Chapitre 3
Mes prunelles détaillaient cette silhouette, qu’était la mienne, dans le miroir à pied. Althea était venue me chercher ce matin, essayant de me changer les idées. Ce qui était vain, parce que mes pensées retournaient sans cesse à cette rencontre. Elle avait donc décrété de me faire un relooking, espérant que cela me donne du courage. Elle disait que je devais imaginer ceci comme une armure. Seulement, même une armure n’était pas suffisante pour ce qui allait m’arriver. D’ailleurs, je ne comprenais pas l’intérêt d’avoir un décolleté plongeant. Je cherchais à préserver ma vie, pas à me faire dévorer par lui. Ce haut violet, ou magenta, mettait un peu trop en valeur ma poitrine avec son col en V. C’était presque comme si on indiquait aux autres de regarder mes seins. Heureusement pour moi, elle avait juste choisi un jeans slim et des bottes plates de couleur vin bourguignon. Je pouvais toujours courir pour m’enfuir s’il ne me restait plus aucune autre option. Bien que c’était déconseillé devant un prédateur, encore plus devant un Alpha.
— C’est bientôt l’heure du rendez-vous, me prévint Althea.
— J’arrive, soufflai-je, en puisant dans le peu de courage que j’avais.
Je rejoignis ma meilleure amie pour partir. Mon cœur battait un peu la chamade. Savoir que cette rencontre allait réellement se passer. Je montais dans la voiture grise de ma meilleure amie. Petit à petit, mon cœur se calmait et je me sentais étrangement plus sereine. Le trajet ne m’avait pas paru trop long ou trop court. Malgré tout, je savais qu’il y avait une bombe à retardement en moi. Elle était là, cachée au fond de moi afin de pouvoir exploser au moment venu.
— On y est, chuchota-t-elle, en garant la voiture.
Mon regard se porta sur la forêt, qui nous était si familière. L’odeur des arbres, de la mousse, de la terre humide, venait nous titiller les narines. Cet endroit était notre chez nous. Ma louve sortait la truffe de sa caverne, alors qu’elle avait l’habitude de rester cachée. Un petit sourire s’étira sur mes lèvres, quand les arbres nous engloutirent, tout en nous montrant le chemin. Althea me conduisit jusqu’à un espace, trop petit pour être appelé une prairie. Cela ressemblait juste à un trou de souris dans la forêt. De vieux arbres d’un demi-millénaire, aux racines noueuses et apparentes s’enchevêtrant, nous entouraient comme s’ils nous accueillaient dans un espace privé, une sorte de bulle, hors du temps et de l’espace.
Mon regard se posa sur les silhouettes déjà présentes. Le vieux loup de la fête qui avait demandé l’attention de tous. Je pouvais reconnaître celle qui exerçait le rôle de Vetusna, l’ancienne Luna de la meute. Elle était donc la mère de notre Alpha. Son attention était toute portée sur moi, et je pouvais sentir qu’elle me jaugeait, un peu comme tous les autres qui étaient présents. Le reste était sûrement la garde rapprochée de l’Alpha avec quelques anciens de la meute. Mes prunelles s’arrimèrent finalement au sien. Le regard de l’Alpha, Karhon.
— Mademoiselle, s’avança le vieux loup.
Je l’avais entendu, mais mon attention était entièrement concentrée sur Karhon. Ses prunelles bleu glace m’attiraient, ou plutôt m’aspiraient. J’avais envie de me rapprocher de lui, de tendre la main et de pouvoir toucher ce qui semblait n’appartenir qu’à moi. Je ressentis un pincement dans le bas de mon dos, mais je fus suffisamment maître de moi, pour ne pas juste crier sur ma meilleure amie. Je lui étais dans un sens redevable, mais elle n’était pas obligée de me pincer si près des fesses.
— Elerys. Elerys Evelon, me présentai-je d’une faible voix.
Je pouvais sentir leur regard sur moi, c’était oppressant. La présence de ma meilleure amie ne m’aidait pas à me sentir forcément mieux. Cela commençait à devenir étouffant. Ma gorge se serrait, comme si on me la compressait. Ma peau devenait moite, et je sentais un début de fourmillement dans toutes mes jambes. J’aillais finir par défaillir, et ce n’était peut-être pas une mauvaise idée de s’évanouir.
L’Alpha s’avança vers moi, s’approchant suffisamment pour m’avoir à porter de bras. Une nouvelle rencontre de nos prunelles et je replongeais dans cette bulle qui n’appartenait qu’à nous. Il tendit son bras, ses doigts cherchant à effleurer ma joue. Aussi étrange que cela pouvait paraître, je me serais volontiers plongée dans cette douce caresse, mais j’avais préféré reculer. L’évitant comme si l’Alpha était atteint d’une maladie virale, mais j’étais terrifiée. Non pas de lui, mais de tout ce qui, si relation nous avions, en découlerait. L’amour ne faisait pas tout dans une relation.
— Je suis désolée…, murmurai-je en détournant mon regard de lui.
Sans même attendre que quiconque intervienne, j’avais pris mes jambes à mon cou. Je sentais mon cœur se comprimer, alors que mes yeux brûlaient de larmes contenues. Ce lien naissant que j’essayais de briser, me faisait mal. C’était comme si on m’arrachait un organe vital, dont j’ignorais l’existence.
Mes jambes finirent par ralentir et s’arrêtèrent. J’avais atteint un vieux chêne, qui semblait familier à ma louve. C’était elle, qui m’avait conduite ici, je suppose. Je m’accolais à ce dernier afin de reprendre une respiration acceptable. Tout tournait dans ma tête, et un gémissement plaintif s’échappa de mes lèvres quand je repensais à ce qu’il venait de se passer. Je l’avais rejeté. J’avais rejeté l’Alpha, j’avais rejeté mon âme-sœur. Prendre conscience de cela me donnait l’impression d’être au bord d’un gouffre, et je n’avais pas de filet de sauvetage si je venais à tomber.
— J’ai l’impression de mourir…
— Tu n’es pas la seule dans ce cas présent, me répondit une voix grave.
Je bondis de surprise, prête à m’enfuir de nouveau, mais deux bras m’entourèrent pour me plaquer contre un grand corps chaud et ferme. Un hoquet s’échappa de ma bouche, tandis que je perdais mes forces. Il me retourna pour que je lui fasse face. Mes yeux clignèrent devant l’expression sombre de l’Alpha. Je baissais les yeux, face à la lueur que je voyais dans ses prunelles de glace. J’ignorais si je me sentais honteuse, mais je n’arrivais pas à lui faire face. Ses doigts effleurèrent mon menton, me forçant doucement à relever les yeux sur lui.
— Regarde-moi, me souffla-t-il.
Je ne pouvais qu’obéir à cet ordre tellement doux, qu’il me faisait fondre telle une guimauve. Mon regard se plongea dans le sien. Les émotions qui transparaissaient, me serraient le cœur. Sa main vint englober ma joue, et son pouce caressait ma pommette. Il voulait comprendre pourquoi je m’étais enfuie, pourquoi je l’avais rejeté. C’était à la fois si simple et si compliqué. Il était l’Alpha. Sa partenaire était destinée à devenir Luna. N’importe qui rêverait d’être à ses côtés. D’avoir ce rang et de remplir cette fonction avec fierté. Seulement, pas moi. Je n’étais pas comme n’importe qui, en dessous de la moyenne, touchant presque le néant. Lui, il méritait la meilleure, quelqu’un comme Leona Monroe. Tout le contraire de moi qui n’était rien, qui menait une existence inutile et futile…
— On ne peut pas… je ne peux pas…
— Explique-moi mieux que ça, m’intima-t-il.
Son ton pouvait paraître autoritaire, mais il était tendre, m’indiquant qu’il patienterait que je trouve mes mots. Malheureusement, je me voyais difficilement lui dire. Je ne trouverais jamais de mots corrects pour lui dire qu’il finirait par avoir des regrets et surtout honte d’être lié à moi. Qu’il allait être sujet à des moqueries de la part des autres Alphas, que ses loups rejetteraient cette union, parce que je n’étais rien de plus qu’une sineulla. Je déglutis avec difficulté, alors que je prenais mon courage pour lui expliquer. Je devais le faire pour qu’il comprenne que cette relation ne serait que douloureuse pour lui. Il avait tant à perdre.
— Vous êtes l’Alpha.
— Tu ne m’apprends rien de nouveau… et ? s’enquit-il, après un instant de silence.
— Je… je suis une sineulla. Je vais vous porter préjudice rien que par mon existence.
Ma voix trembla légèrement sur la fin, et j’avais envie de me cacher. Je baissais les yeux, attendant qu’il digère la nouvelle. Je ne voulais pas voir la pitié ou le dégoût. Il devait prendre en compte l’avis de sa meute aussi. Sa réputation risquait d’être atteinte lourdement. Il ne pouvait pas tout sacrifier par simple fait que j’étais son âme-sœur. Le monde ne fonctionnait pas de cette manière. Nous n’étions pas dans un livre ou un film.
Sa main vint relever mon visage vers lui, tendrement. Son regard chercha le mien, et d’une délicate caresse proche de mes lèvres, nos yeux se rencontrèrent. J’avais la sensation de ne pas pouvoir lui désobéir, ou plutôt je cherchais instinctivement à lui offrir ce qu’il voulait. C’en était presque injuste, de ne pas pouvoir agir rationnellement. Ce lien qui n’était que ténu, sans réelle imprégnation pour le consolider, avait déjà une telle emprise sur moi. Sûrement, parce qu’il était un Alpha et moi, une oméga. Qu’il était un éveillé puissant, et moi, juste une petite louve impuissante.
— C’est ça qui t’inquiète ? Qui te fait prendre la fuite, face à moi ? questionna-t-il.
Je hochais de la tête, alors que je lisais dans le fond de ses prunelles de glace. Cette douceur où une chaleur brûlante vivait. Il se contenait, je pouvais le voir. Un soupçon de peur apparaissait et disparaissait à l’intérieur, comme s’il jouait au panneau clignotant. Je savais que ce qu’elle représentait. La peur du rejet. Un véritable rejet lui ferait du mal. Il était un Alpha, mais il m’offrait la possibilité de voir au-delà de ça. Ce qui était étrange, étant donné que ce n’était que la deuxième fois que nous nous rencontrions à proprement parler. Ses doigts étaient partis se perdre dans mes cheveux, et sensiblement, je sentais mon corps se détendre sous ses petites caresses.
— Tu es mon âme-sœur…
— Et c’est effrayant. Tu es un Alpha, tu as des responsabilités que je ne pourrais pas partager. Un fardeau trop lourd pour quelqu’un comme moi. Ils…
— Leurs dires sont plus importants pour toi que nous ?
— Comment peut-il y avoir un nous, alors que nous ignorons tout, l’un de l’autre ?
Ma question était légitime. Ce n’était pas parce que nos âmes étaient liées, que nos destins s’entremêlaient, qu’il pouvait y avoir un nous. Une pointe de tristesse fit son apparition dans le bleu glace de ses yeux. Il s’écarta de moi, et je me sentis délaissée tout d’un coup. Mon corps semblait déjà habitué à être dans ses bras, alors que cela n’avait été qu’un instant. Mon but n’était pas de le blesser, mais la situation, même si elle faisait rêver, était trop irréelle pour être vraie. J’avais constamment vécu dans le mépris des autres. Ils me dénigraient, me rabaissaient et j’avais finalement perdu toute confiance en moi. J’avais beau le savoir, cela ne changeait pas ce fait. Je n’arrivais pas récupérer et à recoller les morceaux de mon amour propre.
— Dans ce cas, apprenons à nous connaître. Oublions pour le moment cette histoire d’âme-sœur, proposa-t-il, en me tendant la main.
— Tu restes l’Alpha… ils…
— Avant d’être l’Alpha, je suis un loup libre qui décide de ses propres fréquentations, me coupa-t-il, légèrement moqueur.
Mon regard passait de sa main à son visage. J’étais légèrement confuse, et si je n’écoutais que mon impulsivité, je l’aurais certainement prise sans réfléchir aux conséquences. Mes pensées bouillonnaient sous mon crâne, en pesant le pour et le contre, en imaginant mille et une situations. La rationalité se battait activement avec l’impulsivité. Mes yeux rencontrèrent de nouveau les siens, et dans ce bleu de glace, la raison disparut. Ma main se posa juste dans la sienne. Sa chaleur se répandit à travers ce simple contact. Il serra délicatement mes doigts, venant les porter à ses lèvres.
— Tout ira bien, Floslunae, me susurra-t-il.
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