🎃 10.(5) La nuit est noire, mes sœurs, le duel des magiciens commence

Brynn vient secouer gentiment mon épaule. Assise à même le sol, je lève la tête pour la contempler et lui offre un sourire sincère. Abigail apparaît devant moi, me surplombant de toute sa hauteur, ses prunelles impitoyables braquées sur moi. Je comprends qu'elle n'a toujours pas digéré la façon dont je l'ai traitée et mon petit plan qui a bien failli ne pas fonctionner.

Honteuse je baisse la tête.

- Je suis désolée... je marmonne.

Contre toute attente elle me tend une main, hésitante je l'attrape et elle me relève avec force, me tirant vers elle et me serrant dans ses bras à m'en étouffer.

- Merci... Merci Candice... Tu nous as tous sauvés.

Ses paroles me touchent en plein cœur, les larmes me montent aux yeux et je ne peux les empêcher de dévaler mes joues. Je rends son étreinte à Abigail et nous sommes rapidement rejointes par Brynn, Mahé, Celiwen et d'autres sorcières. Je me sens bien. Emplie d'amour et de joie.

Abigail se sépare de moi et je la surprends à sécher une larme.

- Bien, dit-elle. Nous avons une cérémonie à accomplir et une jeune femme à renvoyer chez elle.

Mon sourire est éloquent. Les sorcières me délaissent pour retourner à leurs préparatifs. Je frotte mes bras nus sous ma cape, un sourire béat sur les lèvres. Je ne suis plus tout à fait là, et pourtant l'ai-je déjà été ? J'ai la sensation de flotter bien que je sois épuisée, épuisée mais heureuse.

- Je savais que tu y arriverais, fait une voix dans mon dos.

Je sursaute, et pourtant cette voix je suis désormais capable de la reconnaître n'importe où, elle m'a guidée.

- Bathsheba !

Face à moi, un spectre lumineux m'observe, la jeune sorcière me sourit avec tendresse, les mains croisées dans son dos, son visage illuminé d'un faible halo bleuté rayonne.

- Merci Candice. Je ne pourrais jamais te remercier pour tout ce que tu as fait pour ma famille. Grâce à toi, la magie Campbell perpétuera, notre famille à encore de belles années devant elle.

Je souris, mais ma bonne humeur s'estompe bien vite à l'idée du terrible destin qui attend les sorcières.

- Bathsheba... Tu sais, les chasses...

- Oui, me coupe-t-elle. Oui je sais. Ne t'inquiète pas Candice. Je veillerai sur Brynn et notre famille. Notre magie prospèrera encore longtemps malgré tout, fais-moi confiance.

Cependant je ne dis rien, accablée. Une main douce et délicate glisse sous mon menton, m'obligeant à lever les yeux, le fantôme de Bathsheba ne cesse de me sourire, son contact est apaisant, je presse sa main contre la mienne, un pincement au cœur.

- Lizzie ?

Le fantôme de Bathsheba disparaît, devant moi Draghan m'observe l'air curieux.

- À qui est-ce que vous parliez ?

- À une amie, je réponds.

Je m'avance vers lui, le regard sombre de l'apprenti sorcier glisse sur le sol.

- Vous... Vous vous êtes bien battue. Sans vous...

Je l'interromps d'un geste de la main.

- Je n'y serais jamais parvenue toute seule. Nous avons réussi Draghan, c'est grâce à vous que la famille Campbell est sauvée.

Un petit rire lui échappe.

- Salomon ne reviendra pas de sitôt ! dit-il avec amusement. Lizzie... Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme vous. Vous êtes forte, courageuse et...

Nous sommes interrompus par Brynn qui nous appelle pour former le cercle, Draghan part devant et Brynn me prend par la main non sans me jeter un coup d'œil goguenard au passage, je souris bêtement et baisse la tête pour cacher mes joues enflammées.

Main dans la main, nous fermons de nouveau le cercle, récitons la formule, avec émerveillement la magie opère de nouveau. Une lumière éblouissante enveloppe le Grand Chêne, des points lumineux se mettent à danser autour de lui, comme un sublime ballet enchanteur, la porte de lumière s'ouvre en son sein et des rires de joie me parviennent. La mélodie est douce, paisible.

Bathsheba apparaît dans le cercle, le regard rivé vers la porte de lumière qui l'exhorte à y entrer. Cependant elle hésite, face au grand arbre elle ne fait pas un pas de plus. Je ne sais si elle sent mon regard sur elle mais Bathsheba se retourne vers moi. Elle a peur, je devine.

Je lui souris.

- Ça va aller, tout va bien, je l'encourage. Tu n'as pas à avoir peur.

Je veux lui dire. Après tout ce qu'elle a traversé, après toutes les épreuves, tout ce qu'elle a fait pour sa famille, elle a droit au repos.

Je sais qu'elle a entendu mes pensées, elle m'offre un sourire en retour.

- Merci... souffle-t-elle.

Elle se retourne et se dirige vers la porte avant de disparaître dans un flot de lumière.

Une brise légère vient s'insinuer entre nous, nous caressant avec affection et douceur. Ce ne sont pas des adieux, seulement un au revoir. Un tourbillon argenté se dresse depuis la cime du Grand Chêne jusqu'au ciel, je le regarde, les yeux brillants, ma gorge se noue quand une étoile filante glisse à travers le ciel.


Draghan nous a finalement rendu le miroir, c'était bien lui qui l'avait dérobé peu de temps avant que je n'arrive. Il s'était excusé auprès des sorcières qui avaient accepté ses excuses, il leur avait expliqué sa démarche, sa peur. Elles n'avaient peut-être pas mesuré tout l'ampleur du danger, moi si. Je regarde le jeune sorcier discuter avec Brynn, les mains croisées sur ma jupe. Mon regard se met alors à vagabonder autour de moi, s'attardant sur la colline, le Grand Chêne, les visages des sorcières... Ces femmes qui ont placé leur vie entre mes mains, ces femmes courageuses et fières de leur famille. L'espace d'un instant je me suis enfin sentie chez moi.

J'examine mes mains : elles sont recouvertes d'égratignures et de terre. Que va-t-il se passer maintenant ? L'avenir me semble si incertain... Je vais rentrer chez moi et reprendre ma vie humaine, comme je l'ai toujours menée jusqu'à présent, seulement je regarderai le monde différemment à présent. Avec un soupçon de magie.

- Encore dans la lune à ce que je vois ?

Draghan me sourit et pour la première fois je remarque qu'il ressemble à un enfant quand il sourit de la sorte. Quand je le vois devant moi, du sang séché sur sa tempe, la mine douce, j'ai du mal à me dire qu'il y a quelques heures à peine je devais le considérer comme mon ennemi.

Il m'a aidé à vaincre Salomon, je lui ai offert la possibilité de fuir et il a préféré venir nous aider.

- Merci, lui dis-je.

- Pourquoi ?

- Pour nous avoir aidées.

Il enfourne ses mains dans ses poches et se rapproche de moi.

- Mais enfin Lizzie. C'est à moi de vous remercier. Sans vous j'aurai sans doute fait la plus grosse erreur de toute ma vie.

Je fais moi aussi un pas dans sa direction.

- J'ai eu tort de vouloir me débarrasser de la magie... C'était égoïste de ma part. Mais je pense qu'au fond j'avais peur.

- Sans doute. Moi aussi jusqu'à ce soir j'étais terrifiée à l'idée de devoir vivre avec ça.

- Et maintenant... ? Pourriez-vous vivre avec cette magie ? Malgré tous les dangers qu'elle représente ?

Un petit rire m'échappe. Je n'aurais plus à me soucier de ça, je suis libérée de mon rôle, mais ça Draghan ne le sait pas. Même si je ne peux plus jouer avec la magie, je la protègerai, je la chérirai, j'en fais le serment intérieurement.

- La magie est précieuse, dis-je. Elle fait partie de vous, prenez en soin.

- Vous avez raison.

- Qu'allez-vous faire maintenant ? m'enquis-je.

- Abigail et sa petite-fille m'ont proposé de rester avec elles. J'aurais volontiers accepté, mais... Je crois que je suis parti de chez moi depuis trop longtemps.

Moi aussi, je veux répondre. Au même moment les femmes du clan Campbell viennent me chercher, tout est prêt pour que je rentre chez moi. Je m'avance vers Draghan.

- J'espère vous revoir... me glisse-t-il.

- C'est dôle la dernière fois que vous m'avez dit ça je vous ai retrouvé derrière les barreaux et au sommet d'une colline à affronter la mort, plaisanté-je.

- Il est vrai ! rit-il. Mais cette fois-ci ça sera différent.

Un sourire illumine mon visage, je devine que j'ai pris une teinte cramoisie à la lueur qui danse dans les prunelles sombres de Draghan. Je fais un pas vers lui et dépose un baiser sur sa joue.

- À bientôt Draghan.

Le sorcier porte ses doigts à sa joue, comme charmé par mon geste et me rend un sourire éclatant.

Les sorcières du clan Campbell viennent à ma rencontre, l'heure des adieux a sonné, toutes me prennent dans leurs bras, me serrent contre elles, me couvrent de remerciement. Brynn, les yeux baignés de larmes, manque de me faire pleurer à mon tour lorsqu'elle m'enlace avec force.

- Tu occuperas toujours une place importante pour moi, me glisse-t-elle.

Je lui rends son étreinte avec autant de force que possible. Qui eut cru que je m'attache autant à une fille d'une autre époque en quelques heures ?

Brynn s'écarte à contre cœur de moi et Abigail vient à ma rencontre.

- Nous ne te remercierons jamais assez pour tout ce que tu as fait pour nous. Pour notre clan, notre famille. Tu feras partie des Campbell, et ça pour toujours.

Abigail me glisse alors un lacet au creux de la paume au bout duquel brille un médaillon de bronze, un triqueta. Son cadeau manque de me faire fondre en larme.

- Les ancêtres des Campbell veilleront sur toi, à travers le temps et l'espace, Candice Moreau, tu es notre sœur.

Sur ces paroles elle m'enlace.

Abigail étouffe un sanglot, je sais qu'il est l'heure de partir, de regagner mon monde et pourtant... Je ne peux m'empêcher d'être triste.

Mes pieds me conduisent seuls vers le miroir, j'inspire à fond et l'observe. Mon aventure s'achève ici. Je récite la formule, celle-là même qui m'a amenée ici et qui me conduira chez moi. Par-dessus mon épaule je jette un dernier regard à Draghan et aux sorcières dont les yeux brillent de larmes, même Enid qui l'eut cru !

La flamme s'allume dans le miroir, m'invitant à la toucher.

- Au revoir... soufflé-je.

Ma main effleure la surface lisse de la glace, je traverse le miroir.


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