I- Bleu Nuit

La nuit est chaude.

C'est le genre de nuit où l'on laisse les fenêtres grandes ouvertes, à l'affût de la moindre brise de vent. On s'endort, bercés par le ronronnement doux des ventilateurs.

Il doit être aux environs de minuit, tout le monde dort ou presque.

Je n'y arrive pas et tu sais à quel point je déteste rester allongé sans rien faire. Alors à la place, je suis sur mon balcon, j'observe le ciel qui a revêtu sa mystérieuse robe de noirceur. Je tente de me rappeler les constellations que tu m'avais apprises à reconnaître. Tu te rappelles de cette nuit à Cancùn ? Mais ça, c'est une autre histoire. Mais, malgré tous mes efforts je n'arrive pas à en reconnaître et je n'ai pas le courage d'aller rouvrir mon ordinateur pour aller faire une recherche sur Google.

En fait, je préférerai que tu sois avec moi, en train de me sermonner sur mon manque d'attention, et j'essaierai de te déconcentrer par tous les moyens et on finirait par s'endormir, au milieu des coussins et des plaids éparpillés sur le petit balcon de mon immeuble parisien.

Cette nuit, le ciel est bleu, presque noir. Nan, en fait, il est plutôt couleur encre de chine. Ici et là, percent des étoiles, boules de plasma qui brûlent à des années lumières de chez nous. Le ciel a, cette nuit là, la même couleur que tes cheveux la première fois que l'on s'est vu.

Tu te rappelles ?

C'était il y a deux ans, j'avais vingt ans. C'était tôt le matin, environ sept heures. Le ciel parisien était encore couvert, le soleil tentait paresseusement de percer sa couverture de nuages. Comme tous les matins depuis ce qui me semblait une éternité, j'allais à cette heure là au café, rue Hugo. C'était Au Rendez vous des Artistes

Je m'étais assis à ma place habituelle, un coin banquette, côté rue qui donnait vue sur une grande partie de la salle. Une odeur divine de pâtisserie et de café se dégageait du lieu et une chanson des années 50 sortait des enceintes. Le café était, comme à son habitude, presque plein.

J'y venais chaque fois avant de me rendre à l'Université.

Je commandais mon habituel café noir et pain au chocolat. Je sortais un livre que je devais étudier pour les cours et plongeait dans ma lecture.

Puis tu es arrivée.

Un raclement de gorge me fit sortir le nez de mon livre. C'était toi.

Je me rappelle t'avoir furtivement détaillé et je me souviens encore de la manière dont tu étais habillée. Tu portais un de ces jeans tailles hautes - j'allais apprendre que tu ne portais que ceux-là- celui-ci semblait avoir connu des jours meilleurs et une paire de converse blanche. Ton t-shirt était gris, un peu trop grand pour toi. Tu portais une veste de baseball, un peu comme les sportifs dans les lycées américains, à part qu'elle semblait être en une sorte de soie.

Sur le bout de ton nez, une paire de lunette ronde comme celle d'Harry Potter. Tes yeux étaient plus que surprenants. Ils étaient vairons. L'un était bleu comme l'océan en pleine tempête et l'autre, vert foncé, d'une couleur si intense. Une rangée de cils longs et foncés rendaient ton regard mystérieux.

A ton cou pendait un appareil photo vintage, un de ceux qui donnent des clichés instantanés.

Tes cheveux étaient cachés sous un bonnet gris, seule une mèche ondulé semblait s'être échappée sans que tu ne t'en rendes compte. Elle était d'un bleu foncé profond, presque noir.

Toi aussi, tu me dévisageais et j'aurais tout donné pour savoir à quoi tu pensais. Tu souris légèrement, me laissant découvrir une petite fossette sur ta joue droite. Ta peau était hâlée comme si tu revenais d'un mois de vacances à la plage. Sur ton nez, et le haut de tes joues, des petites taches de rousseurs avaient trouvé leur place te donnant un air candide.

Tu rompis le silence.

"On peut échanger de place ?"

Tu désignais une place libre plus loin. Ce qui me frappa le plus, c'était ton accent, il était anglophone à n'en pas douter. Rester à savoir de quel pays il venait.

Je fronçais les sourcils.

"La table là-bas est libre donc vas-y, je préfère rester ici."

Tu perdis un peu de ton sourire mais tu ne partais pas à l'autre table. Au contraire, tu pris place sur la banquette en face de moi.

"Je ne te dérange pas trop ?"

Tu rigoles : "Tu ne m'as pas interdit de m'asseoir avec toi."

Je levais les yeux au ciel et but une gorgée de mon café. Je décidais de replonger dans mon livre mais tu ne m'en laissa pas le temps.

" Au fait, je m'appelle Aerin."

Je souris et te tendis une main.

"Moi c'est Eugène."

Le serveur arriva pour prendre ta commande : un café, un croissant et du jus d'orange. Lorsqu'il repartit, tu m'examinais.

"Tu sais que tu as le même prénom que le voleur dans le dessin animé Raiponce ?"

Je rigolais, et te disais que oui, je savais mais que c'était lui qui avait dû copié sur moi. Cette réponse t'arrachas un petit sourire.

Ensuite, je repris mon roman. Quelques minutes passèrent dans un silence royal que vient perturber le bruit de ton appareil photo. je relevais les yeux, un instantané sortait de ton appareil. Tu l'attrapais et le secoua. Après l'avoir observé, tu me le tendis.

"Tiens !"

Je l'attrapais et tu en profitas pour prendre mon livre.

"Guerre et paix, Tolstoï ? Pas mal Eugène. "

J'hochais la tête et regardais le petit carré de photo. C'était moi. Moi, un garçon banal d'une vingtaine d'années, une personne anonyme dans un café, plongée dans son livre. Mes cheveux couvraient une partie de mon visage, ils commençaient à m'arriver aux épaules et je savais que je devrais les couper dans pas longtemps. Je portais ma chemise fétiche. Une chemise avec des motifs colorés dont les manches sont roulés sur mes avant bras. Mon regard était rivé sur le livre que je tenais entre mes mains.

Je décidais de te rendre ton cliché et toi, tu me rendis mon Tolstoï.

"Pourquoi moi ? Pourquoi m'avoir pris en photo parmi des personnes beaucoup plus intéressantes dans ce café ?"

Tu souriais encore, tandis que le serveur déposait ta commande.

"J'aime photographier les gens passionnés et ne me dis pas que tu ne l'es pas, passionné. Il n'y a qu'à voir comment tu te tiens, la façon dont tu lis... Dis moi, tu ne ferais pas des études de lettres ?"

Je t'avais répondu que oui, j'étais un simple étudiant en lettre et que j'était un véritable rat de bibliothèque au grand damne de mon porte-monnaie.

Et toi, tu rigolais, contente d'avoir raison, ton rire était rauque et gamin, tu insufflais du bonheur dans ce petit café parisien.

Tu bus une gorgée de café en faisant une horrible grimace. C'était à mon tour de rigoler.

"Tu n'aimes pas le café n'est ce pas ?"

Tu avalais une grande gorgée de jus d'orange avant de me répondre. "Pas vraiment."

Tu me racontas alors que tu voulais juste te sentir comme une vraie française et non pas comme une simple touriste.

Mon sourire s'agrandit encore plus et je secouais la tête, me demandant sur quel phénomène j'étais alors tombé. Je te laissais cinq minutes, le temps d'aller commander une boisson qui ne risquerai pas de t'intoxiquer.

Je revins avec la tasse brûlante et la posait devant toi.

"Un chocolat Viennois pour madame."

Tu souriais et rapprochais la tasse pour en boire une gorgée.

"J'ai trouvé mon chevalier servant. My lord, ce truc est délicieux !

- Tu te sens quand même comme une française ?"

Tu hochais la tête et entrepris de manger ton croissant.

Après avoir fini, tu ne dis plus rien pendant une dizaine de minutes. Tu regardais ailleurs, puis tu me demandais comment je trouvais un couple assis à quelques tables de nous sur notre droite.

Ne sachant pas trop quoi dire, je te répondais qu'ils étaient mignons. Voyant ton humeur changée, je te demande alors quel était le problème.

"Le problème ? Ho, et bien disons que c'est juste mon petit ami qui se retrouve tous les matins depuis trois mois, avec une certaine Charlie Leduc. "

Tu ponctuas ta tirade en prenant une photo des deux personnes. Comme avec la mienne, tu la secoues et un sourire satisfait prit place sur ton visage. Je ne savais pas trop quoi dire, je me contentais d'un petit désolé.

"Pourquoi tu es désolé ? C'est toi qui les as poussé dans les bras l'un de l'autre ? Je ne pense pas donc pas la peine de t'excuser. Par contre, tu pourras te sentir désolé pour lui. Il va comprendre qu'il ne faut pas que l'on me prenne pour une conne."

Je souriais, j'avais envie de savoir quelle idée farfelue tu avais bien pu trouvé.

Tu enlevas ton bonnet, laissant une masse de cheveux ondulés tomber sur tes épaules. Tes cheveux étaient bleu foncé comme la mèche qui s'était échappée.

Tu sortis d'autres photographies de ton sac et quelques capture d'écran.

" Tu le sais depuis quand ?"

Tu souriais, comme fière de toi.

"Quelques semaines après qu'ils aient commencé, j'étais déjà au courant. Paul a cru que j'étais naïve, il va s'en mordre les doigts, je te le promets. Je songe sérieusement à ruiner sa jolie réputation dans sa si chère école de communication. "

Ensuite, tu te levais et tu me pris la main pour me lever de mon fauteuil.

"Allez prends tes affaires, tu vas voir je pense que le spectacle va être intéressant ! Tu penses que je la joue jeune fille éplorée pour toucher l'auditoire ou bien folle furieuse ? Attends, je sais. Un mélange des deux serait parfait !"

Je rigolais, ce pauvre garçon ne savait pas dans quoi, il était tombé.

On arrivait devant la table, tu inspiras un grand coup et te raclas la gorge pour signaler ta présence. Je me postais près du bar, un peu plus loin, ne voulant interférer dans ta précieuse scène. De là où j'étais, je voyais et j'entendais parfaitement bien.

Quand il te vit, ses yeux s'écarquillèrent, trahissant la surprise. Et s'en suivit une dispute comme je n'en avais jamais vu. Ton accent, ressortait à cause de ta colère. Le point culminant, ce fut quand tu attrapas un verre d'eau posé sur la table pour lui verser sur la tête.

" Tu m'as vraiment prise pour une conne Paul. Et je te jure, ne viens même pas recherché tes affaires de petits bourgeois chez moi ! Je ne veux plus te voir, plus jamais de ma vie. Tu devrais avoir honte de toi !"

Tu rattrapas ton bonnet et ton sac, laissant les photos éparpillées sur la table, le fameux Paul ne savait plus quoi faire mais semblait lui aussi furieux, la jeune fille qui était avec lui ne savait plus où se mettre. Et toi, dans tout ça, tu me rejoignis, un léger sourire au lèvre.

Je n'aurais jamais pu imaginé ce que tu allais faire, mais une chose est sûre, j'espère que tu ne le regretteras jamais.

Arrivée à ma hauteur, tu te retournais vers ton ancien petit ami et lui lançait à travers le café :"Et note bien ça dans tes petits carnet, tu n'es pas le meilleur et le seul homme au monde."

Après ces mots, tu te hissas sur la pointe des pieds et passa tes mains derrière ma nuque. Avant que je n'ai pu dire quoi que se soit. Tu plaquas tes lèvres sur la mienne. Et on s'embrassa fiévreusement, au milieu de ce petit café parisien, tu laissais ton petit ami menteur derrière toi, et après tout ça, je me demandais si on se reverrait un jour.

Tu te détachas finalement de moi, les joues rougies et à bout de souffle. Tu remis ton appareil photo autour de ton cou et tu me laissas planté là avec un simple :" Au plaisir de te revoir Eugène."

Finalement, je rattrapais mes affaires et une main sur mon chapeau enfilé à la va vite, je me précipitais derrière toi en criant ton nom dans la rue parisienne : Aerin.

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