaise.
Je fronce les sourcils, perplexe. Depuis quand est-il aussi attentionné ? Pourquoi sa personnalité tangue-t-elle entre deux visages : le gentil et le connard autoritaire ?
— Voilà, me dit-il en me tendant mon assiette. Je ne savais pas avec quoi tu préférais tes gaufres, alors j'ai sorti un peu de tout, ajoute-t-il en me désignant la table.
Mince ! Il y a du chocolat, des bananes, des bleuets, des fraises, de la crème chantilly ainsi que du caramel et du miel. Sans oublier le fameux sirop que j'adore.
J'écarquille les yeux, émerveillée par toutes ces succulentes garnitures.
— Merci d'avoir préparé tout ça.
Il hausse les épaules comme si c'était tout naturel.
— Et merci pour...hier...bafouillé-je.
Je suis quelque peu gênée de ramener le souvenir de cette soirée pour le moins perturbante, mais je lui suis reconnaissante d'avoir arrêté ces agresseurs et, surtout, de s'être occupé de moi. Il aurait pu me laisser me débrouiller.
Il lève la tête et ses iris azurés percutent les miens.
— De rien, me répond-il. J'aime bien joué les gardes du corps avec toi.
Je crois que nous venons d'enterrer la hache de guerre, jusqu'à ce qu'il me dise avec un sourire narquois :
— Ça ne m'empêchera pas de te donner ton amende la prochaine fois que nous nous verrons.
Connard !
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