Chapitre 8 : Opposé

J'avais fixé Mme Charon, guettant la moindre de trace de plaisanterie sur son visage glacé.
De mon point de vue à cette époque c'était forcément une blague de mauvais goût. Je ne savais pas encore ce qu'elle entendait lorsqu'elle parlait de "magie".

- Vous plaisantez? avais-je de nouveau tenté.

- Pas le moins du monde.

- J'ai arrêté de croire aux contes de fée depuis longtemps.

- Sauf qu'ici, il ne s'agit pas de bonne fée.

Elle avait marqué un temps d'arrêt se redressant pour se tourner vers le miroir derrière son bureau, les mains entrecroisées dans son dos. Elle semblait sérieuse, stricte. Ses épaules étaient droites, son menton levé, son regard froid et fier. Et même lorsqu'elle me parlait de choses absurdes, il me semblait que tout ce qu'elle disait ne pouvait être que vrai. C'était cette manière d'annoncer les choses avec froideur et conviction qui me rendait docile et attentif.

- Vous n'avez pas été choisi au hasard, M.Kirigaya. Nous vous avons repéré depuis longtemps. Nous avons simplement attendu votre DOD pour recueillir l'essence de votre esprits.

- Vous avez attendu mon quoi?

- Votre Day Of Death. Autrement, dit le jour de votre mort corporelle.

Je buvais ses mots, comme hypnotisé par le serpent qui n'attendait qu'une chose me mordre. Tu le sais peut-être déjà, le savoir est parfois un poison, mais j'en avais besoin de ces connaissances. Je me devais de prendre conscience de mon nouvel environnement, de ma nouvelle condition. Je devais comprendre ce qui m'arrivait.Pourquoi ? Je ne sais pas. C'était comme un instinct de survie. L'ignorance fait peur, elle rend faible. Mais je ne suis pas sûr que décider d'entreprendre de savoir toute la vérité était le meilleur choix que j'ai pu faire.

- Vous êtes capable d'extraire... d'extraire quoi au juste ? Notre âme ? Quelque chose de ce goût là ?

Elle avait acquiescé.

- Cela relève de la fiction n'est ce pas, monsieur Kirigaya ? avait-elle sarcastiquement dit devant ma stupeur.

- Dîtes m'en plus, avais-je précipitamment demandé.

Si la mort pouvait être domptée, c'était une avancée prodigieuse. Magie, science, qu'importait, je voulais tout savoir sur cette vie que l'on offrait après la mort. Car cela signifiait que j'avais encore une chance de revivre. Une chance de trouver comment reprendre consistance dans mon monde, là où je n'étais pour l'instant plus qu'un fantôme.

- Vous n'êtes pas prêt, avait assénée madame Charon en me regardant droit dans les yeux.

- Alors quand le serais-je?

- Lorsque je l'aurais décidé.

Le ton agressif qu'elle avait employé m'avait fait comprendre que je l'avais agacée. Après m'avoir toisé une, poignée de secondes, elle s'était radoucit.

- J'ai besoin de vous.

Cette phrase m'avait fait frissonner de peur. Elle avait résonné dans mon corps, témoignage sonore de mon futur pacte avec le Diable. Mais j'étais trop fasciné par cette femme pour m'enfuir.

- Pour quoi faire exactement?

- Un travail.

- Je n'ai pas non plus le droit d'en savoir plus ?

- Vous comprenez vite.

Un sourire était né sur son visage mais pas un sourire magnifique et irradiant comme celui d'Hina, non, un sourire carnassier, un sourire qui attendait patiemment que je signe mon arrêt de mort -expression ironique, je pense savoir qu'il est physiquement impossible de mourir deux fois.

- Mais pourquoi accepterai-je de travailler pour vous ? Je suis déjà mort. Et maintenant j'ai l'extraordinaire chance de pouvoir vivre après ma mort. C'est comme avoir une deuxième chance. Et vous m'avez vous même dit que ressusciter était possible. Alors pourquoi ? Pourquoi me placerais-je sous votre joug ? avais-je demandé d'une voix tremblante.

- Effectivement, vu sous cet angle, vous pourriez croire que vous avez toutes les clefs en main. Cependant, monsieur Kirigaya, vous oubliez une chose.

Elle s'était approché de moi, menaçante et avait donné un pichenette à mon translcoeur.

- C'est nous qui vous maintenons en vie. Nous qui possédons la technologie nécessaire pour vous faire renaître. Nous et personne d'autre. Et si jamais vous décidez de ne pas accepter de travailler pour nous, si jamais vous acceptez de disparaître à jamais, alors vous pouvez être sûr qu'ils en pâtiront eux aussi.

Je m'était soudainement crispé, mes doigts serrant les accoudoirs de mon siège jusqu'à ce que mes phalanges blanchissent de colère. Tu te doutes bien que j'avais compris les personnes sous-entendus dans ce "ils".

- Qu'est ce que vous allez leur faire?

Elle s'était reculé comme si elle savourait la peur qu'elle avait fait naître en moi bien que son visage reste implacable.

- Pour ma part, rien. C'est vous qui allez leur causer du tord.

- Moi ? avais-je répété abasourdi.

- Oui, vous.

- Arrêtez de vous moquer de moi ; jamais je ne leur ferai de mal.

- Et vous ne leur en ferai pas directement : votre mort s'en chargera.

Elle avait saisi un rapport posé sur le coin de son bureau.

- D'après nos estimation, voici l'enchainement d'événement le plus probable à long terme: votre mère va tomber dans une lente et douloureuse dépression...

Le reste des pronostiques de madame Charon était devenu un vague bourdonnement lointain. J'avais soudainement eu une sorte de vision.

Ma mère, à genoux face à ma mort, se roulant par terre, hystérique, hurlant mon nom. J'étais dans l'entrée de ma maison, deux policiers sur le pas de la porte qui s'étaient précipités pour calmer ma mère et pour l'empêcher de s'arracher le visage et les cheveux. J'avais tendu une main, comme pour la secourir, mais mon père m'avait devancé, s'agenouillant auprès de ma mère, la prenant dans ses bras pour la calmer tandis qu'elle s'agrippait à sa chemise comme à un radeau de sauvetage au milieu de la mer de larmes qui s'écoulait de ses yeux.

Ensuite, tout s'était accéléré, comme si on avait appuyé sur la touche "avance rapide".

Je l'avais vu, s'enfoncer dans une sorte d'aura noire au fur et à mesure des mois, vieillir, se fatiguer, puis s'éteindre, au bout d'une corde.

J'en aurais hurler. Je ne sais pas si vous me comprenez. Personne ne sait comment nous réagirions en voyant mourir nos parents sous nos yeux. Peut-être que vous, vous seriez resté de glace, emmuré dans le silence. Moi je n'ai pas pu.

- Ordre primaire : calme.

Aussitôt ma peine s'était éteinte, mise en off par l'ordre autoritaire de Mme.Charon.

- Vous devriez vous calmer, les flashs mémoriels, ces images que votre esprit compose à partir de souvenirs, réagissent à vos émotions. Je vous conseille de m'écouter, cela vous éviterez quelques désagrément.

- Vous êtes ignoble, crachais-je.

- Juste réaliste et un tantinet terre à terre, avait souri pour la première fois cette femme qui continuait de se tenir droite comme un i tandis que je ployais sous le poids de l'horreur.

- Comment pouvez-vous me dire ça avec autant de calme? Vous m'annoncez que tout mes proches vont avoir un avenir tragique et vous voulez que je reste calme!

- Non, non je ne vous demande pas de rester calme alors que votre famille et vos amis vont souffrir, je vous demande de rester calme parce que rien de tout cela ne vas arriver. N'est ce pas, monsieur Kirigaya, avait-elle susurré, rien de cela ne va arriver, puisque vous allez accepter nos conditions maintenant.

Tout me dégoûtait dans ses propos. Le sujet bien sûr, mais aussi ce ton froid, sûr de lui, sachant d'ors et déjà que j'allai accepter.

- Qu'est-ce-que ce travail exactement ? avais-je redemandé, malgré moi au bord des larmes.

Elle m'avait adressé un sourire conciliant et carnassier.

- Vous le saurez bien assez tôt. En attendant, je vais vous laissez un peu réfléchir à notre discussion. Appelez Hylda lorsque vous voudrez me revoir. Nous signerons votre contrat à ce moment là.

Et par cette phrase, elle nous avait sortir, moi, mes doutes, et ma multitude de questions.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top