5 : Le chat et la souris, ou le cache-cache en version mortelle

- Je suis une invocatrice, et j'ai invoqué le Damné ! hurle Émilie dans la ruelle.

Dissimulée dans la pénombre, cette dernière peste contre le peu d'inventivité qu'elle a pour débusquer le Damné. Crier avait été sa seule idée. Bravo. Vraiment, médaille d'or de...

- Où es-tu, invocatrice ?!

Émilie se fige. Elle lève doucement le regard et se pétrifie.

Juste au-dessus d'elle, une immense cape semble flotter dans les airs. Le tissu déchiqueté, noir comme une nuit sans lune, dissimule les formes de la silhouette. Deux yeux rouges luisent dans la pénombre.

Le vent fait voleter les extrémités de la cape tandis que le Damné fait du sur place. Émilie inspire profondément, se concentre, tourne sept fois sa langue dans sa bouche et sort de l'ombre de la ruelle.

- Je suis là ! crie-t-elle.

Et elle prend ses jambes à son cou. Le Damné hurle d'une voix stridente et assourdissante avant de se lancer à sa suite dans les airs.

« Il vole ! C'était pas prévu ! » s'affole-t-elle. « Je vais devoir doubler la vitesse ! »

Une pensée fulgurante lui traverse l'esprit et elle sourit, un peu rassurée.

- Lyko esc venar mea ! murmure Émilie en courant.

Un long hurlement de loup suit sa phrase et elle redouble d'ardeur, augmentant encore sa vitesse. La présence menaçante et dangereuse du Damné sur ses talons l'aide beaucoup. C'est fou comme ça motive, la mort aux trousses !...

Au détour de la rue, une forme animale surgit d'une ruelle adjacente et s'aligne avec sa maîtresse. Émilie jette un œil à la magnifique louve noire qui l'a rejointe. Haute d'un peu plus d'un mètre, elle bat le béton avec grâce et agilité. Ses yeux bleus expriment un respect extraordinaire pour la louve qui l'a appelée.

- Merci Ely... murmure Émilie avant de bondir puissamment dans les airs.

Elle atterrit avec légèreté sur le dos de la louve noire et resserre les jambes avec grâce. Sa monture accélère brusquement.

Les mèches brunes d'Émilie volent sous le vent provoqué par la vitesse phénoménale dont est capable la louve spectrale. Ses yeux s'écarquillent sous l'adrénaline.

Appeler un loup classique, mortel, demande de l'énergie à Émilie. Mais un loup spectral, plus rapide, plus fort, et plus rare aussi, en demande une quantité phénoménale. Émilie a mis des années à en appeler un. Et Ely, sa fidèle amie, revient souvent pour l'aider.

- Je t'attraperai ! hurle le Damné d'une voix furieuse et aiguë.

Émilie s'éloigne et parvient à une distance de survie. Là, elle souffle et demande à Ely de calquer son allure à celle du spectre. La louve obéit et elles maintiennent une vitesse constante pendant quelques minutes. Le stress ne quitte pas le cœur d'Émilie, qui scrute la silhouette enragée du Damné.

Finalement, il marmonne furieusement, le ciel gronde et des éclairs se mettent à battre le sol, s'écrasent à quelques mètres à peine du couple lupin. Les louves les évitent in extremis.

- Je t'aurai ! Morte ou vive ! ricane-t-il.

Ely zigzague habilement entre les groupes épars d'enfants qui traînent dans les rues. La nuit avance doucement, donc heureusement les enfants commencent à rentrer chez eux. Émilie n'ose pas imaginer le carnage qu'elles auraient fait en début de nuit. Les victimes collatérales auraient été nombreuses. Pas question de risquer la fin du monde pour quelques humains énervants.

- Meurs ! Ton corps sans vie me sera aussi utile que vivant ! s'écrie le Damné.

Émilie se retourne, horrifiée. Les pupilles sanguines se mettent à briller plus intensément. Deux mains décharnées s'élèvent devant leur corps et s'agitent d'une manière macabre.

- ELY ! hurle-t-elle.

Une foudre teintée de bleu s'extirpe des doigts tendus et s'élève dans le ciel. Elle semble se dresser à l'image d'un serpent à la langue fourchue, en expectative, et deux boules électriques s'allument dans la création magique. Ces yeux étranges et menaçants se fixent sur Émilie et Ely. Le serpent de foudre siffle et plonge vers les louves.

Émilie hurle à son amie d'accélérer. La vitesse d'Ely se décuple par la peur, comme si elle avait été fouettée par le serpent avant même qu'il ne la touche.

Mais elle ne tient pas longtemps à ce rythme. Ses flancs battent à une vitesse frénétique. Ses coussinets brûlent.

La foudre dresse les cheveux d'Émilie sur sa tête. Le serpent est proche. Trop proche.

Ely tremble. La sueur perle sur sa fourrure. Elle ralentit. Émilie ferme les yeux.

Les éclairs sont brûlants. L'électricité à l'état pur bondit sur sa proie. Émilie sent tout cela lorsque le serpent l'avale dans sa gueule.

***

- Hhhaaaaa...

La poitrine d'Émilie est douloureuse. Ses poumons brûlent. Sa peau rougie semble se consumer. Elle ne peut plus bouger sans hurler mentalement sa souffrance.

Avec horreur, elle se rend compte que ses poings sont liés. Elle les bouge doucement, distraitement, afin de vérifier la solidité des liens. Des cordes magiques.

« Merde ! » peste la jeune fille.

- Tiens, tu te réveilles !

Elle se fige. Ses paupières se crispent.

« Non. Non. Non ! »

Un ricanement retentit. Émilie retient des larmes, elle qui n'a pratiquement jamais pleuré. Elle serre les poings.

- Eh bien, tu n'as pas l'air heureuse, invocatrice.

Émilie prend son courage à deux mains et ouvre les yeux.

Deux pupilles rouges la fixent sans pitié. Le Damné n'a pour ainsi dire pas de visage : ce n'est qu'une brume noire indistincte. Le reste de son corps est enveloppé dans sa cape.

— Eh bien, j'ai l'honneur de te ramener au cimetière, continue l'être spectral. Tu vas m'être très utile. Mon sort ne t'a pas trop amochée. Tu es toujours aussi belle... sussure-t-il.

Émilie frissonne de dégoût. Le Damné éclate de rire.

— Voyons, mon invocatrice préférée, tu m'as appelé pour une raison. Que puis-je faire pour te soulager ? ironise le spectre.

Émilie réfléchit à toute vitesse. Une idée lui vient bien à l'esprit mais elle la repousse inlassablement. Pas question de faire ça !

Mais au fil des micros secondes qui s'égrènent entre les deux êtres nocturnes, Émilie se rend à l'évidence, si abjecte soit-elle.

Elle n'a pas d'autre idée.

Éteignant l'alarme qui tourmente son cerveau en provenance certainement de son ego ou de son bon sens, Émilie plaque un sourire ravageur sur ses lèvres et murmure :

— Je me sentais seule.

Le Damné a un moment d'arrêt. Il fixe sa captive avec attention. Cette dernière en profite pour s'assoir et observer les alentours distraitement.

Les tombes et les croix entourent la petite place vide de sépulture. Deux grosses pierres plates servent de sièges aux deux interlocuteurs. Le froideur de la roche dans la nuit transperce les vêtements d'Émilie. Elle cherche une silhouette amie dans l'ombre des tombes, mais aucune trace d'un sorcier peu dégourdi ni d'un vampire coincé dans le corps d'un gamin.

Vraiment, quelle bande de bras cassés, en y pensant.

— J'aimerais t'aider, murmure le Damné en s'approchant doucement.

Émilie ne quitte pas son sourire faux et papillonne des cils en rougissant, une main devant la bouche. Une aptitude développée avec facilité, étrangement.

« Ce serait le bon moment, les gars... Où est la putain d'arme magique sensée tuer ce monstre ?! »

Émilie penche la tête délicatement et sussure :

— De quelle manière, très cher ?

Un rire doux et sardonique éclate dans le cimetière.

— Vois-tu, pour mon rituel, je dois tuer mon invocateur, commence l'être. (Émilie tressaillit mais le Damné continue sans s'en rendre compte) Seulement, je pourrais t'épargner une mort lente et douloureuse... À toi de voir. Tu ne me dois qu'une seule chose, et cette dernière entre certainement avec ton souhait de ne pas être... seule...

Un souffle aux relents putrides est exhalé par le Damné en plein dans le visage de la belle. Cette dernière toussote discrètement, mais peine perdue. La puanteur est telle qu'elle manque de s'étouffer !

« On oublie le plan A, ça craint plus que je pensais ! »

Elle opte donc pour le plan B, nettement plus dangereux mais vraiment, impossible de poursuivre la stratégie “Séduisons l'horrible être spectral en attendant que quelqu'un se pointe„

Vivement, elle saisit une pierre grosse comme son poing et la balance en plein dans la figure du Damné, qui crie plus par surprise que par douleur. Émilie plonge derrière une rangée de pierres tombales et roule dans l'herbe humide.

— Reviens ! Je te hais ! s'égosille le spectre en fouillant la pénombre dense de son regard enflammé.

— Émilie ! chuchote une voix à côté d'elle.

Elle se retourne, le souffle court, et aperçoit les pupilles d'Alexandr. Elle soupire de soulagement et se faufile comme une ninja jusqu'à lui. À ses côtés, un Edward terrifié qui fixe la jeune louve du regard.

— Attends, tu étais en train de le séduire ?!

— Et j'avais quoi comme solution, abruti ? riposte Émilie avec hargne.

— Silence ! Donne tes liens, je vais les déchirer, intervient Alexandr.

Elle lui tend ses poignets et il se penche. Ses canines s'allongent lorsqu'il entrouvre la bouche et fendent la corde magique comme du papier.

— Merci. Bon, vous avez l'arme ? chuchote Émilie.

— Je vais te trouver ! s'écrie le Damné en retournant une tombe de plus d'un geste mécontent, non loin du trio.

Edward se met à trembler.

— Euh, les gars ! Dites-moi que vous avez eu le temps de faire le sort pour l'arme, reprend Émilie.

— Il est arrivé trop vite. Comme tu étais avec lui, on s'est cachés pour voir comment tu allais t'échapper. Si on se montrait, il capturait Edward. Il est incapable de se défendre.

— Eh, Alexandr ! proteste l'intéressé.

Ose me dire le contraire, souffle le vampire.

Edward ne répond rien. Émilie lance :

— Et donc ? On n'a pas beaucoup de temps !

— On doit encore finir le rituel. Une formule qu'Edward doit dire et on te passe l'arme, conclut Alexandr.

— Ok, il faut le distraire alors le temps que vous finissiez l'arme, résume Émilie. J'y vais, je suppose.

Elle roule dans la rangée agilement et se réceptionne accroupie à l'opposé de la place, en face du Damné.

Ses yeux déterminés luisent dans le noir. Plus question de se cacher, cette fois. Plus question de fuir. Sinon, elle est morte. Sa stratégie suicidaire de dernière minute ne marchera pas deux fois.

— Eh, le moche ! crie-t-elle.

Le Damné se retourne avec fureur. Des tombes détruites l'entourent, des gravas jonchent la petite place. Autant d'armes de fortune pour Émilie qui sourit effrontément.

— Allez, que la partie commence ! hurle-t-elle en s'élançant.

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