Chapitre 2 : Effrayé

Le stylo tremble entre mes doigts, les prochains souvenirs ne sont pas les pires, mais ils n'en restent pas moins terrifiant. Je reprends cependant mon écriture sans tarder. Les mots s'impatiente dans mon crâne, les remords mordent mon cœur : il est temps que je continue de me confier à mon interlocuteur imaginaire.

"Il est important avant que je ne continue mon récit que je te dise que je ne me souviens absolument pas de comment j'ai fini dans les bâtiments de l'E.D.M. .

J'étais dans la rue avec mes amis et l'instant d'après, j'étais allongé sur une froide table d'opération. Il n'y avait eu aucune transition, pas de trou noir qui vous aspire dans un néant total, pas de grand flash blanc qui vous engloutit ; juste rien.

N'importe quoi aurait été mieux que ce rien.

Un battement de paupière, et tout avait changé pour basculer à l'horizontal, dans un nouveau décor sombre, froid, étrange. J'entendais le ronflement de quelques machines qui se découpaient dans l'obscurité de la salle, j'entrevoyais une porte, close, vers laquelle je n'avais pu faire un mouvement ; tétanisé. Le froid de l'étrange table sur laquelle je reposais me mordait les paumes, les jambes. Je sentais que mes vêtements avaient changé en même temps que le décor m'environnant. Le tissus était ample, fluide sur mon corps qui n'esquissait aucun geste. J'avais l'impression d'être nu, sans rien pour me protéger ; j'avais peur.

Je cherchais instinctivement du regard Hina, ou n'importe lequel de mes amis. Mais il n'y avait personne autour de moi, j'étais seul. Cette pensée m'avait glacée le sang. J'avais à peine cligné des yeux, qu'est ce qu'il s'était passé ? Je n'aurais la réponse à cette question que bien, bien plus tard.

Un écran bleuté vidéo-projeté était apparu du néant sans prévenir, juste devant mon visage dénué de mouvement.  Je l'avais regardé de mes yeux hagards ; je me demandais comment j'avais pu ouvrir les paupières alors que le reste de mon corps semblait être devenu hermétique aux ordres de mon esprit. A défaut de pouvoir bouger un autre muscle, j'avais pressé mes yeux embrouillés de lire ce qui était marqué sur l'écran immatériel :

 "Bienvenue dans l'Entre Deux Mondes, Kirigaya Shinichi."

Doucement, j'avais senti ma main frémir. Je l'avais doucement soulevée ; je la sentais terriblement fébrile. Je l'avais passée une première fois à travers l'écran immatériel, puis une deuxième, m'amusant de voir passer sur ma paume les rayons de lumière qui constituaient le message. Je cherchais de mes yeux la source de celui-ci, mais si les rayons surgissait du devant de mon corps, leur source restant invisible à mes yeux. "

Je souris. Ce souvenir est doux, amusant. Une chose rare dans mon esprit. Il me rappelle l'enfant que j'étais encore, qui s'amusait d'une image émise par un vidéo projecteur. Qui ne savait pas encore qu'il allait découvrir à l'EDM des choses bien plus extraordinaires encore. Bien plus dangereuses encore.

"L'écran flottant afficha soudainement un compte à rebours. Je fus pris d'une peur terrible. Je me demandais si à force de passer ma main à travers l'écran, je n'avais pas malencontreusement enclenché quelque chose. Ma main était restée suspendue en l'air, interdite. Elle ne voulait pas croire qu'elle avait pu dérégler une projection simplement en rompant son flux de lumière colorée. J'avais attendu la fin du compte à rebours à imaginer les pires scénarios possibles en me rongeant les sangs. Enfin le zéro était apparu et un nouveau message s'était affiché :

"Reconnexion des nerfs: Activée".

Je n'avais même pas eu le temps de réfléchir au sens de la phrase. J'avais été soudainement empreint à divers maux. Mes membres étaient engourdis. Mes muscles ; courbaturés. Mes lèvres ; aussi sèches que si j'avais été privé d'eau pendant trois jours en plein milieu du Sahara. Mes yeux me brûlaient comme si je venais de pleurer pendant des heures entières. Ma tête me lançait à un tel point que je la pris entre mes mains en tentant de hurler, mais aucun son ne sorti de ma bouche assoiffée. Cependant, à défaut de vibrations, un liquide malodorant était sorti de ma bouche et j'avais eu juste le temps de me pencher par dessus du lit de fer pour ne pas me vomir dessus. Mon corps répondait à nouveau, mais dans quel état ?

Le pire était encore à venir. Une horrible sensation de vide avait soudain envahi ma poitrine. J'avais senti une étrange dissociation, comme si mon corps savait déjà avant mon cerveau. Comme s'il me hurlait de ne pas regarder, de ne pas porter à ma conscience ce que lui savait déjà. De ne pas baisser le regard. Mon souffle s'était accéléré et la peur m'avait pris. Une peur terrible. La peur du néant.

Ma conscience s'était affolée, partagé entre curiosité et crainte. 

Et ce qui se devait se passer s'était passé ; j'avais regardé.

Et je l'avais vu. Cet horrible trou dans mon thorax, à la place de mon cœur.

C'était un puits noir où la chair pulsait, putride. Je voyais mes os, mais mon cœur était absent.

Plusieurs sentiments s'étaient entrechoqués en moi, dominés par une incrédulité qui me faisait déglutir, écarquiller les yeux. Je m'étais mordu la lèvre, puis prenant mon courage à deux mains, j'avais approché mes doigts de cet abîme corporel, les avaient reculés, effrayé, de nouveau les avait approché. J'avais besoin de le constater. Peut-être qu'au fond de moi je croyais encore que ce n'était qu'un tatouage très réaliste. Mais la réalité était bien là. Ma main s'était enfoncée dans l'orifice laissé par mon cœur. Il n'y avait plus de peau pour arrêter mes doigts, plus de barrière, plus de limite. La peur s'était infiltrée dans ce puits de chaire creux, remontant par mes entrailles, inondant mon esprit. J'avais hurlé en silence, pleurant, sortant et rentrant ma main, haletant.

J'étais mort.

C'était la seule explication et cette déduction avait fait redoubler mes larmes. Mais alors, mes amis, mes proches, tout ceux qui auraient dû être auprès de moi à cet instant même, j'avais passé mes derniers instants à leurs côtés ?

Impossible, impossible... Je me souviens m'être beaucoup répété cette phrase. D'ailleurs, j'avais beau avoir fait ce triste constat, ce n'était pas pour autant que mon esprit l'avait accepté. Il faut à un homme, bien plus qu'une preuve visuelle pour comprendre qu'il ne fait plus partie des vivants. Il faut, que cette idée face son chemin. Qu'elle passe par le tombeau de son coeur manquant. Qu'elle empoisonne son sang dans ses artères. Puis qu'enfin elle monte jusqu'à son esprit, et se grave au fer rouge dans ses pensées. Je n'en étais pas là. Et j'aurais préféré rester dans le déni. Peut être qu'ainsi, je n'aurais pas renoncé aussi facilement à mon humanité.

La porte s'était ouverte et dans un geste instinctif, je m'étais recroquevillé sur la table d'opération, couvrant de mes deux mains, mon horrible entaille. J'avais alors remarqué que mes pieds étaient enchaînés à la table, parant mes cheville de deux horribles marques rouge sang.

Une femme en blouse blanche était entrée, balayant par sa simple présence toutes les pensées que j'avais pu avoir auparavant. Mon esprit n'était plus fixé que sur deux termes : "amie ou ennemie ?". Elle avait appuyé sur un interrupteur logé quelque part sur le mur blanc, faisant jaillir une lumière qui avait incendié mes yeux, déchiquetés par les larmes.  Sans un mot, sans un remord, elle m'avait forcé à me faire examiner sous toutes les coutures. Ses doigts gantés couraient sur ma peau, la découvrait sous tous ses aspects, son regard froid détaillait mon corps vêtu de ce que je reconnaissais désormais comme une simple chemise d'hôpital retenue dans mon dos pas des fils incisant mon dos. Autant que je le pouvais, j'aidais à s'évader de ses mains avides toutes les parties de mon corps ; en vain, elle les rattrapait toujours, froide, insensible. Dans ses lunettes noires, je voyais mon regard terrifié, ma peau blanche qu'elle dévorait du regard.

Je gardais mes mains sur mon orifice cardiaque, tentant de le faire échapper à la fouille de ces doigts inquisiteurs. Si elle le touchait, je pensais, si elle le touchais, elle aura achevé de me dépouiller de mon intimité. Mais elle n'avait que faire de mon inconfort, de mon mal être, de cette boule qui me broyait le ventre à chaque fois qu'elle m'effleurait. Elle avait arraché mes mains, les avait faites plaquées au sol par deux gorilles qui étaient entrés dans la pièce en même temps qu'elle.

Dans son tailleur noir, sans une once de pitié, elle avait violé ma plaie de ses doigts. Je m'étais senti transpercé d'une douleur fulgurante. Une douleur mentale, qui n'avait aucune attache physique. Une douleur qui n'avait aucun ancrage dans le réel, qui n'existait que dans ma tête. Une douleur dont elle se fichait, cette femme au regard sombre, terriblement belle. Elle avait inspecté ma fissure, introduisant ses mains gantées à l'intérieur, triturant mes entrailles pendant de longues minutes, minutieusement. Puis elle était sortie un instant pour revenir en poussant un chariot médical.

J'étais pétrifié, pétri de peur. Les gorilles me broyaient les bras. Les chaînes me sciait les chevilles. Mon esprit était figé dans la terreur.

Elle avait sorti un écrin carré qu'elle avait ouvert. À l'intérieur reposait une sorte de cylindre d'où s'échappaient plusieurs câbles. La chose avait une extrémité bleue cerclée d'un anneau de métal qui se détachait de la forme cylindrique. L'objet était sans aucun doute électronique mais je n'avais jamais rien vu de tel. Il m'avait horrifié sans que je sache pourquoi. 

J'avais raison d'avoir peur.

Sans prévenir, la femme avait enfoncé le cylindre dans ma poitrine. J'avais alors comprit que la douleur ressentie auparavant n'était rien. 

Ma gorge avait émis un gargouillement étranglé, mes poumons avaient soudainement refusés de s'oxygéner, mes yeux s'étaient révulsés, mes muscles s'étaient contractés.

Enfin, elle avait sorti une petite clé de sa poche, et avait délivré mes chevilles.

Sortir.

C'était la seule chose à laquelle je pouvais penser. Je ne voulais pas rester une seconde de plus ici. J'étais tombé de la table en me contorsionnant de douleur. C'était un bien pour un mal. Je rampais vers la sortie. J'avais aperçu du coin de l'œil les deux montagnes de muscles s'avancer pour m'arrêter, mais la femme au regard glacial les avait stoppés d'un simple signe de main. Elle voulait m'observer.

J'avais atteint  la porte. Là j'avais dû m'interrompre pour cracher du sang. Ma vue s'était troublée et j'avais pensé:

"Les morts peuvent encore vomir et saigner?"  "

Je songe que je ne devais pas être si mal en point si j'étais encore capable de penser à des choses aussi absurdes que secondaires à un moment pareil où mes forces devaient être économisées à tout prix.

Idiot.

"J'avais cherché à atteindre la poignée de la porte mais j'avais été incapable de me redresser suffisamment pour l'atteindre. Je m'étais affalé contre le panneau de bois peint en blanc. Heureusement, la femme n'avait fait que pousser la porte. J'étais tombé face contre terre. 

Je m'étais trainé sur encore une cinquantaine de centimètres et avais atteint une barrière.

Je m'y étais accroché pour me hisser sur mes jambes. 

J'avais levé les yeux et ce que j'avais alors vu dépasse l'entendement.

C'était un tout et rien à la fois. C'était une ville, un océan, un désert. C'était coloré et morne. C'était joyeux et triste.

J'avais senti un battement venant de ma cage thoracique et une déferlante de sentiments avait jailli en moi.

C'était l'action de trop; je m'étais écroulé."


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