Chapitre 1 : Insouciant

Comment commencer cette histoire...

"Avant mon DOD, je vivais une vie normale.
Une vie plate, longiligne et somme toute assez ennuyeuse. Une vie qui s'écoulait en moi sans que je n'en apprécie le goût. Une vie que tout le monde pouvait vivre.
Heureusement, elle était là pour rompre la monotonie de mes jours.
Je les avais rencontré au lycée, elle, ses cheveux geais, ses yeux marrons en amande et son âme si lumineuse."

Je me stoppe un instant, mon stylo reste suspendu dans les airs, quelques centimètres au dessus de la feuille presque blanche qui me fait face. Je la revois, ce jour là, apparition de lumière. Je reste quelques minutes ainsi, interdit, revoyant devant mes prunelles danser cette image immatérielle. Puis une larme roule sur ma joue, s'éclate contre la feuille devant moi. Je reprends mes esprits. Je dois continuer à écrire.

"C'était le jour de ma rentrée en troisième année au lycée. J'avais retrouvé mes amis - Kazuto, Suzaku et Heiji - et on était déjà entrain de rire et de se taquiner en se parlant de nos vacances, et bien sûr, des filles de nos classes.

Et puis était arrivée la sonnerie, Suzaku et moi étions partis vers notre salle de classe ; c'est là que je l'ai vue pour la première fois.

À ce moment là, c'était encore une parfaite inconnue. Elle n'était qu'une fille anonyme dont le regard se perdait au loin, dans le ciel bleu.

Et pourtant déjà, j'étais mis en orbite autour d'elle.

L'attraction m'avait poussé à aller m'assoir derrière elle, Suzaku me suivant, un sourire en coin.
Une fois installé, il avait prit ma tête en dessous de son coude et m'avait ébouriffé les cheveux en me charriant sur mon regard "d'amoureux transi".

Je m'étais dégagé, rouge tomate, lui répondant sèchement que c'était n'importe quoi et que c'était simplement le meilleur endroit de la salle.
Ce à quoi il avait malicieusement répondu en désignant la jupe de la jeune fille assise devant nous :

"C'est sûr que c'est là où on a la meilleure vue." 

J'avais alors soupiré tandis que lui éclatait de rire devant mon air embarrassé.

Soudain, il avait cessé de me taquiner pour se redresser et prendre un air sérieux. Un sourire était passé sur mon visage alors que notre professeur principal de cette année entrait dans la salle.

En dehors des cours, Suzaku était quelqu'un de blagueur et détendu, dont la témérité relevait parfois clairement de l'imbécilité. Mais dès qu'un professeur quel qu'il soit entrait dans son champs de vision, il devenait une personne tout à fait différente ; il ne faisait plus ses blagues qui parfois étaient à la limite du raisonnable et ne parlait que pour répondre brillamment aux questions du professeur.

Mon voisin et meilleur ami était vraiment quelqu'un de particulier."

J'eu un sourire cynique à cette phrase. Elle ne peut s'écrire qu'au passé. Les mots qu'elle porte ne peuvent plus s'inscrire dans le présent. Mon sourire se teinte de mélancolie. Ils ne le pourront plus jamais.

"Je posais mon menton dans le creux de ma main tandis que M.Ogawa commençait à nous distribuer l'emploi du temps de cette année auquel je n'avais accordé qu'un bref coup d'œil, préférant me replonger dans mon inspection minutieuse de ma voisine de devant.

De ma place, je ne voyais que ses cheveux. Ils étaient noirs comme la nuit et semblaient doux comme du velours. Si j'avais pu, je les aurais pris entre mes doigts, touchés, humés, caressés autant que mon corps le demandait.

J'avais secoué la tête en songeant qu'avoir ce genre de pensées alors que je ne la connaissais même pas était vraiment indécent. Avec un soupir et sans conviction, je m'étais reconcentré  sur le proffesseur qui nous expliquait le programme de cette année et quelques modalités administratives.

Enfin la cloche avait sonné, marquant la fin des deux premières heures de l'année, et tout le monde s'était éparpillé dans la salle.

La première entre-cours était importante car l'ensemble des membres de la classe s'y présentait et y allait de sa petite histoire. C'était un moment crucial où chacun, en fonction de son attitude, définissait son rôle dans la classe. J'étais toujours désigné comme le timide de service, alors j'appréhendais toujours un peu cette première pause avec anxiété."

Je songe en traçant ces mots que mes tracas étaient réellement dérisoire à l'époque, que désormais la culpabilité qui broie mes épaules est due à des faits bien plus lourds de conséquences.

"Parmi mes camarades, il y avait donc Suzaku Kagagi, mon meilleur ami, ainsi qu'une dizaine de garçon pour une dizaine de filles.

Mais surtout, il y avait elle.

Lorsque ça avait été à son tour de se présenter, elle avait rougi et avait murmuré du bout de ses lèvre pulpeuses ; Hina Kimura.

J'avais savouré son nom en le répétant à voix basse.
C'était magnifique. Pur comme le tintement d'un diamant, limpide comme une goutte d'eau, innocent comme un ange.

Je lui avais demandé les caractères* de son prénom.
Elle avait alors prit le dos de ma main en souriant et y avait inscrit le Kanji* de l'oisillon.

En effet, cela lui allait très bien.

Gaie comme un pinson, son rire de rossignol avait brièvement habillé le silence lorsque Suzaku avait sorti une de ses absurdes blagues. Et cette liberté. C'était une véritable aura qui se dégageait de cet être de lumière

C'était un drôle d'oiseau cette belle jeune fille sortie du néant.

Elle avait posé son regard sur moi en remarquant que le mien la dévisageait. Son visage avait affiché une mine intriguée tandis que le mien virait de nouveau à l'écarlate

Le professeur du cours suivant était arrivé et elle était partie rejoindre sa place, comme si de rien était."

Si elle avait su ce que ce regard allait lui apporter, elle l'aurait sans doutes immédiatement détourné.

"À midi, je retrouvais Heiji et Kazuto.

On avait sorti nos bentos* et commençait à parler de nos classes quand soudain, j'avais aperçu Hina. Elle était seule entrain de manger lentement à quelques pas de nous, les yeux dans le vague.

J'avais fait signe à mes amis que je revenais et m'étais approché d'elle.

Je m'étais adressé à elle avec un sourire qui se voulait sûr de lui et accueillant, lui rappelant mon prénom - je voulais qu'elle le retienne - et lui proposant de venir manger avec nous.

Elle avait semblé surprise mais avait accepté.

J'étais revenu vers mes amis, la jeune fille à la suite et avais été accueilli par une assemblée de trois sourires en coin.

J'avais soupiré en suppliant les dieux pour que mes deux autres amis ne s'associent pas à Suzaku pour m'enfoncer encore un peu plus dans ma gêne.

Malheureusement, les divinités semblaient être contre moi.

Je m'étais rassis, avait remarqué que trois de mes karaage* avaient mystérieusement disparus. Je n'avais fait aucune remarque me contentant de fusiller du regard mes amis, leurs sourires narquois redoublants. Ils étaient bien décidés à me faire enrager.

Cette première rencontre entre mes amis et Hina était une véritable catastrophe de mon point de vue, mais au moins, mon petit oiseau semblait bien s'amuser.

Au fur et à mesure des mois, c'était devenue une habitude pour Hina de venir manger avec nous.

J'ai peur que cette ellipse temporelle ne te fasse croire que tout à été tout de suite facile entre nous, mais si je devais te raconter chacune de mes anecdotes avec Hina, nous en aurions bien pour deux jours, cent pages et trois entorses pour mon pauvre poignet déjà bien endolori.

Disons alors que l'on s'est en quelque sorte apprivoisés.

Oui c'est le terme. Apprivoisés.

Au début, je voulais enfermer ce beau rossignol qui mangeait et étudiait à mes côtés afin de le garder pour moi seul.
Puis, après quelques semaines à ses côtés, j'ai compris qu'il était impossible d'emprisonner un être aussi libre qu'elle.
J'ai alors arrêté de précipiter les choses et j'ai choisi d'apprendre à la connaître pas à pas.

Hina aimait dessiner.

Elle me montrait parfois ses dessins à l'encre de Chine qui étaient vraiment magnifiques et j'étais ébloui par cette prestance qu'elle donnait à ses personnages couchés sur le papier.
Ma princesse au cheveux geais m'avait confié qu'elle voulait devenir mangaka, ce qui nous amène à une autres de ses passions : les mangas.

J'avais découvert son incroyable collection de bande dessinées lorsque j'étais allé pour la première fois chez elle pour un exposé. J'avais alors enfin pu voir là où vivait cette fille qui illuminait ma vie jour après jour. C'était un minuscule appartement, en plein cœur de Tokyo où elle vivait avec ses parents. Rien de bien impressionnant, mais je m'y étais tout de suite senti bien.

Il ne s'était rien passé cet après midi là, ni les vingt-trois fois d'après.
On se contentait de parler, on s'en tenait aux mots, on essayait de se comprendre. Et puis le vingt-quatrième soir, la vingt-quatrième fois, elle avait décidé de passer à l'étape supérieure.

Je dis "elle avait décidé" premièrement parce j'étais pour ma part décidé depuis longtemps et deuxièmement parce que c'était elle qui menait la barque.
J'étais rentré chez moi sur un petit nuage.
J'avais caressé mes lèvres qui avaient frôlé les siennes pendant de longues minutes devant le miroir, repensant au sensations que son simple baiser avait provoqué.

Pour le moment, j'avais dû me contenter de ce contact bref et fugace mais j'avais hâte de passer encore au niveau suivant."

Je passe un instant ma langue sur mes lèvres, à la recherche du parfum de celles d'Hina. Mais il n'y a rien. Juste un parfum morne de mort.

"Le lendemain de cette fameuse vingt-quatrième soirée, je pensais en me levant que ce serait une journée extraordinaire, mais elle s'était passé comme n'importe quelle journée normale.

Hina faisait comme si rien ne s'était passé et s'en était presque devenu frustrant.

Encore une fois, il m'avait fallu être patient.

Peu à peu, elle avait décrété de discrets signes qui devaient devenir habituels et qui montraient enfin qu'on était ensemble. Pas fiancés, encore moins mariés, mais "en couple".

Sazaku, Heiji et Kazuto me disaient souvent que j'étais chanceux et me charriaient, plaisantant sur moi et mon comportement de "marshmallow débordant d'amour" - je n'invente rien je ne fais que citer Suzaku - et de "Détective amouraché" - celle-là je la dois à Heiji.

Ce dernier surnom me va comme un gant selon mes amis qui connaissent mon principal centre d'intérêt : les enquêtes. J'adore résoudre des meurtres. Bien sûr, je n'ai jamais été face à un véritable cadavre. Mais dès que je vois un roman ou un film policier c'est plus fort que moi; ma main est attirée et je ne peux pas résister à l'envie de le prendre. Je peux passer des heures et des heures à lire de passionnantes enquêtes emplies d'énigmes.

Hina aimait m'écouter parler des affaires que je tentais de résoudre avant le héros du livre.
Elle me surnommait "Le détective du XXIeme siècle".
La première fois qu'elle m'avait nommé ainsi, elle avait ri et m'avait révélé que jeressemblais à un personnage de manga qui était mon homonyme et qui résolvait des enquêtes.
Elle m'avait prêté la série entière -une centaine de tomes quand-même !
L'histoire racontait l'incroyable aventure d'un détective lycéen qui résolvait tout un tas d'enquêtes - ce type est un véritable porte poisse ma parole ! Partout où il passe il y a un voire des meurtres! - et qui, comble du sort, s'appelait également Shinichi.
J'avais apprécié ce manga, et il était vrai que ma ressemblance avec ce détective fictif était troublante.
On en avait longuement parlé et ri avec Hina.

J'avais ainsi commencé à lire ses mangas et elle, à lire mes thrillers.

En parfaite "otaku"* des mangas, elle aimait aussi les cosplays.
Et c'était un soir où on était allés ensemble à un salon du cosplay justement. On s'était bien amusés. Tout le monde s'était déguisé - ou plutôt «cosplayé» comme me corrigerait Hina. Comme d'habitude, Suzaku avait fait l'imbécile sous nos regards rieur. Kazuto lui s'était surpasser sur une chorégraphie sur scène et avait même gagné un prix. Et enfin Heiji... était restée Heiji, silencieux et discret, comme à son habitude, mais indispensable à notre bonne humeur.

Après la convention, on était allé au karaoké. Tout le monde s'était encore une fois bien payé ma tête : je chantais plus que faux -même une casserole chanterait mieux que moi d'après Kazuto.

On s'était vraiment bien amusés. Et encore aujourd'hui je conserve précieusement le souvenir de cette insouciante sortie.
La lumière d'Hina m'avait fait oublier la noirceur du monde pendant six bref mois.
Mais alors que l'on était en train de rentrer de cette soirée lumineuse de bonheur, les ténèbres m'avaient soudainement rattrapé."

Je pose ma plume, m'étire. Devant moi, l'horloge indique que le matin est encore loin. Mais je dois déjà me remettre à écrire. Il faut que je finisse cette histoire avant que le soleil ne vienne embraser de ses premiers rayons la terre des vivants. Il faut, avant l'aube, que je finisse de me délester du poids de cette histoire qui m'alourdit et m'empêtre dans un tourbillon sans fin de remords et de regrets.

Annotations :

*Caractères : Au japon, l'alphabet utilisé par exemple en France et dans tant d'autres pays, on écrit à l'aide de "symboles" ou idéogramme (soit un symbole pour une idée et non pas un ensemble de lettres pour former un son), le sens alors de caractères ici signifie que notre héros demande quel "symbole" est utilisé pour écrire le prénom d'Hina qui peut prendre plusieurs "écriture" selon le sens (un peu à l'instar de nos homonymes en français)

*Kanji : Signe idéographique de l'écriture japonaise, d'origine chinoise.(voir média, kanji de l'oisillon)

*Karaage : Le karaage ( ou 空揚げou から揚げ),ou kara-age, est une technique de dans laquelle des ingrédients variés - la plupart du temps de la viande ou du poisson - sont dans un bain d'huile. Les ingrédients sont préalablement découpés en petits morceaux et marinés dans de la sauce soja , de l'ail, du gingembre. On ajoute de la farine de blé ou de pomme de terre, éventuellement de l'œuf, à la marinade, puis les morceaux recouverts de cette pâte épaisse sont frits un peu comme pour des tempura. Ils sont parfois utilisés dans les bentos* qui sont des petites boîtes repas dont les japonais raffolent et qui sont généralement utilisés pour le repas de midi.

*Otaku : Ce terme désigne une personne qui consacre tout son temps libre à une activité d'intérieur. Bien souvent, l'otaku reste cloîtré chez lui pour assouvir sa passion, et se désocialise donc peu à peu. Aujourd'hui en France, on a tendance à associer ce terme aux personnes lisant beaucoup de mangas ou regardant énormément d'animés... à tort! Car au Japon, le terme ne se restreint pas à ces deux catégories, mais à tout un panel d'activités, allant des jeux vidéos au culte d'une idole.







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