10. Une soirée Archie bizarre
10. Fin des mésaventures d'Isabelle (feat Alexandre et Conrad)
Archibald roulé en boule contre elle, Isabelle caresse furtivement son poil alors que Conrad se tient face à elle. Alexandre peut les voir discuter à demi-mots. Sur la terrasse, certains lycéens fouillent leurs poches, penauds, pendant que les enfants du quartier leur demandent des sucreries. La fête continue mais plus en sourdine, le temps que les bambins trouvent leur bonheur et partent pour la maison d'après. Isabelle n'est donc plus sous les montagnes de bruit et de lumière.
— Je pensais que t'étais crevée de cette semaine, lui partage Conrad.
Isabelle rit, c'est un peu lourd mais quand même bien moins sinistre. Archibald somnole, la tête fourrée sous le tissu de son hoodie, il a hâte de rentrer.
— J'ai pas menti, Conrad. Je suis crevée, je tiens à peine debout.
— La prochaine fois, dis-le-moi juste Minisa. Je vais pas me fâcher.
Et c'est sincère, vraiment sincère. Isabelle cligne lentement des paupières, au fond d'elle encore mordue par la culpabilité.
— Je t'ai pas blessé, avec ce que j'ai dit ? s'assure-t-elle.
— Ça m'a pris de court.
— Je suis vraiment déso-
La jeune fille est prise d'un sursaut, Conrad agrippe sa capuche pour la rabattre sur sa tête, y laissant une claque un peu rude.
— C'est ça, excuse-toi, se plaint-il, souriant pourtant. Ma soirée de merde s'en serait mieux sorti sans tes acrobaties ! Tu es officiellement sur la liste noire des invités.
D'abord, Isabelle reste interdite face à la réaction de Conrad. Puis de concert, ils éclatent de rire, faisant frémir Archibald entre eux. Il pose sa main sur le pelage de l'animal, frôlant celle d'Isabelle en même temps. Les enfants repartent au goutte à goutte, ayant réussi à obtenir ce qu'ils voulaient. Et rien d'illicite, il ne faut pas exagérer.
— Comment je peux me racheter ? lui demande l'adolescente.
Cette fois, Conrad ne laissera pas passer ce genre d'opportunité.
— Vendredi prochain, soirée films chez toi. J'amènerai les Jellybeans d'Harry Potter.
— Ceux qui ont le goût de crotte de nez ? s'insurge Isabelle avec une grimace.
— Et de vomi.
— T'es dégueu.
En riant toujours, Conrad incline la tête sur le côté.
— Dis-moi, si tu pouvais vraiment, vraiment recommencer cette soirée, et faire en sorte qu'Archibald se barre pas, tu l'aurais fait ?
La question a de quoi étonner Isabelle. Elle voit que Conrad la prononce en regardant derrière sa meilleure amie. Et derrière elle, il y a Alexandre. Alexandre, il les observe sans vraiment les observer, adossé à la carrosserie de sa voiture, ses doigts s'entortillant alors qu'il a une moue un peu embêtée. C'est cool de vous voir vous rabibocher, mais je reste planté ici depuis dix minutes. Ça caille.
— Honnêtement, fait Isabelle après un instant de réflexion. Je sais pas.
— Tu sais pas ?
— Je sais pas. Peut-être que ça devait se faire comme ça.
Ils se font une dernière étreinte, et Conrad tourne les talons après avoir fait signe de la main à Alexandre : « A toute Alex ! Ramène-la saine et sauve. ». Isabelle n'entend pas vraiment la réponse d'Alexandre, c'est un gargouillis pris de court, car il était encore dans ses pensées quand Conrad s'est adressé à lui.
— On y va ? lui demande-t-elle, devant la portière.
Alexandre se décale lentement, ses yeux se plantent dans les siens juste un instant. Puis il contourne la voiture, sa silhouette allant se placer de l'autre côté.
— On y va.
Ils montent, le moteur démarre et le silence revient.
Isabelle jette un coup d'œil à l'heure sur le tableau de bord de la voiture, il est bientôt minuit. Cendrillon rentre du bal, pour reprendre sa vie morose et monocorde. La jeune fille soupire, non, cette soirée n'entrera clairement pas dans le top de celles qui lui auront laissée les meilleurs souvenirs. Mais il faut avouer que cette soirée, elle aura fait bouger certaines choses, des choses qu'elle avait laissées en dormance. Parce que la routine, c'est ce qui la constitue, qu'elle n'aime pas quand les choses se bousculent, même si parfois, il faut qu'elles se bousculent.
Elle aimerait dire qu'elle ne se réfère qu'à sa situation à elle et Conrad, mais ce n'est pas que ça.
La tête contre la vitre de la voiture, le chat encore bien blotti contre elle, sur ses genoux, Isabelle ferme les yeux un instant. Je suis fatiguée.
Le temps s'écoule, l'horloge avance. Elle sent à peine la voiture s'arrêter, se garant à l'entrée du jardin de Mamie Cerise. Et pendant un moment, c'est juste silencieux. Elle peut sentir un regard sur elle, même si elle fait mine de ne pas le voir.
Puis doucement, tendrement même, Isabelle sent une main effleurer son visage, venir ramener une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Légère comme un papillon, la personne la pensait sûrement trop endormie pour le percevoir.
Elle ne dit rien, laisse juste la sensation s'évaporer. Puis la main revient cette fois lui secouer l'épaule, geste moins révélateur, mais Isabelle ne dormait pas donc c'est peine perdue.
— On est arrivés Isabelle.
Caprices d'enfants, ce ne sont que des caprices d'enfants. Isabelle ne veut pas sortir de cette voiture, ses mains se resserrent contre la fourrure rousse d'Archibald, ses yeux restent clos.
Archibald n'est pas cet avis, le chat se redresse doucement, sortant de son songe en premier. Isabelle sent ses pattes se tendre et son corps se relever sur elle. Alexandre pense entendre son soupir vaincu, et Isabelle ouvre les yeux, mais le regarde à peine.
— Merci.
C'est comme ça que se termine la soirée. Archibald atterrit lourdement sur ses pattes et marche jusqu'à la porte d'entrée de la maison de Mamie Cerise. Les guirlandes du jardin sont encore allumées, la pelouse, un peu jaune, un peu rousse, contraste avec le ciel bleu. Bleu foncé.
— Ferme bien cette fois, plaisante Alexandre.
Elle se retourne, à mi-chemin. Elle lui sourit.
— Je t'ai piqué un bon morceau de ta soirée, lui partage le garçon.
Depuis le siège conducteur, Alexandre hausse les épaules, il a laissé sa cape chez Conrad.
— Pas comme si j'avais juste perdu mon temps. Et il est que minuit.
Alexandre retournera à la Halloween Party, tout reprendra sa place, comme ça devait déjà l'être. Archibald sera en sécurité, Isabelle ne se retrouvera pas là où elle n'a pas envie d'être, Mamie Cerise ne se sera pas inquiétée pour rien. Alors pourquoi quelque chose se serre dans le cœur d'Alexandre, et aussi dans le sien ?
— A plus, achève le blond, d'une voix plus douce et plus réservée.
— A plus, souffle Isabelle sur le même ton.
Isabelle entre dans la maison, et referme la porte derrière elle.
La fin des lumières, du bruit et des gens. La fin des contacts indésirables, des paroles creuses et des effluves d'éthanol.
Isabelle prend une grande inspiration, l'écran de la télévision est encore allumé. Elle se maudit d'avoir oublié de l'éteindre, mais au moins, elle répand une lueur minime dans le salon. Archibald va directement s'installer dans son panier, sous la cage d'escaliers, c'est l'heure de faire un petit somme.
Trainant des pieds, Isabelle prend du temps pour entrer dans la cuisine, vérifier que cette fois la fenêtre est bien fermée, puis revenir dans le séjour. Elle prend du temps pour s'installer confortablement dans le canapé, s'enrouler de nouveau dans les draps chauds. Elle attrape la télécommande, lance un nouveau film même si le sommeil est fort. Elle veut dormir, et en même temps elle ne veut pas.
Les premières images s'affichent, c'est El Dorado. Elle suit à peine, pourtant c'est son dessin-animé préféré.
— Je m'ennuie...
Isabelle plonge son visage dans son oreiller et inspire, le serrant fort contre elle. Son corps disparait dans les couvertures, puis elle retient son souffle un instant. Le temps passe, vite ou lentement, elle ne sait pas.
— Pourquoi t'es encore parti...
Elle le sent, que son cœur bat plus fort. La réponse, elle l'a affleurée du bout des doigts. Les choses auraient pu prendre une toute autre direction, si Isabelle avait essayé un peu plus fort. Mais là, tout redeviendra juste comme avant, et c'est pesant. Elle serre les dents.
Elle est amoureuse d'Alexandre depuis si longtemps.
Quelqu'un frappe à la porte.
La lycéenne a un soubresaut, sa tête se redresse, sortant des couvertures. Elle plisse les yeux.
Les coups se répètent, tantôt faibles et espacés, tantôt plus fermes.
Elle se relève, ses pieds se posant sur la moquette du salon. Isabelle tourne la tête, comme par instinct, elle porte son regard sur Archibald, le matou dort à poings fermés.
Un peu d'appréhension dans le ventre, Isabelle se lève et marche vers la provenance du bruit. La porte d'entrée, dont le judas ne peut jamais faire deviner plus qu'une silhouette amorphe.
— C'est qui ?
On ne lui répond pas, les coups cessent. Silence.
Isabelle déglutit. Sa main se pose sur la poignée, elle la tourne et sur le moment, elle sait et elle ne sait pas. Isabelle n'est pas idiote, mais pourquoi ça se passerait comme ça ? Les contes de fées, la magie, tout ça, ce n'est pas dans ses habitudes d'y croire. Non, la magie n'existe pas.
La porte s'ouvre.
Et Alexandre se tient juste derrière, les mains dans ses poches.
Un léger vent s'infiltre dans la maisonnée, il y a l'odeur de l'automne et du shampooing à la grenadine.
Le blond est là, simplement vêtu d'un jogging et d'un hoodie comme le sien, les cheveux un peu humides encadrant son visage, il s'est douché. Alexandre s'est démaquillé, il ne semble absolument pas sur le point de partir rejoindre une fête.
Isabelle est figée, la main contre la porte, comme si elle allait lui tomber dessus. Sur le moment, elle se sent minuscule.
— Qu'est... commence-t-elle avant d'avaler sa salive. Qu'est-ce que tu fais ici ?
— J'ai plus envie d'y aller.
Alexandre entre dans la maison, Isabelle se décale pour le laisser passer. Elle le voit se tenir dans le séjour tamisé, la lumière brève et le soir qui continue d'avancer. C'est Halloween, enfin plus vraiment puisque minuit est passé, mais supposons que ça l'est encore.
Le blond porte son regard sur Archibald, une grosse touffe de poils recroquevillée dans son coin. Alexandre rigole.
— Saleté de matou...
Mais même s'il n'a pas arrêté de l'insulter depuis le début de la soirée, l'affection qu'Alexandre porte à Archibald n'a d'égal que celle d'Isabelle. Ils l'apprécient beaucoup, ce vieux chat qui se met dans des situations pas possibles.
— Tu regardes El Dorado ? ricane ce dernier. Tu grandis pas toi.
Ce n'est pas méchant, c'est pour combler le vide et le silence. Parce que les mots d'Isabelle, toujours si spontanés, si « je m'en foutiste », ils restent sur le pas de la porte.
Pas comme ses pas, silencieux, qui fondent sur le sol. Lorsqu'Alexandre se détourne de l'écran, Isabelle est juste là. Son regard, il n'arrive pas à le déchiffrer, alors le sourire du blond s'évapore.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? répète sa voisine et ancienne camarade de jeu.
Et Alexandre s'avance, prend son visage entre ses mains. Isabelle se retient à son habit, ses doigts incrustés dans le tissu, au niveau de son torse. Son cœur s'agite plus fort, sa gorge est cendre.
Les lèvres du blond se déposent sur son front, comme quand ils avaient dix ans. Et Isabelle se tend, sous la surprise qui au fond n'en est pas une. Juste un instant, puis tout aussi vite, ses sourcils se défroissent, et elle inspire en fermant les yeux.
Ils restent comme ça quelques secondes, ne bougeant que pour se rapprocher, se laisser fondre dans la brève étreinte de l'autre. L'étreinte d'abord vaporeuse, l'étreinte qui se raffermit, et leurs bras qui finissent par s'enlacer plus fort.
Alexandre s'éloigne, à peine, même pas d'un centimètre, ses lèvres effleurent toujours sa peau quand ses phalanges remontent dans son cuir chevelu.
— Je veux rester avec toi.
Isabelle a la gorge nouée, beaucoup même. Le toucher d'Alexandre, ça fait longtemps qu'elle ne l'a plus senti, alors c'est un peu étrange. C'est nouveau tout en ayant les couleurs du passé, une sorte de nostalgie se mélange à ses pensées, celle d'une histoire qui aurait dû finir mais qui avait juste été mise sur pause un peu trop longtemps.
Puis le silence est perturbé, Isabelle entend le léger rire de son vis-à-vis, une sonorité douce dans ses oreilles, quand il lui laisse un second baiser sur le front.
— J'ai la bonne taille maintenant.
— Grande perche.
Toujours dans les bras de l'autre, il leur faut encore quelques minutes pour totalement s'adapter à leur contact. Mais quand c'est fait, ils ne se lâchent plus.
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