🎃 8. Douloureux souvenirs

Dans la maison, les sorcières s'agitent autour du lit d'Enid, assez mal en point suite à la morsure de ce qu'elles appellent « démon », et des derniers préparatifs pour le Samain. Assise sur une chaise, à l'écart de tout ce remue-ménage, je rumine sur les derniers événements et ceux à venir. Au fur et à mesure que je prends pleinement conscience de l'état des choses mon anxiété grimpe en flèche. L'angoisse fait trembloter ma jambe et battre mon cœur plus vite, je ne cesse de déplier mes doigts, comme si cette occupation pouvait me distraire.

Je prends un instant pour observer mes mains. De l'extérieur elles ont l'air tout à fait normal et ordinaire, pourtant... Qui eut cru que je puisse faire ça un jour ? Certainement pas moi. Je me penche pour récupérer une petite pierre magique dans le bocal de verre à mes pieds. L'améthyste au creux de ma main me rappelle la couleur du foulard préféré de ma mère, je me rends soudainement compte qu'elle me manque. On a beau dire, on a toujours besoin de sa mère, surtout dans les instants comme ceux-là.

La petite pierre se met à léviter dans ma main. Je crois d'abord que c'est l'arrière-grand-mère qui fait ça, possédant elle aussi ce pouvoir, mais je me rends compte que c'est moi quand la pierre se tourne et se retourne au grès de mes envies. C'est effrayant.

- Ne crains rien, elles te protègeront, murmure la voix au creux de mon oreille.

J'aurais pu sursauter, mais je suis trop fatiguée pour le faire.

- Allons, il ne faut pas que tu aies peur de moi, me dit-elle accompagnée par un doux rire cristallin.

- Comment veux-tu que je n'ai pas peur de toi alors que je ne sais pas qui tu es, ni d'où tu viens et que tu peux manipuler mon corps à ta guise ?

Elle ne répond rien, son silence est éloquent et je comprends que j'ai raison, c'est elle qui a poussé mon corps à s'interposer entre Abigail et Salomon et à attaquer le sorcier en retour.

- Je suis désolée... me souffle-t-elle.

- Tu ne comprends pas que j'ai peur ? Peur de ça ? Peur de ce que je peux faire ? Peur de moi ?

- Il ne faut pas que tu aies peur ! Je te dirai tout en temps voulu Candice. Pour le moment il vaut mieux que tu ne saches rien.

- Mais pourquoi ?! je m'insurge. Dis-moi au moins ton nom !

- Qui est-ce qui doit te dire son nom ?

Je me rends compte que j'ai parlé à voix haute quand je vois Brynn se tenir devant moi, un sourire sur son visage mutin.

- À qui parles-tu Candice ?

- Personne, je marmonne.

- Tu parles toute seule toi aussi ? me demande-t-elle en venant s'installer à côté de moi.

- Non enfin je... Comment ça moi aussi ?

- Tante Gwenn parle souvent toute seule elle aussi. Elle dit que ce sont les morts qui lui parlent et que parfois elle les voit aussi, m'explique Brynn.

- Vraiment ? relevé-je dubitative. Oh pourquoi pas... Après tout c'est bien possible.

- Non Candice. On ne peut pas communiquer avec les morts, du moins pas sans un rituel très complexe. On pense que tante Gwenn n'a plus toute sa tête, cependant...

- Rien ne vous prouve que ce ne soit pas vrai, n'est-ce pas ?

- C'est ça. Mon arrière-grand-mère est persuadée que c'était possible. Bathsheba aussi le croyait...

Le visage de Brynn devient triste à la pensée de sa sœur disparue et mon cœur se serre.

- Comment était-elle ? je demande.

- Bath ? Courageuse, rusée... et terriblement entêtée, énumère-t-elle en ponctuant le portait de sa sœur par un sourire tendre. Je l'enviais tellement, j'aurais tout donné pour être comme elle.

Brynn inspire fortement pour calmer les tremolos dans sa voix, ses yeux bleus brillent alors que le reflet des flammes dans la cheminée danse dans ses prunelles.

- Nous étions tellement différentes... Elle avec ses cheveux et ses yeux noirs et moi... Elle me défendait toujours, et pas seulement moi. Elle se serrait battue bec et ongles pour donner gain de cause au malheureux oisillon... Grand-mère la formait pour qu'elle prenne la tête du clan Campbell un jour, je ne concevais pas ma sœur faire autre chose, elle prenait son rôle très à cœur et travaillait dur...

Une image vient s'immiscer dans ma tête : celle d'une jeune femme de mon âge, à la chevelure bouclée noire massive, les sourcils arqués lui donnant l'air féroce, des yeux aussi sombres que les ténèbres, une aura de puissance entourant sa silhouette.

- Salomon voulait faire d'elle son apprentie. Mais ma sœur a toujours refusé de renier sa famille, les liens du sang sont extrêmement forts chez les Campbell. Trahir son clan n'a jamais été envisageable pour Bathsheba, et malgré tous les efforts que Salomon a déployés pour la convaincre, il n'a jamais réussi. Le pouvoir suprême n'a jamais intéressé Bath. Alors il s'est tourné vers la cadette, une pauvre fille minable qui n'arrivait même pas à la cheville de sa sœur...

- Tu n'es pas minable Brynn... je proteste.

Les poings de Brynn se serrent sur ses cuisses et c'est tout son corps qui se met à trembler de colère. Le reste des événements s'imbriquent automatiquement dans ma mémoire ; Salomon a jeté son dévolu sur Brynn, croyant qu'elle accepterait s'il lui promettait d'égaler un jour sa sœur aînée qu'elle idolâtrait tant. Bathsheba s'est interposée et s'est battue contre le puissant sorcier... Jusqu'à ce qu'elle le paye de sa vie.

Salomon ne pouvait pas posséder Bathsheba, alors il l'a tuée pour que personne ne puisse l'avoir.

Je sens une rage sourde monter en moi, des images passent furtivement devant mes yeux : le ciel orageux, le vent hurlant dans les oreilles, un combat, loin d'être équitable, la jeune et fougueuse sorcière affrontant Salomon seule, les éclairs déchirant le ciel, une pluie torrentielle s'abattant sur les magiciens, la puissance de leurs pouvoirs rivalisant avec l'inimaginable, le coup fatal. Elle s'effondre à terre. Brynn le visage ruisselant de larmes se mêlant à la pluie se précipitant sur le corps inanimé, hurlant sa douleur et sa peine, et Salomon. Le sorcier au regard froid comme les abîmes infernaux.

- Candice... ?

Je papillonne des yeux, bats rapidement des cils pour chasser ces images d'horreur de mon esprit. Quand je reviens à moi je constate que tous les regards sont braqués sur moi, celui de Brynn me dévisage avec une inquiétude non dissimulée, je vois rouge, tout tremble autour de moi comme si la terre se mettait à remuer avec force pour accompagner ma colère. En tentant de tempérer mon souffle et de calmer mes ardeurs le monde retrouve peu à peu sa quiétude, les bocaux cessent de trembler, les cris de douleurs de l'immense table de bois se taisent et les lumières des bougies s'apaisent.

- Candice ? Tu te sens bien ? chuchote Brynn.

Non. Non je brûle de rage.

- Brynn ! gronde sa grand-mère qui me toise.

Je ne parviens pas à saisir l'ordre silencieux d'Abigail à sa petite-fille, mais il est assez explicite puisque je sens Brynn me soulever difficilement de ma chaise tandis que la même main intrusive que je percevais ce matin tente de pénétrer mon esprit. Je peine tellement à me concentrer qu'elle y parvient sans mal, au lieu de me sentir agressée par ce contact indésirable je me sens étrangement apaisée, comme si l'on cherchait à m'envelopper dans une couverture chaude aussi douce que du coton. Je croise une paire d'yeux verts à l'autre bout de la pièce, je devine que cette sorcière a le pouvoir de pénétrer dans les esprits, fascinée par sa magie, je me laisse docilement aller à son contact réconfortant. J'avoue en avoir terriblement besoin au risque de réduire toute la maison en poussière si je ne me contrôle pas.

- Préparez-vous, ordonne la chef de clan. Nous allons partir pour le Grand Chêne commencer les préparatifs.

Abigail me jette un regard perçant, comme une menace silencieuse mêlée à une curiosité particulière que je ne saurais déterminer.

- Le Samain va bientôt commencer.

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