🎃 2. Miroir, mon beau Miroir, où ai-je atterri ?

Le bruit étouffé des oiseaux et celui de l'agitation terrestre me tire de mon sommeil. Me sentant étrangement lasse, je peine à ouvrir les yeux. Les sons autour de moi se précisent, comme si je reprenais conscience, je suis affalée sur le ventre, assoupie sur quelque chose de dur et de chatouilleux. Je peux tout à fait être en train de rêver mais je suis étrangement consciente si c'est le cas. Dans les rêves on ne sent pas la douleur physique, si ?

J'éprouve mon corps se mouvoir avec peine et ma peau me gratter ; quand j'ouvre les yeux je me rends compte que je suis affalée sur un tas de foin. Du foin ?! Rapidement je me lève pour m'emmêler les pieds et rechuter lamentablement sur le sol sale de l'endroit où je me trouve.

- Aïe !

Oui ! Aïe ! Bon sang mais où est-ce que je suis ?!

Je me relève difficilement sur le sol froid et humide, mais on dirait de la terre ? Non, pas « on dirait », c'est de la terre ! Je ne me rappelais pas que Mrs Campbell avait un tas de foin chez elle ? ...Peut-être parce que je ne suis plus chez Mrs Campbell ?

Cette pensée noue mon estomac.

Non mais tu délires ma pauvre Candice, arrête de dire n'importe quoi ! Je dois juste être en train de rêver ! Oui c'est cela, un pauvre petit rêve...

J'époussette mon jean recouvert de terre et regarde autour de moi, j'ai comme l'impression que le lieu où je me trouve ressemble à une espèce de grange moyenâgeuse. Je ne comprends vraiment rien et dire qu'il y a une seconde à peine j'étais dans le grenier de Nana Campbell ! Pourquoi j'ai la sensation d'avoir un trou de mémoire ? Une sorte de béance ? Une amnésie ? Je ne sais pas !

Ok du calme Candice, du calme. Respire. RES-PI-RE.

J'entends des braillements à l'extérieur, des hennissements, du grabuge. Je ne veux pas rester là, il faut que je demande à quelqu'un ce qu'il s'est passé. Peut-être que j'ai trop picolé cette nuit et que je suis allée m'égarer dans la grange d'un voisin ? Mais Nana ne m'aurait jamais laissée sortir avec un tel temps ! C'est tout bonnement incroyable. Je ne suis plus chez Mrs Campbell, c'est une certitude. J'espère ne pas avoir dérangé le voisin qui habite par ici... Si c'est le cas je devrais sans doute m'éclipser avant d'avoir des problèmes...

Lorsque je pousse la vieille porte de la grange, je n'en crois pas mes yeux : une vieille charrette en bois tirée par un cheval roule lentement sur l'allée de terre, à ses rennes, un homme en haillons ; autour de lui des gens en longues jupes, gilets et sabots se pressent, bavardent, ne prêtent aucune attention à ce sordide décor digne de d'un film historique. Une reconstitution historique... Mais oui ! Ça doit être ça ! J'ignorais que le village organisait ce genre d'événement... Comment j'ai pu passer à côté des affiches ? Quel boulet...

Pendant que j'admire le réalisme du décor des bruits me parviennent de l'étage. Le plancher grince au-dessus de ma tête, me rappelant la vétusté des habitations moyenâgeuses. Quel travail fantastique. Je regarde mon jean et mes converses, jette un œil à mon chemisier blanc et mon épais gilet de laine, pas très historique tout ça. Sauf mes boucles brunes emmêlés de paille peut-être.

Je décide donc de grimper à l'étage, si je croise des habitants du village je pourrais sans doute leur demander de me prêter un vêtement pour ne pas faire tâche dans le décor. En haut des marches de l'escalier je frappe doucement à la porte en bois, personne ne me répond. Je colle mon oreille contre la paroi et des bribes de paroles me parviennent, on dirait qu'une dispute vient d'éclater, ou du moins une conversation très animée.

Je pousse doucement la porte qui s'ouvre non sans difficulté en couinant de douleur, aussitôt les paroles cessent, les bruits se taisent et je découvre une dizaine de paires d'yeux braqués sur moi. Ce sont toutes des femmes, d'un âge différent, la plus jeune doit avoir tout juste 17 ans, je remarque une vieille dame qui ressemble à l'amie de ma grand-mère, une autre du même âge que Mrs Campbell et quelques-unes qui doivent avoir celui de ma mère. Toutes sont vêtues comme des paysannes et me dévisagent comme si j'étais un monstre surgit d'une autre dimension.

Je me ratatine sur moi-même, sentant l'angoisse me gagner petit à petit, sont-elles vraiment obligées de me scruter ainsi ? Je sais que je fais tâche dans le décor, mais quand même ! Ça en devient extrêmement gênant... J'essuie mes mains moites contre la laine de ma veste et tente une approche.

- Bonjour.

À peine ai-je le temps de prononcer une simple formule de politesse qu'elles tressaillent comme si je venais de leur cracher à la figure.

- Je... Euh... Je suis désolée je me suis retrouvée par mégarde dans votre grange et... Je ne savais pas qu'il y avait une reconstitution historique aujourd'hui... D'ailleurs c'est vraiment bien fait, chapeau pour vos costumes ! On dirait d'antiques paysannes irlandaises et euh... Je... Je ne sais pas comment j'ai atterri là mais euh...

Pendant que je m'emmêle les pinceaux, rendue anxieuse par l'attitude de ces femmes, elles échangent des regards perplexes, surpris, effrayés pour finalement se retourner comme un seul homme vers celle qui doit avoir l'âge de Mrs Campbell.

- Abigail, murmure une femme maigre aux cheveux roux. Ça a marché... !

La dénommée Abigail fait un pas dans ma direction, petite femme replète, les yeux bleus et le cheveu poivre sel sous le bout de tissus qui couvre son crâne, m'observe attentivement ; du sommet de mes cheveux bruns bouclés jusqu'à la pointe de mes converses sales. Elle ne semble pas convaincue par mon aspect et à vrai dire je suis de son avis, j'aimerais bien prendre mes jambes à mon cou immédiatement.

- Comment t'appelles-tu ? m'interroge Abigail.

Ah le tutoiement déjà, d'accord ! Toutes les femmes se taisent et attendent impatiemment ma réponse, tout comme Abigail qui m'oppresse avec ses yeux bleus de glace.

- Can... Candice, madame, je réponds.

- D'où viens-tu Candice ?

- Je euh... De Bretagne madame.

- De Bretagne ? elle répète en haussant un sourcil.

- O... Oui.

Une femme au dos courbé ose s'avancer vers moi, elle lève les yeux au ciel et hausse le ton, visiblement excédée par ma présence.

- Mais non pauvre idiote ! De quelle année ?!

Comment ça de quelle année ? Je pique un fard.

- Eh bien je suis née en 1995 si c'est ma date de naissance qui vous intéresse. Je ne comprends pas qu'est-ce que ça peut bien faire ? Pourquoi vous me demandez ça ?

Apparemment ma réponse est ce qu'elles attendaient, elles se lancent toutes des regards émerveillés et j'entends les chuchotements aller bon train : « c'est formidable ! » « Nous avons réussi ! » « Nous sommes sauvées ! » « Ça a marché ! »

Une femme à peine plus jeune que ma propre mère à la chevelure blonde me sourit de toutes ses dents.

- Une Campbell de 1995 c'est formidable ! s'exclame-t-elle au bord de l'émotion.

Je les observe aller à ma rencontre comme si j'étais le Messie sur le point de m'enlacer lorsque je comprends qu'elles me prennent pour quelqu'un que je ne suis pas.

- Campbell ? je demande.

- Oui ! Tu es bien une descendante Campbell, n'est-ce pas ? me demande la femme aux cheveux d'or.

- Sinon tu ne serais pas là ! reprit la jeune fille de 17 ans.

À la tête que je tire leurs sourires s'évanouissent instantanément. Je ne comprends absolument rien à ce qu'elles racontent. C'est une blague ?

- Si tu ne t'appelles pas Campbell... Quel est ton nom ? reprend Abigail.

- Moreau, je m'appelle Candice Moreau.

Oups, boulette ? Nouvelle effusion de brouhaha. « Quoi ?! » « Comment c'est possible ?! » « On s'est trompées ? » « Ça ne peut pas être vrai ! » « Impossible... ! » Abigail braque de nouveau son regard sur moi, il est si intense que je me sens trembler malgré moi. Elle fait quelques pas de plus, m'obligeant à reculer, je ne sais pas qui est cette femme, mais un simple regard sur moi suffit à m'effrayer. Où suis-je ? Avec ma chance légendaire j'ai dû atterrir je ne sais comment dans une secte de folles furieuses ! Oh non. Nana Campbell m'a vendue à une secte !

Je fais volte-face quand j'entends un grincement dans mon dos et écarquille les yeux devant la porte qui se referme seule sous mon nez. Voilà que ma seule échappatoire vient de s'envoler à tire d'aile... Génial ! Je me retourne vers Abigail et ses lèvres pincées qui me jauge du regard.

- Comment as-tu réussi à venir ici ?

J'ai envie de rétorquer que j'ai sûrement trop bu la nuit dernière et que je ne voulais pas les déranger, que je vais m'en aller sans faire d'histoires et qu'elles n'entendront plus jamais parler de moi. Mais lorsque je croise les yeux verts intenses d'une jeune femme je sens brusquement comme un poids sur l'arrière de mon crâne faire pression, comme si l'on essayait d'entrer dans ma tête. Les mots sortent seuls de ma bouche en une sorte de tirade malgré moi et je ne peux rien faire pour les retenir.

- J'étais chez Mrs Campbell, nous attendions sa famille qui devait arriver d'un moment à l'autre pour dîner. Mais l'orage dehors était si violent que les plombs ont sauté. Mrs Campbell m'a donc envoyée au grenier pour chercher les chandeliers en argents et j'ai trouvé un miroir. C'était un vieux miroir rouillé avec des motifs gravés, il y avait une inscription qui parlait de ténèbres, et de lumière... De destinée aussi ! Je me suis sentie obligée de la lire à voix haute. C'est ce que j'ai fait d'ailleurs ! Et puis après c'est le trou noir. Je ne me souviens de rien, je me suis juste réveillée dans un tas de foin et... Mon Dieu mais qu'est-ce qu'il se passe ?!

Ma voix se met à trembloter en dépit du peu de maîtrise que je tente de garder. Un échec visiblement. Pourquoi est-ce que je leur raconte tout ça ? Je sens la panique me gagner peu à peu. Je lance des regards apeurés à chacune des femmes ici présentes, certaines me rendent mon regard effrayé, d'autres le fuient, je ne parviens pas à savoir ce qu'elles pensent.

- Je n'y comprends rien... je finis par avouer penaude, au bord des larmes.

Abigail secoue lentement la tête, réfléchit, quand elle lève les yeux vers moi je comprends que ce que je vais entendre va être difficile à avaler.

- Je ne sais pas quoi dire, dit-elle enfin. Jusqu'ici aucune humaine n'avait réussi à se servir du miroir. Je ne me l'explique pas. (Je fronce les sourcils à l'emploi du mot « humaine ».) Très bien, reprend-elle après une grande inspiration qui soulève sa large poitrine. Candice Moreau, tu te trouves dans la maison de la famille Campbell, le jour du Samain... En l'an 1621.

Et voilà ! L'impensable arrive ! Et ce n'est pas fini j'ai envie de dire...! Candice s'est fourrée dans de beaux draps !

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