🎃 9.(1) Capes noires et branches de thym, c'est la nuit du Samain
Une sorcière me tend une cape noire similaire à celle des autres femmes du clan Campbell. Le tissu n'est ni lourd, ni épais, ni lisse, ni rêche, et ressemble à la fluidité de l'eau qui ondule dans la nuit. J'imite les autres et la passe par-dessus mes épaules, l'attache autour de mon cou.
Nous prenons les paniers comportant nos provisions pour le rituel, Brynn m'explique qu'un grand banquet est organisé sur la place du village, nous allons profiter de l'agitation pour sortir par la porte de derrière et nous rendre dans la forêt sous le Grand Chêne.
Enid tient faiblement sur ses jambes suite à la morsure des démons, je crois que jusqu'à présent je n'avais pas mesuré l'ampleur du danger... Nom d'une citrouille ! Je me doutais qu'il allait falloir se méfier des fanatiques et de leurs chasses aux sorcières mais les sorciers tordus et les démons ce n'était pas au programme j'ai jamais signé pour ça !
- Lorsque nous aurons accompli le Samain nous récupèrerons le miroir, m'indique Brynn. Tu pourras alors rentrer chez toi.
Je ne peux pas dire que je n'ai pas hâte, mon angoisse ne cesse d'augmenter depuis que je suis ici si bien que je m'étonne de ne pas encore avoir fait une syncope.
- Qu'est-ce que vous attendez de moi ? m'enquis-je auprès de la jeune sorcière.
- Il faut que tu nous aides à fermer le cercle pour que la porte entre les mondes s'ouvre et à réciter la formule pour que le rituel s'accomplisse.
- Et Salomon dans tout ça ? Je crois qu'il n'a pas trop apprécié notre dernière rencontre...
- Ma grand-mère pense qu'il va tenter de nous attaquer sur le chemin, pour nous voler le Grimoire et nous empêcher de rejoindre le Grand Chêne. Il va falloir être vigilantes !
- Tu crois que Draghan pourrait l'accompagner ?
- Draghan, relève-t-elle en haussant un sourcil. Oh tu parles du sbire de Salomon ? Alors c'est comme ça qu'il s'appelle... Depuis quand avez-vous eu le temps de faire connaissance ?
- Depuis que j'ai menacé d'en faire une brochette avec une épée rouillée.
Brynn éclate de rire, sa bonne humeur déteint sur moi et nous rions ensemble avant d'être rappelées à l'ordre par une autre sorcière de l'âge de Mahé.
- Quoi qu'il en soit nous sommes préparées. Nous ne laisserons pas Salomon ruiner tous nos efforts, me dit-elle.
Je lui souris mais au fond de moi je ne suis sûre de rien. J'ai l'habitude d'avoir peur pour tout et rien à la fois, peut-être que cette fois encore j'ai tort ? Ou bien raison ? Qui sait ?
Une boule d'appréhension s'est formée au creux de mon estomac et mon sang semble circuler plus vite. La tension est palpable entre les sorcières et je peux sentir toute la magie en effervescence envahir l'espace, une électricité subtile agite mes doigts de spasmes, comme si ma propre magie menaçait d'exploser et de raser le village tout entier.
Je tremble devant ma propre puissance, enfin celle de Bathsheba, et à l'idée de ce qu'elle pourrait accomplir à travers moi. Des milliers de questions se bousculent dans ma pauvre tête déjà embrumée par l'odeur de l'encens et l'adrénaline du moment, serais-je assez forte pour les aider ? Vais-je m'en sortir ? Oh ! Et si je n'y arrivais pas... ?!
- Rappelle-toi Candice, c'est ta magie maintenant. Elle n'obéit qu'à toi.
J'ai envie de hurler sur cette maudite voix. J'aimerais bien t'y voir à ma place tiens !
- Fais-toi confiance.
Bah voyons. Que puis-je faire d'autre de toute façon ? Je rêve de prendre mes jambes à mon cou, je ne suis pas une héroïne de roman, je n'en ai jamais eu l'étoffe ! Je prends pourtant mon mal en patience et me mets en route à la suite de Brynn. Bah... Allons-y gaiement !
Les bruits de la vie villageoise ne sont plus qu'un murmure dans la froideur de la nuit, la forêt nous a enveloppées de sa noirceur et, armées de notre courage, nous marchons sur la terre meuble. Les feuilles d'automne craquent sous mes pieds alors que je ferme la marche de la file, la brise fraiche s'engouffre dans ma jupe et ma capuche rabattue sur ma tête. Nous avançons sans bruit, les unes derrières les autres, sur le sentier de terre.
Le hululement de la chouette nous accompagne discrètement sur le chemin, mes pensées vagabondent, elles s'emmêlent, je suis sur mes gardes, attentive au moindre bruit étrange, à la moindre ombre suspecte, à tout ce qui sort de l'ordinaire. Mais depuis ce matin il n'y a plus d'ordinaire ici, un dragon pourrait bien surgir devant moi que je n'en serais même pas surprise.
C'est calme... Beaucoup trop calme. Salomon aurait déjà dû nous attaquer, nous sommes suffisamment éloignées du village pour ça. À moins qu'il ne nous attende au sommet de la colline ?
J'ai un mauvais pressentiment... Je décide d'en parler à Brynn qui me montre le chemin.
- Nous sommes encore loin ? je demande.
- Non, nous arrivons au sommet de la colline, nous y sommes presque.
Je triture mes mains, anxieuse.
- Qu'y a-t-il Candice ?
- Je ne sais pas... J'ai un mauvais pressentiment. Tout se passe trop bien.
- Moi aussi, me confie Brynn. Salomon brouille mes visions...
- Il faut rentrer à la maison, dis-je tout à trac.
- Tu es folle ? C'est trop tard nous ne pouvons pas y aller !
Le malaise de Brynn accentue le mien. Nous sentons que quelque chose ne va pas et je doute que nous soyons les seules à le sentir. Et si Salomon nous tendait un piège ? Et s'il avait déjà le Grimoire ? Que faire ?
La montée se fait plus ardue, le bruit des respirations difficiles résonne dans la nuit, je dois prendre une décision. Je dois en avoir le cœur net.
Je laisse donc un espace s'installer entre Brynn et moi tout en ralentissant le pas, les sorcières se contentent de grimper, leurs paniers garnis en main, sans me prêter la moindre attention. C'est le moment ou jamais !
Je cesse ma marche sans les quitter des yeux un seul instant et recule prudemment, veillant à ne pas glisser. Un pas de travers et elles vont croire que je les trahis. La distance se creuse entre le petit groupe et moi et je prends ma décision.
- Je suis désolée, je murmure. Promis je reviens.
Mes mots flottent dans le vent et ces paroles destinées à personne en particulier me réconfortent. Je fais volte-face et m'engage sur la pente qui me ramène au village, à la maison. J'accélère le rythme, passant d'un pas lent à une course entre les feuilles glissantes, manque plusieurs fois de tomber et je parviens par je ne sais quelle chance à me rattraper in extremis. Lorsque soudain un cri retentit au sommet de la colline.
Brusquement glacée par ce cri de terreur je glisse sur les feuilles mortes et tombe, emportée par mon élan je roule sur quelques mètres. Eh merde ! J'atterris violemment sur le dos, le corps endolorit malgré l'épais tapis de feuilles, je me relève en grognant, de la terre collée à ma cape, sur mes mains et sur ma joue. Bordel c'était quoi ce cri ?!
Ça avait l'air de venir des sorcières, et si Salomon leur avait tendu un piège comme je le pressentais ?! Mes mains et mes genoux écorchés ont beau être douloureux je me relève tant bien que mal.
- Tenez bon ! J'arrive ! je crie.
Le cœur battant la chamade, je reprends ma course folle jusqu'à la maison, lorsque j'arrive devant la demeure du clan Campbell mon sang ne fait qu'un tour lorsque je constate que la porte de la grange est grande ouverte.
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