Chapitre 11

Hey !

Avec cette victoire de la France contre la Pologne, je me suis dit que ça mérite bien un petit chapitre. 

Bon évidemment c'est triste hein mais bonne lecture quand même. En vrai c'est sympa, c'est un peu plus long en plus. 

C'est écrit sur El invento de José Gonzalez

Enjoy !


Chapitre 11


L'odeur d'un café trop fort, les effluves de produits désinfectants et une atmosphère de profonde fatigue se mélangeaient dans la petite salle de repos du service de chirurgie orthopédique de la Pitié Salpêtrière. Agitant lentement sa cuillère pour dissoudre les morceaux de sucre dans son breuvage noir, Jae laissa reposer sa tête sur la table de mauvaise qualité. Il jeta un coup d'œil à sa montre, puis par la fenêtre. 4 heures 36. La nuit semblait bien sombre et les étoiles étaient voilées par les nuages. Il lui restait encore quelques heures de garde avant que l'équipe de jour ne le remplace.

Le service n'avait eu à compter encore aucune urgence et il se surprit à laisser son esprit se balader. Il avait l'impression d'avoir passé les deux dernières années coincé dans cette pièce exiguë. Il était rentré d'un Euro 2019 avec un goût amer dans la bouche et dans le cœur. Il n'y avait pas un jour où il se demandait s'il avait pris la bonne décision. Mais peu importait combien le regret le dévorait, il savait qu'il était trop tard. Elohim avait dû passer à autre chose, construire son propre chemin et avancer. Même s'ils ne s'étaient pas recroisés en équipe de France, à cause de ses blessures, son niveau de jeu avait explosé et il avait atteint une autre dimension. Alors pourquoi, si Jae savait qu'il n'y avait plus aucun espoir, ne pouvait-il pas s'empêcher de le garder dans un coin de son esprit ? Il ne préférait pas répondre à cette question. Il avait trouvé une autre solution : se noyer dans son travail, prendre le plus de gardes et d'astreintes possible. Ausculter, manipuler, soigner. Il maintenait son cerveau occupé.

Mais cette fois, il ne put lutter contre les souvenirs d'Elohim, l'attirance qu'il avait presque immédiatement ressentie, ce premier baiser, les frissons à chaque fois que ses doigts le touchaient. 

Sans qu'il ne puisse expliquer pourquoi, cette nuit semblait étrange, comme si un mauvais pressentiment s'emparait de son cœur. Il n'eut pas vraiment le loisir de s'étonner plus longtemps car son téléphone sonna. C'était une médecin des urgences qu'il connaissait bien, Dr Chloé Lavigne. Il fronça les sourcils, vérifia son beeper mais il n'avait pas été prévenu, et décrocha finalement.

- Jae, je suis contente que tu décroches ! Est-ce que tu es toujours le médecin de l'équipe de France de handball ?

- Oui.

- C'est bien ce qu'il me semblait. J'ai un patient là qui a été admis aux urgences pour une agression au couteau. Je crois que c'est un joueur.

Jae faillit renverser sa tasse de café.

- Son nom ?

- Elohim Prandi.

Il se leva d'un bond, pris d'une soudaine panique.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- Sortie de boîte, il a été poignardé cinq fois dans le dos, il a aussi été frappé. Deux côtes fêlées et trois doigts de la main gauche fracturés.

Jae crut un instant que ses jambes allaient s'effondrer, comme si tout le poids du monde s'écrasait sur lui.

- Aucun organe vital n'a été touché et il est hors de danger. Mais... il est dans un sale état et je n'ai pas encore de diagnostic par rapport à sa carrière, je me suis dit que tu serais mieux placé pour en poser un et lui expliquer.

- J'arrive tout de suite.

Jae quitta la pièce, prévint l'interne de garde de le beeper si jamais il y avait une urgence et courut vers l'ascenseur pour rejoindre la chambre dans laquelle Elohim était, une boule grossissant dangereusement dans son ventre. Il sentit son rythme cardiaque s'accélérait et dû se coller contre une paroi pour se rassurer. Imaginer, ne serait-ce qu'une seule seconde, Elohim, blessé, au fond d'un lit d'hôpital, le rendait malade. 

Arrivé au bon étage, il chercha le numéro de chambre, alors qu'une peur, qu'il n'avait jamais expérimenté auparavant, grignotait petit à petit son esprit. Chambre numéro 218. Il saisit la poignée. Sa main se mit à trembler. Chirurgien expérimenté, aux doigts plus précis qu'une machine, il n'avait pas souvenir d'avoir autant tremblé. 

Il prit une longue inspiration et poussa la porte. Ses yeux se posèrent dans un premier temps sur le Dr Lavigne, notant des informations sur une feuille de patient, puis il tourna la tête et un choc le frappa de plein fouet. 

Deux internes étaient penchés sur un corps sur le le ventre, appliquant des bandes de pansement afin de couvrir les trous recousus des coups de couteaux. Il reconnaîtrait ce corps parmi des milliers, une musculature hors du commun, le bras droit noirci par les tatouages, des épaules qu'il avait eu la chance de serrer contre lui. Il le détailla plus longuement pour tomber sur ses yeux clos, son expression presque sereine, un masque d'assistance respiratoire et une poche de sang reliée à sa veine. Jae resta figé quelques secondes devant ce spectacle, incapable de bouger, les bips réguliers des machines raisonnant dans sa tête, les traces de couteaux entourées par des hématomes polluant ses pensées.

- Jae ? murmura le Dr Lavigne en posant une main sur son épaule.

Il sursauta et se tourna vers elle.

- Tiens, dit-elle en déposant un mouchoir dans sa main.

Il ne comprit qu'en portant une main sous ses yeux et sentit une larme couler le long de son doigt. Il s'empressa de l'essuyer, un peu honteux de s'être laissé aller à pleurer, sans même s'en rendre compte.

- Excuse-moi, c'est juste que...

- Tu n'as pas à te justifier, ce n'est jamais agréable de voir des collègues ou des proches dans cette situation.

Jae se contenta de hocher la tête et réunit toute sa concentration pour demeurer professionnel.

- Qu'est-ce que tu peux me dire de plus ?

- Il est stable. Nous le maintenons dans un coma artificiel pour encore jusqu'à demain et on provoquera son réveil dans quelques heures, il a perdu beaucoup de sang. Physiquement, il va se remettre mais ça va prendre du temps de repos strict et de la rééducation. Pour savoir si continuer un sport au niveau professionnel est possible, je le laisse entre tes mains, c'est ton domaine de compétence, pas le mien.

Jae hocha la tête. En la regardant dans les yeux, et même si elle ne le formula pas à haute voix, il sut qu'elle n'avait pas bon espoir.

- Psychologiquement, il a vécu une agression physique, il faut qu'il soit accompagné convenablement pour surveiller un éventuel syndrôme post traumatique. Je te laisserai t'occuper de ça, soit avec un psychiatre de l'hôpital, soit quelqu'un de chez vous.

Il acquiesça silencieusement.

- Fais pas cette tête, il n'a pas fait d'arrêt respiratoire, il va s'en sortir.

Jae lui répondit par un faible sourire.

- Bon, je te laisse avec lui.

Elle fit un signe aux internes qui avaient fini leur pansement de sortir de la chambre.

- Merci de m'avoir prévenu.

- C'est normal.

Elle s'apprêta à sortir à son tour mais sembla vouloir rajouter une dernière chose. Elle jaugea un moment Jae, cherchant à savoir si elle devait cracher le morceau.

- Tu peux tout me dire, Chloé.

- La police est passée pour avoir des premières informations et une enquête criminelle a été ouverte et... je les ai entendu parler du lieu de l'agression. C'était devant une boîte gay.

Il écarquilla les yeux malgré lui.

- C'est une agression homophobe, Jae. J'ai pensé que tu devais le savoir pour l'aider correctement.

Il la remercia doucement et elle le laissa seul, face au lit et à l'homme inanimé. Il mit un peu de temps à s'approcher, effrayé de se retrouver devant Elohim. Il finit par s'asseoir à gauche sur une chaise peu confortable et détailla son visage. Le voir cloué dans ce lit, entre ces murs délavés par le temps, entouré de machines inhumaines, lui fit l'effet d'un poignard dans le cœur. Ce n'était pas juste. Pas lui. Il ne méritait pas ça. Il voulut porter une main sur son bras, le toucher, ou ne serait-ce que l'effleurer, pour se rassurer, pour être certain qu'il était bien réel. Il se ravisa et se contenta d'appuyer sa tête contre le mur.

- Je suis tellement désolé Elo, tellement désolé, si tu savais.

Les paupières lourdes, assommé soudainement de fatigue et presque rassuré de le savoir en vie et auprès de lui, Jae sentit la moindre force de son corps s'évanouir et il se laissa entraîner dans un léger sommeil.



- Monsieur ?

Une voix semblant venir de lointaines contrées réveilla Jae. Il ouvrit difficilement les yeux et lorsqu'il se souvint où il se trouvait, se redressa brutalement. Il jeta un coup d'œil vers le lit, Elohim était toujours allongé et inanimé et deux personnes lui faisaient à présent face. Il ne les reconnut pas immédiatement.

- Tout va bien, monsieur ?

- Oui, pardon, je me suis endormi. Vous êtes ? murmura Jae d'une voix faible

- Les parents d'Elohim.

Un éclair de lucidité flasha dans sa tête. Raoul Prandi et Mézuela Servier, deux anciens internationaux français de handball. Il se releva précipitamment pour tendre une main.

- Dr Jae Ulam. Je suis le médecin de l'équipe de France.

- Vous êtes là depuis longtemps ?

Il regarda sa montre. 

- Depuis cinq heures, j'étais de garde dans un autre service.

- Le Dr Lavigne nous a tout expliqué, murmura d'un air grave la femme en posant des yeux tristes sur son fils.

Jae déglutit, n'osant imaginer l'état dans lequel ils devaient se trouver.

- Je vais vous laisser entre vous. Je repasserai lorsqu'il sera réveillé.

Il jeta un dernier coup d'œil à Elohim, déchiré à l'idée de quitter cette pièce.

Raoul l'arrêta avant qu'il ne parte.

- Merci de ne pas l'avoir laissé tout seul.

Une pensée traversa soudain le médecin. Il attrapa un post-it et un stylo dans la poche de sa blouse blanche et y inscrivit son numéro de téléphone.

- Si Elohim se réveille et que la police arrive avant moi, vous m'appelez tout de suite. Je ne veux pas qu'il réponde à la moindre question dans un état pareil. Et ne répondez à aucune question non plus, d'accord ?

Le couple afficha un air un peu surpris mais hochèrent la tête en prenant le papier. Jae était certain qu'Elohim n'était pas out auprès de ses parents et il voulait absolument éviter qu'il ait à le faire une minute après son réveil. 

Jae repartit dans son service et salua l'équipe de jour. Il reprit sa tasse de café, froid à présent, et assura à un collègue qu'il était d'attaque pour travailler. Il n'y avait que le travail qui le maintenait en vie depuis deux ans. Pourquoi cela changerait-il maintenant ? 



Merci pour la lecture !

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