2 : Poursuite mouvementée, ou comment se tromper de proie

Émilie jubile. Voilà. Elle a trouvé sa victime de la nuit !

Quelque chose de particulier se dégage de ce garçon, et elle compte bien s'amuser avec lui jusqu'à ce qu'il fasse une belle crise cardiaque. Ce qui prouvera une fois pour toutes à ses parents imbus d'eux-mêmes qu'une fille différente d'eux ne veut pas dire une empotée.

- Oui... sussura Émilie. Oui. Je vais bien m'amuser.

Elle s'écarte du mur et se met à poursuivre le petit groupe, une dizaine de mètres en retrait, se camouflant dans l'ombre avec facilité et application. Ses pas sont inaudibles et, avec la pénombre de la nuit, sa silhouette n'est pas visible par des yeux humains.

- Et tu sais ce qu'elle m'a dit, Evaline ? continue un des deux abrutis.

- Elle t'a mis un râteau ?! s'écrie le deuxième. Naaaaan ?!

- Siii ! pleurniche le précédent.

Émilie se retient de se frapper le crâne contre un mur devant tant de débilité. Et, en plus, que faisait le troisième garçon avec les deux autres ? Il ne rit pas de leurs blagues - tout au plus grimace-t-il vaguement -, il ne discute pas avec eux, semblant plus passionné par les pavés du trottoir. De plus en plus intriguant, pour Émilie. De quoi aiguiser ses instincts de traqueuse.

- Edward, pourquoi t'es si stressé, mec ? l'apostrophe soudain l'un des imbéciles.

- La fille de tantôt. Elle me semblait louche, explique-t-il en haussant les épaules.

Les deux autres ne répondent rien et continuent leur discussion palpitante, si bien qu'Émilie hésite un instant à les dévorer rapidement, ni vu ni connu, pour qu'ils la ferment. Mais ce qui la retient, c'est la dose de sucre qu'elle avalerait en les gobant.

- Qui va frapper ? demande l'un des garçons.

Edward, alias the proie, ne dit rien et les deux autres commencent à se chamailler, en grands lâches qu'ils sont. Émilie sent une migraine pointer le nez et serre les poings. Ça va pas durer éternellement, quand même !

Elle a alors une idée particulièrement de mauvais goût. Elle sourit. Ses dents pointues se découvrent.

« Excellente idée, ma belle ! »

Et, ni une ni deux, elle bondit vers l'un des deux types et l'emporte dans l'ombre d'une ruelle. Ça s'est passé tellement vite que les deux autres n'ont aperçu qu'une ombre.

- Mec ! hurle l'un des imbéciles.

Edward écarquille les yeux et fouille la pénombre mais il ne voit rien.

- Si c'est une blague, c'est pas drôle ! crie de nouveau le même garçon d'une voix qui monte soudain dans les aigus.

Edward lui lance :

- La ferme Dave.

Ce dernier ouvre grand la bouche mais n'émet plus aucun son, terrifié. Pour un mec qui fête Halloween, il ne fait vraiment pas le poids. Et il ne fait pas honneur à son déguisement, quel piètre vampire ! Heureusement qu'aucun être buveur de sang ne rôde dans les parages. Il lui aurait mis une raclée, juste pour la forme et la mauvaise présentation de sa race.

Émilie sourit encore, cachée dans ombre. D'une main sur sa gorge, elle maintient son prisonnier plaqué au mur. En empêchant ses cordes vocales de fonctionner, mais en laissant le nez libre d'inspirer et d'expirer l'air, elle le rend silencieux et vivant, une combinaison parfois dure à appréhender pour d'autres êtres sombres.

- C'est vous, n'est-ce pas ? La fille qui était là-bas, commence Edward.

Il fait un pas dans la direction des ténèbres, et Émilie se met à jubiler.

« Oui, c'est ça, approche... »

Mais il s'arrête et la jeune fille se mettrait presque à gémir de déception.

- Relâche mon ami.

Un rire sarcastique retentit dans la ruelle. Edward pâlit mais reste plus ou moins impassible. Son compagnon, par contre, se met à hurler comme une fille.

- Ton ami ? Laisse-moi en douter, sussure Émilie.

Edward crispe les doigts. Il avance encore d'un pas.

- Quoi qu'il en soit, laissez-le partir.

- Mais c'est qu'il donne des ordres, le petit ! ricane-t-elle en réponse.

- Il ne vous apportera rien, continue l'autre.

- En effet, c'est toi que je veux, Edward, siffle Émilie.

Le garçon devient maintenant verdâtre. La peur suinte par tous les pores de sa peau, ses mains tremblent et ses jambes menacent de céder.

- A... Alors laissez-le partir, je vais vous suivre.

Émilie fronce les sourcils. C'est bizarre. Elle ne s'attendait pas à ça.

- Tu donnes ta vie pour sauver un type que tu n'apprécies même pas ? Où est la logique ? Je ne te crois pas.

- Je jure alors. Mais lâchez-le, bredouille Edward.

Émilie réfléchit un instant. Elle prend rapidement une décision mais laisse poiroter sa victime distrayante un peu plus longtemps. Lui ne peut pas la voir mais elle, le voit très bien. Elle se réjouit de sa peur.

- Marché conclu.

Et elle lâche le garçon, qui s'encourt vers ses amis. Les deux lâches décampent aussitôt, abandonnant Edward.

- Oh, mais quelle gratitude ! ricane Émilie en sortant à moitié de l'ombre.

- Je me moque de leur gratitude. De toute façon, vous ne m'attraperez pas.

- Pardon ?! s'offusque Émilie.

Mais elle a à peine le temps de prononcer ce mot qu'Edward est à vingt mètres. Elle soupire alors d'un air théâtral, toujours dans son rôle de psychopathe à la perfection, et se rue à la poursuite de sa proie.

Edward court vite, c'est ce qui lui permet de se sortir de situations malvenues. Sauf que là, il devait courir de toutes ses forces pour empêcher Émilie de le rattraper. Ce qu'il ignore, bien entendu, c'est que cette dernière s'amuse à ralentir pour faire durer la poursuite.

Mais, au détour d'une rue, elle en a assez et se met à fouler le béton à vitesse habituelle.

En un éclair, elle fond sur sa victime et le renverse au sol. Edward pousse un cri de douleur en heurtant le béton mais personne n'est là pour l'entendre. Dans sa précipitation, il a couru vers le quartier du cimetière.

Devant les grilles de fer forgé, Émilie se met à rire. Mais Edward reste impassible.

- Tu fais semblant.

Émilie cesse de rire en un instant, piquée par la curiosité.

- Quoi ?

- Tu ne ris pas sincèrement. Tu joues un rôle, si tu préfères, répond le garçon sans se démonter.

Malgré la main puissante de la jeune fille sur sa gorge, il ne semble pas avoir peur. Ce qui intrigue Émilie plus que ça ne l'énerve.

- Et comment tu pourrais savoir ça, toi ?

- Je le sais. Je sais quand les gens me mentent.

Haussant un sourcil perplexe, Émilie se met à réfléchir et tombe sur une hypothèse pas du tout réjouissante.

Mais elle doit la vérifier.

- Je te crois pas.

- Tu mens, réplique aussitôt son prisonnier.

Émilie lève les yeux au ciel, exaspérée, et brandit son poing dans l'intention de frapper ce type vraiment énervant. Et puis, si son hypothèse se révèle erronée, ça lui calmera les nerfs.

Mais, alors que son poing est sensé heurter le visage d'Edward, lui faire exploser la lèvre et lui ouvrir la peau pour en faire jaillir un filet de sang, il est arrêté par une sphère mauve entourant le corps du garçon, et Émilie est projetée à deux mètres de là. Se receptionnant sur ses pieds, elle se maudit.

— Que... Qu'est-ce... balbutie Edward.

— C'était de la magie, oui, le coupe Émilie. Bon, bah, je dois y aller, à jamais !

  « Y a que moi pour prendre un sorcier en sommeil pour un humain ! C'était ça, le truc différent des autres. Non mais Émilie, il faudra chasser plus souvent ! »

— Attends ! Tu m'annonces ça comme ça, et tu te casses ?! s'exclame le pauvre type, ahuri.

— Oui. C'est pas mes oignons, claque Émilie en se détournant.

Elle fait quelques pas mais un flash aveuglant envahit son champ de vision. Portant une main devant ses yeux pour protéger ses pupilles sensibles, elle s'immobilise en attendant que ça cesse.

Quelques secondes plus tard, tout redevient normal, du moins jusqu'à ce qu'elle tourne le regard vers le cimetière. Une lueur glauque scintille entre les barreaux de la grille de fer, parmi les tombes. Émilie écarquille les yeux.

— Oh non... souffle-t-elle.

« Si j'ai raison, cette nuit va être très mouvementée... Et je risque d'y rester ! »

— C'était quoi, ça ?! hurle le sorcier d'une voix aiguë.

Émilie ne répond pas et lui saisit le bras en un éclair, avant de l'entraîner dans une ruelle adjacente et de les cacher derrière un container.

— Mais tu cours à quelle vitesse exactement ?!

— La ferme ! rétorque-t-elle.

Elle jette un œil au cimetière, de l'autre côté de la chaussée, et plaque une main préventive sur la bouche d'Edward.

Après quelques secondes d'observation et d'hésitation, elle lance :

— Reste ici, je vais voir. Attends. Et reste caché !

Et elle saute sur le bitume avant d'escalader le fer forgé qui ferme le cimetière.

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