Pourquoi ? Comment ? Qu'est-ce que je fiche ici ?!

Ces questions tournaient en boucle dans ma tête. Je n'avais pas plus de réponses à l'heure actuelle, qu'il y avait une heure ou deux, mais je savais parfaitement qu'il n'y avait qu'une coupable. Cette dernière batifolait à droite et à gauche sous mes yeux, un sourire sur ses lèvres peintes d'un rouge sombre. Dans sa robe sirène d'une couleur bleu roi, s'accordant avec ses prunelles d'une profondeur océanique, elle se faisait accoster par moult personnes.

Ma meilleure amie, ou du moins une traîtresse, m'avait traîné jusqu'ici. Un bal. Il n'y avait pas pire endroit pour moi. Surtout que ce n'était pas n'importe quel bal. C'était celui d'un alpha, et pas n'importe lequel... c'était l'Alpha. Le loup qui dirigeait notre meute, l'homme aux capacités hors-normes. Le chef de chaque créature dans cette pièce. Ce qui signifiait clairement une décoration luxueuse. Des tenues chics, voire bien trop pour être portées par quelqu'un comme moi.

Mes doigts se glissèrent sur le tissu doux et brillant de ma robe. Une robe d'un rose orchidée. Althea l'avait qualifiée de robe de princesse, et c'en était vraiment une. Évidemment, je n'avais pas la tiare qui allait avec. Elle m'avait maquillée légèrement, et je ressemblais enfin à quelque chose. Il fallait dire que je ne faisais plus vraiment attention à mon apparence. Je ne faisais que le strict minimum, sans mettre en avant quoique ce soit. Un soupir s'échappa de mes lèvres peintes d'un gloss rose foncé. Malgré mon apparence actuelle, personne n'allait se faire duper par ce que j'étais réellement. J'ignorais sérieusement à quoi pouvait bien penser celle qui me servait de meilleure amie. J'étais une grosse tâche dans ce décor, même si je faisais partie de cette meute.

Je pouvais sentir le mépris quand quelques regards se posaient sur moi. Les murmures et les petits rires moqueurs. Je pourrais dire que j'étais habituée, mais j'étais très loin de l'être. J'étais loin de pouvoir lever la tête et simplement leur dire merde. Je n'avais pas spécialement ma langue dans ma poche, et même si cela faisait cinq ans que j'avais reçu mes résultats. J'avais décidé de vivre en marge de la meute, comme une recluse, une pseudo solitaire. Pseudo, parce que je gardais tout de même certaines attaches à ma meute. En premier temps, ma meilleure amie, Althea. Une alpha qui tentait de me faire avancer le plus possible dans la vie. En second temps, mes parents. Ils s'étaient retrouvés dévastés, en découvrant que je n'éveillerai probablement jamais le gène Excit. Je tenais étrangement à eux, même s'ils avaient honte de moi. Et enfin, j'avais tout de même réussi à me trouver un boulot où je pouvais exceller sans être une éveillée.

Ma vie était loin d'être un rêve, mais ce n'était pas un enfer non plus, tant que je savais où était ma place. Je ne cherchais pas la gloire, ni la fortune. J'avais un toit sur la tête, des vêtements sur le dos, de la nourriture dans mon assiette. J'étais tout le contraire de ces loups présents. Si ce bal n’était pas d’une importance capitale pour la meute, je serais certainement partie depuis un bon moment.

— Mesdames et messieurs, je vous demande un peu d’attention.

Tout le monde se tut, et l’attention se porta sur l’estrade installée dans le fond. Un vieil homme, aux cheveux grisonnant, s’y tenait avec une coupe de champagne à la main. Il n’avait pas besoin de micro, ou de quoi que ce soit d’autres pour attirer le regard de tout le monde sur lui. Il avait un sourire sur les lèvres, chaleureux et heureux. Fier et charismatique, il posait son regard sur l’assemblée.

— Notre cher Alpha a une annonce à vous faire.

Il recula afin de laisser place à un homme. Juste par sa présence, la chair de poule s’installa parmi tout le monde. Il n’avait pas besoin de parler, ni même de gonfler son aura pour que tout le monde sache qui il était. L’Alpha. Indubitablement, il avait ce charisme naturel, une carrure qui imposait le respect et ce regard acéré et dangereux. Ses cheveux noirs étaient savamment coiffés en arrière. Dans ce costume impeccable fait sur-mesure, sa musculature semblait saillante. Tout le monde s’était avancé afin de mieux le percevoir. J’avais simplement suivi le mouvement, même si j’étais à l’arrière. L’Alpha se tourna à demi, tendant la main dans une direction. La silhouette d’une jeune femme s’avança, sa main venant rejoindre celle de notre chef.

— Je vous remercie tous d’avoir répondu à mon invitation, commença-t-il doucement de sa voix grave.

Elle pénétrait directement dans notre tête, sans avoir besoin d’être forte et grondante. Sa voix entrait avec douceur, se glissant dans notre cerveau et s’accaparant ce dernier. Un délicat frisson monta du tréfonds de mon être, chatouillant mes entrailles. Je sentais des fourmillements dans mes membres, des sortes de papillons dans mon ventre. Les battements de mon cœur s’accéléraient doucement, comme mû par l’excitation. Je ralentis ma respiration, comme si c’était essentiel. J’avais l’impression de réagir bizarrement, mais c’était peut-être parce que c’était la première fois que j’apercevais notre Alpha. Je ne l’avais jamais rencontré avant, et je n’avais jamais cherché à le faire. Sans ce bal, je n’aurais certainement jamais su à quoi il ressemblerait même de loin.

— J’ai tenu à vous informer de mon union avec Leona Monroe. Future Luna de notre Half Moon Pack.

Il y eut un petit silence, le temps que l’information soit traité par tous, puis un cri de joie venant de toute part se fit entendre. Cette annonce était vraiment attendue de tous. Notre meute allait avoir une Luna, mais étrangement, cela ne me faisait ni chaud, ni froid. Avoir une Luna n’allait pas changer ma vie, ma situation serait toujours la même. Recluse, mise à l’écart par 99% des loups de la meute. Mes mains applaudirent plus par automatisme que par sincérité. Une queue commença à se former face au couple de l’année. Ils allaient recevoir des félicitations de tous, et personne n’allait pouvoir y échapper. Pas même moi. Si je venais à quitter la fête maintenant, cela reviendrait à manquer de respect au couple dominant. Je n’avais aucune envie d’être la première, mais pas non plus être la dernière à les féliciter. Seulement, cela risquait d’être difficile de me placer. Je n’avais pas spécialement envie de me battre.

— El’ ! m’appela la voix de ma meilleure amie.
— Altie, soufflai-je, presque heureuse de la voir venir me rejoindre.

Elle me prit par le bras, et joua des coudes pour qu’on puisse se trouver entre la moitié et la fin de la queue. Mon regard se porta sur son  profil, et même si nous n’échangions pas plus que cela, je savais qu’elle était venue pour moi. J’avais pour habitude de me rabaisser et de laisser les autres me marcher sur les pieds dans ce genre de situation. Ce n’était pas parce que je n’avais pas de répartie, juste que je ne voyais pas l’intérêt de me battre pour une chose aussi insignifiante. J’effleurais doucement son bras, en signe de remerciement. Elle esquissa un sourire, sans pour autant me lancer un regard. On avait dû attendre une quinzaine de minutes pour enfin que ce soit notre tour. Altie se présenta d’abord à l’Alpha, puis à Leona. J’en fis de même, en suivant son exemple.

— Mes plus sincères félicitations, soufflai-je comme tous les autres.

J’attendis quelques secondes afin d’entendre un remerciement qu’il avait dû répéter comme un vieux disque rayé pendant 15 minutes déjà. Je finis par relever les yeux, n’ayant aucune réponse de sa part. Mes prunelles rencontrèrent deux lacs de glace qui me transpercèrent. Mon cœur rata un battement, mon souffle se coupa, le chaud et le froid jouaient avec moi. Mon intérieur s’était comme embrasé sous son regard de glace, alors que je sentais mes membres se glacer. Quelque chose remuait en moi, comme si c’était attiré par lui. J’ignorais combien de temps, on était resté là à se fixer. Sûrement trop longtemps, car j’avais été sorti de cette transe par le poids de ma meilleure amie sur mon bras. Le contact visuel se brisa et je pus reprendre mes esprits. J’avais l’impression que le temps qui s’était arrêté, avait repris son cours et c’était douloureux. Mon cœur battait fort dans ma cage thoracique. Mon souffle était haletant. Mon corps tremblait comme s’il était pris de secousses sismiques.

— El’… ça va ? s’enquit-elle, en me lançant un regard inquiet.

Je comptais lui répondre, même si ma voix était défaillante à cet instant. Je n’allais pas bien, aussi étrange que cela puisse paraître. Ceux qui étaient avant moi, même Althea n’avait pas réagi comme moi. J’ouvris la bouche pour lui demander de rentrer, mais une main s’agrippa à mon bras. Une grande main chaude qui m’électrisa. Ma tête se tourna si vite, que je sentis mon cou s’en plaindre. Je clignais des yeux, le visage de l’Alpha face à moi. Mes prunelles glissèrent de son visage à son bras jusqu’à sa main. Main qui me retenait. Nous restions figés quelques secondes, avant qu’Althea n’intervienne, en faisant barrage avec son corps. Elle m’avait à peine tiré qu’il avait lâché prise.

— Je vous prie de m’excuser, Alpha. Mon amie ne se sent pas très bien. Nous allons nous retirer. Encore félicitations pour votre prochaine union, déclara calmement la brune.

Bien que cela pouvait paraître impoli, Althea fit une légère révérence, et s’éloigna avec moi au petit trot. Je lançais tout de même un regard en arrière, essayant de comprendre ce qu’il se passait. Mon esprit était embrumé, et je n’arrivais pas à réfléchir rationnellement à ce qui venait de se passer. Je savais juste que le regard de l’Alpha ne se détachait pas de moi, jusqu’à ce que je quitte la salle. Un regard qui me donnait des frissons, qui faisait battre mon cœur comme celui d’un colibri, et qui déraillait ma respiration.

— Elerys ! me hurla presque Althea.
— Ou… oui ? articulai-je difficilement, en reposant mon attention sur elle.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Ri… rien. Je l’ai juste félicité. Tu étais là, non ?
— Tu l’as regardé de travers ?
— Quoi ?! T’es cinglée ?! Je tiens à la vie ! réfutai-je, rapidement en lui faisant les gros yeux.

Elle me dévisageait, avant de lâcher un soupir. Elle savait parfaitement que je tenais à ma vie. Je n’étais pas du genre à me mettre au devant du danger. Je n’aimais même pas me mêler aux autres. Si elle ne m’avait pas forcé à venir, j’aurais été chez moi, bien au chaud. Je suivais une routine simple. Boulot, manger, dodo. Pas forcément dans cet ordre là, mais c’était les trois grands mots qui résumaient ma vie. J’avais quelques sorties d’appoint avec elle ou pour faire des courses, mais rien d’autres.

— Désolée. C’est juste que c’est l’Alpha, tu comprends…
— Oui, je comprends très bien, soufflai-je agacée en récupérant mon bras.
— Je n’ai pas envie qu’il te fasse quelque chose, parce que je ne pourrais rien faire pour toi.
— Je n’ai pas besoin d’être sauvé. Je n’ai rien fait. Nos regards se sont juste croisés. Il devait juste se demander ce que je faisais ici. Comme… comme je ne suis pas comme vous.
— El’…
— Rentrons. Je suis fatiguée.

Je n’avais pas envie d’aller plus loin dans la conversation. Je me dirigeais vers la sortie, mettant un terme à la conversation. Je comprenais l’inquiétude d’Altie. J’aurais très certainement la même, si elle avait été à ma place. Seulement, il n’y avait rien de plus à dire. Son regard avait juste croisé le mien. Deux iris d’un magnifique bleu glace. Je sentis un frisson descendre le long de ma colonne vertébrale, en repensant à ses yeux. Je m’étais sentie vulnérable, à nue. Il avait absorbé mon âme. C’était juste un regard… un regard qui disait que j’étais sienne.