🎃 4.(1) Mains magiques
Avant que je ne puisse m'évanouir je sens des bras me soutenir alors que je m'écroule lamentablement sur le sol, c'est trop pour moi. Je retrouve l'étrange sensation de tout à l'heure, celle d'une main invisible qui tente de pénétrer dans mon esprit et à celle-ci vient se joindre un apaisement agréable.
- Eh oh ? Eh réveille-toi !
Abigail me secoue vivement sans me ménager, je pressens du mouvement autour de moi, on s'affaire à proximité, m'étouffant plus que tout le reste. J'ouvre péniblement les yeux et constate tous les visages curieux rivés sur moi. Enid me dévisage l'air mauvais, tandis que la fille d'Abigail se dépêche de m'examiner.
On me relève à grand-peine sur mes jambes lourdes, je n'ai qu'une envie : quitter cette maison de folles et rentrer chez Mrs Campbell pour me glisser confortablement sous la couette et dormir paisiblement jusqu'au lendemain ! Peu importe à quel point j'aime les animations de ce genre je crois que je suis guérie pour un bon moment.
- Abigail, tu ne pourras rien en tirer. Il suffit de la regarder ! Ce n'est qu'une humaine ! crache Enid. Une vulgaire humaine aussi fragile qu'une poupée de chiffon ! Renvoyons-la dans son monde !
Des messes basses d'approbation s'élèvent parmi les femmes qui me considèrent avec méfiance, cependant Abigail hésite. Je l'observe et elle peut lire dans mon regard que je commence à en avoir assez, bon sang personne n'est fait pour ce genre de plaisanterie !
- Très bien, déclare finalement Abigail. Allons au miroir.
Les sorcières m'empoignent brutalement les bras, sur un claquement de doigt d'Abigail la porte qui conduit à la grange s'ouvre sous mes yeux médusés. La part rationnelle de mon esprit accuse la fatigue, l'autre s'émerveille de ce qu'elle vient de voir.
On me pousse dans les escaliers, je glisse sur la marche en bois et on me rattrape au vol en pestant, je sens les sorcières très agacées, ou impatientes, je ne saurais le dire, leur poigne se resserre autour de mes bras et de mes épaules et j'ai beau gesticuler en les sommant de me lâcher rien ne semble y faire.
Je retrouve la grange de mon arrivée remplie d'une dizaine de femmes m'observant toutes d'un œil curieux, attentives à mon départ imminent pour « mon monde ». J'avoue que je suis curieuse de voir comment ces dégénérées vont me « renvoyer chez moi » à l'aide d'un stupide miroir ! Une hâte sournoise de démonter ces magiciennes du dimanche s'empare de moi, c'est donc l'air goguenard que je les regarde se démener quand soudain un cri retentit.
- Le miroir ! Le miroir a disparu !
Aussitôt d'autres cris font échos au premier semant l'agitation au sein du groupe qui se disloque. Celles qui me maintenaient prisonnières me relâchent brusquement, me poussant dans le tas de foin comme un vulgaire chiffon. Même si je proteste celles-ci ne semblent pas m'entendre, davantage préoccupées par leur satané miroir de pacotille plutôt que par la police que je vais m'empresser de leur coller aux trousses une fois que je me serai tirée de ce mauvais pas !
- Le miroir !
- Où est-il ?!
- On nous l'a volé !
Discrètement, je commence à ramper au milieu des vieux jupons paniqués, si je veux m'enfuir c'est le moment ou jamais ! Et alors que je me fais discrètement la malle j'entends le cri d'Enid traverser la grange.
- Eh ! Toi là ! Où tu vas comme ça ?!
Avant même que j'ai le temps d'esquisser un mouvement la porte de la grange se ferme et se barricade violemment devant moi. Cette fois j'en suis sûre, je n'ai pas rêvé, cette porte vient vraiment de se fermer toute seule sous mon nez ! Je me retourne, assise à même le sol sale, vers l'armada de sorcière qui me dévisage.
- C'est elle ! Elle nous l'a volé ! m'accuse la rousse en pointant un doigt accusateur vers moi. Elle a volé le miroir !
- Quoi ?! Mais je n'ai rien volé ! me défendis-je.
- Tais-toi ! Traîtresse !
- Je ne sais pas où est votre fichu miroir ! Il n'était même pas là quand je suis arrivée ! je crie.
- Menteuse ! C'est une espionne de Salomon ! s'écrie la harpie en regardant chacune de ses consœurs. Elle nous a volé notre miroir et elle est venue nous espionner pour livrer nos plans à son maître !
- Mais fermez-la ! m'agacé-je à bout de patience. Je n'y suis pour rien et j'en ai rien à faire de votre stupide miroir !
- Tu vas le payer.
La voix tranchante d'Enid est sans appel, je sens ma belle assurance s'envoler lorsque la sorcière se munit d'une fourche. Je suis pétrifiée. Elle ne va quand même pas m'empaler sur place... Non ? À sa mine furieuse je sens ma gorge se nouer. Ah ben si, elle va vraiment m'empaler sur cette fourche !
- Enid ! Non ! crie Abigail.
Il est déjà trop tard, la harpie fonce sur moi, échevelée comme un démon, les dents serrées, sa fourche pointée vers ma poitrine. Je vais mourir. Mourir embroché comme un poulet par une vieille paysanne irlandaise complètement folle ! Un hurlement de terreur m'échappe et par réflexe je rabats mon bras vers mon visage comme si ce geste ridicule pouvait repousser la sorcière et sa fourche.
Ce qui se passe alors défie toute loi de la logique : Enid est propulsée dans les airs, sa fourche lui échappe et vient se briser en deux contre le mur de la grange alors que la rousse effectue un vol plané à l'autre bout de la pièce avant de s'écraser au sol comme un fruit pourri tombé de l'arbre.
Des cris de surprise résonnent autour de moi, je suis complètement perdue. Ma vision se brouille alors tandis que la tête me tourne violemment. Ma respiration s'accélère, des sueurs froides coulent sur mon front et dans mon dos, je me sens transpirer. Heureusement que je suis déjà au sol sinon je n'aurais pu rester sur mes jambes.
La petite-fille d'Abigail est la seule à se précipiter vers moi, toutes les autres me regarde avec méfiance, aussi médusées que moi par ce qu'il vient de se passer.
- Qui a fait ça ! hurle Abigail.
Oui qui ?! Nom d'une citrouille cette Enid n'a pas fait un vol plané à travers la grange toute seule !
- Est-ce que ça va ? me demande la jeune fille.
- Est-ce que j'ai l'air d'aller bien ? je grommèle.
J'aimerais répondre, mais de violents haut-le-cœur me secouent, la nausée me vient et je ne vais pas tarder à me vomir dessus de la façon la plus pitoyable qu'il soit.
- Grand-mère ! Un seau ! Vite !
Sans que je sache comment ce maudit seau a pu atterrir entre les mains de la jeune fille elle le colle sans attendre entre mes bras, je vomis. Je rends petit déjeuné, goûté, tripes et boyaux que sais-je encore, jusqu'à me sentir épuisée. La petite-fille d'Abigail est restée près de moi, elle me jauge du regard, passe une main réconfortante dans mon dos et m'encourage à me calmer en murmurant doucement des paroles de réconfort.
Je m'apaise petit à petit, haletante et tremblante.
- Aucune de nous n'a fait ça, dit-elle alors à sa grand-mère. C'est elle.
Elle ? Je suppose qu'elle parle de moi ? Ah oui en effet elle parle de moi. Tous les regards sont braqués sur moi, je peux lire de l'inquiétude, de l'incrédulité et mon visage doit sans doute exprimer la même chose. Moi-même je ne comprends pas ce qu'elle veut dire.
- C'est impossible... souffle Abigail.
La fille d'Abigail m'observe, les larmes aux yeux.
- Ce n'est pas une sorcière ! intervient une femme.
- Elle n'a aucun pouvoir ! dit une autre.
Et moi j'ai envie de les applaudir pour un sens aussi aigu de déduction.
- Comment est-ce que vous expliquez ça alors ? Je ne vois qu'une seule solution à ce qu'il vient de se passer : elle possède des pouvoirs. Les mêmes que Bathsheba... observe la jeune fille.
La fille d'Abigail porte une main à sa bouche, étouffant un sanglot au passage.
- Brynn ! Tu ne sais pas ce que tu dis, ce n'est pas possible ! Ta sœur était une Campbell ! Cette fille... Ce n'est rien de plus qu'une humaine ! tente de la raisonner sa grand-mère.
- J'espère... marmonné-je d'une voix rauque.
Brynn enserra mon épaule pour me rapprocher d'elle, comme si elle cherchait à me protéger.
- Je n'en suis pas si sûre. J'ai immédiatement su que quelque chose n'allait pas quand elle est entrée dans la pièce. J'ai senti... Une énergie familière, celle de ma sœur, poursuit Brynn avec entêtement.
Comme personne ne parle elle poursuit.
- Je reconnaîtrais l'énergie de ma sœur n'importe où !
- Brynn, Bathsheba est morte. Salomon l'a tuée tu t'en souviens ? l'interroge la fille d'Abigail. (Je note une certaine ressemblance entre elle et Brynn et en déduit qu'elle doit être sa mère.)
- Je sais bien ! Je vous en prie ! Faites-moi confiance...
Un silence de mort est tombé dans la grange, les faibles rayons du jour s'infiltre à peine par le bas de la porte et réchauffent mon dos glacé.
- Vous savez que je suis là quand même ? dis-je. Je ne sais absolument pas de quoi vous parlez mais c'est absurde. Laissez-moi partir...
- Je suis d'accord, intervient une femme à la longue chevelure brune. Il n'y a qu'à essayer.
Pardon ? Essayer quoi au juste ?
Sans prévenir elle ramasse la fourche brisée au sol et la lance dans ma direction. J'entends le cri de Brynn à côté de moi mais je n'ai pas le temps d'esquisser le moindre mouvement, je commence vraiment à croire que cette maudite fourche veut ma peau ! Les dents rouillées de l'arme improvisée se dirige inexorablement vers moi, impuissante je regarde la mort venir en face.
Incroyable mais vrai : la fourche ne m'atteint jamais.
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