Chapitre XXXIV


« On n'en sort jamais réellement ». Ses mots tournent en boucle dans ma tête, comme un disque rayé.

Je regarde encore Harry, hébétée. Je ne sais pas quoi lui répondre. J'ai peur de répondre. Je ne peux qu'espérer avoir un nouvel et bel avenir avec Matthew, mais si il ne sort jamais de ce réseau ? Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ?

Certes, j'ai peur pour moi, mais parce que Harry m'a fait comprendre que je pouvais risquer quelque chose dans cette histoire. Mais ce que je sais au plus profond de moi, c'est qu'en réalité j'ai peur pour Matthew. Peur que quelqu'un ne lui veuille du mal. Que Gavin lui cherche encore des problèmes. Rien qu'en pensant à cet homme, mon sang se glace et un frisson me parcourt l'échine. C'est en cet instant que je comprends que quelque chose de plus fort qu'une simple attirance physique m'anime pour cet homme si imprévisible et si surprenant.


- Je l'aiderai.


- Eden ... Souffle Harry. Ça fait des années que mon père et moi l'aidons, que nous essayons de faire en sorte que ces gars l'oublient, passent à autre chose, et quand on pense y arriver, soit c'est que nous nous sommes bercés d'illusion, soit c'est que Matthew lui-même y est retourné.


Je le vois passer sa main dans ses cheveux nerveusement.


- Il n'arrive pas à décrocher. Il n'en a pas envie.


Je sens le sol commencer à se fendre sous mes pieds.


- Sais-tu le nombre de fois où nous avons dû aller le récupérer à l'hôpital, ensanglanté ? Sais-tu ce que ça fait d'avoir le téléphone qui sonne à trois heures du matin, et de devoir te rendre en prison pour faire sortir ton frère ? Tu penses peut-être que je suis dur avec toi, que j'essai de salir Matthew, mais l'idée même qu'il puisse t'arriver quelque chose m'effraie et je sais qu'en restant avec lui, c'est ce qui risque d'arriver.


- Et jamais tu ne t'es dis que peut-être tu avais ta part de responsabilité dans cette histoire ?


Je le vois froncer les sourcils, un air sévère commence à prendre possession de son visage.


- Je te demande pardon ? Dès qu'il m'appelle, j'accours pour l'aider, je fais tout ce que je peux pour qu'il en finisse définitivement avec ces mecs, je le couvre Eden ! Et tu me dis que si il est là dedans, c'est de ma faute ? Tu plaisantes ?


- Non, ce n'est pas de ta faute, chacun est maitre de ses choix. Ce que je veux dire, c'est que peut-être que s'il s'est tourné vers ce milieu, c'est que quelque chose en lui s'est brisé. Réfléchis Harry, tu es l'enfant parfait, celui qui fait toujours tout comme il faut et que ses parents adulent. Instinctivement, tu le rabaisses, mais tu ne le vois pas. C'était un peu sa manière à lui d'attirer l'attention, de montrer qu'il existe.


- Je croyais que tu étais avocate, pas psychologue.


Son ton est sec, cassant mais légèrement amusé en même temps. Je lève les yeux au ciel en secouant légèrement la tête de droite à gauche.


- Si tel est le cas, il avait d'autres moyens d'attirer l'attention. Il aurait pu faire des études, il aurait pu ...


- Harry, il aurait pu faire pleins de choses autres que ça, je suis d'accord. Mais il n'est pas toi. Le coupé-je en posant ma main sur son bras.


Sa bouche s'ouvre et se ferme aussitôt. Je vois dans ses yeux qu'il sait que j'ai raison.


- Pourquoi il ne m'a rien dit plus tôt alors ?


Cette fois-ci, c'est moi qui esquisse un sourire.


- C'est vrai que vous connaissez parfaitement l'art de la conversation, tous les deux.


Il semble amusé par ma répartie, mais il reprend rapidement son sérieux.


- Admettons que j'ai ma part de responsabilités. Tu n'en demeures pas moins en danger.


- Je saurai gérer la situation, Harry.


- Tu ne sais pas ce qui t'attend, souffle t-il le coeur lourd et triste.


Il ouvre ses bras pour m'inviter à m'y blottir. Je lui donne un petit sourire et l'enserre.


- Ma porte te sera toujours ouverte, Eden. Si il y a le moindre problème ...


Je sens son souffle agiter les cheveux au sommet de mon crâne lorsqu'il parle, et sa respiration semble se bloquer juste après.


- Tout ira bien.


Je frotte doucement son dos, et reprend une distance raisonnable. Il m'offre un doux et ravissant sourire, en replaçant une nouvelle mèche de cheveux qui a bougé à cause de sa respiration sur le haut de ma tête.


- Je pense que je regretterai toute ma vie de ne pas t'avoir rattrapé le soir du Cocktail.


J'appuie ma joue contre sa main. Je me demande aussi où on en serait si il ça avait été le cas. Tout aurait surement été différent. Je décide de rompre le contact.


- Nous devrions rentrer, je pense qu'il y en a un qui doit brûler d'impatience de te retrouver. Et je le comprends.


Je hoche la tête.


Nous finissons nos verres, et marchons silencieusement en direction de la maison. Le mutisme de ce retour est pesant. Je n'aime pas ça.





Quand nous arrivons à la frontière du jardin ensablé, le regard Gloria se pose sur moi. Je cherche Matthew parmi les personnes présentes, sans succès. Je m'approche alors de sa mère qui ne m'a pas quitté des yeux, l'air inquiet.


- Matthew n'est pas là ?


Elle m'adresse un léger sourire compatissant étirer ses lèvres tandis qu'elle me caresse doucement les cheveux.


- Il est parti marcher sur la plage, je crois qu'il voulait vous rejoindre.


- Mais il n'est jamais venu nous retrouver pourtant.


Elle hausse les épaules, signe de capitulation. Je tourne les talons, me précipitant à nouveau vers l'immense étendue dorée.


- Tu es toujours aussi sûre de ton choix ?


Je me tourne vers Harry affichant un air mauvais. C'est la seule chose qu'il trouve à me dire en cet instant ?


Je lève les yeux au ciel pour manifester mon agacement envers Harry, et reprends ma course.





Je trottine sur le sable, et je confirme ce que tous les sportifs savent déjà pour le pratiquer : courir pieds nus au bord de la mer est extrêmement fatiguant et mobilise tous les muscles. J'adorais faire ça quand je vivais chez mes parents. Au levé du soleil, je partais pour une course de quelques kilomètres, et je rentrais avant que les touristes ingrats et mal polis ne viennent noircir les bancs de sables. Et encore, je ne parle pas de la route ! Quand je vivais ici et que je devais prendre la voiture pour aller travailler, c'était inlassablement la même rengaine : ils roulaient au pas parce qu'ils étaient en vacances et se croyaient tout permis alors qu'ils étaient perdus et ne savaient pas où ils aller. Les résidents, eux, ne sont pas forcément en vacances.

Je continue inlassablement de courir, j'ai déjà dépassé la plage privée où nous étions assis plus tôt, Harry et moi. Je suis vraiment inquiète. Je m'apprête à faire demi-tour quand une silhouette attire mon attention. Je m'arrête et l'observe quelques instants. Il n'y a qu'elle sur la plage, complètement déserte.

Il est assis seul au bord de l'eau, observant l'étendue d'eau à perte de vue qui s'offre à lui. De magnifiques rouleaux se forment plus loin avant de s'écraser sur la rive et n'atteindre seulement que ses pieds.

Mon coeur tambourine dans ma poitrine et mon sang bat mes tempes si fort que je n'entends plus le bruit des vagues. Je pense que cela doit être la faute de ma course improvisée, mais cela s'est tellement accentué en le voyant, des petits papillons dans l'estomac comme on dit, que cela ne doit pas être la seule cause de mon état.

Je m'avance doucement dans sa direction, et je me rends compte qu'il n'est pas complètement seul lorsqu'il porte sa copine à ses lèvres. Je crois que la fameuse bouteille n'est remplie que sur sa moitié.


- Matthew ? Dis-je prudemment en m'approchant.


Il se retourne brusquement et fait tomber un peu de sa boisson ambrée sur son tee-shirt. Ses pupilles sont dilatées, ses yeux complètement injectés de sang et ses réflexes ont visiblement diminués.


- Ed ... Eden ? Qu'est-ce que tu fais là ?


Je m'approche à nouveau et m'assois à ses côtés. Il parle étonnamment bien vu son état.


- Je te retourne la question. Moi je te cherchais.


Il me fait les gros yeux, et ses sourcils se froncent un bref instant.


- Tu ne cherchais pas plutôt la bouche de mon frère ?


Je comprends rapidement qu'il a vu Harry m'embrasser.


- Je l'ai repoussé.


- Avant ou après avoir fourré ta langue dans son gosier ?


Il me parle avec un ton légèrement agressif, et je comprends que c'est l'alcool qui le fait partir au quart de tour. Cette boisson a tendance a nous faire s'emporter en une fraction de seconde.


- Matthew ... Je l'ai repoussé, et je lui ai dis que je voulais te donner une chance. Une vraie.


Je me penche doucement vers lui, et place mes deux mains autour de son visage pour le forcer à me regarder.


- Je te le promets.


Je marque une pause, et vois ses yeux verrons me scruter jusqu'aux tréfonds de mon âme. J'ai l'impression d'être percée à jour sous son regard.


- Je suis revenue entièrement tienne.


Ni une, ni deux, il lâche la bouteille de bourbon et plante ses lèvres sur les miennes. Je réponds à son baiser avec envie et le poids de son corps nous fait chavirer sur le sable. Ses hanches sont pressées contre les miennes et il enfouit ses puissantes mains dans mes cheveux. Ses lèvres ont le goût de l'alcool aux effluves de miel. Comme le soir de notre rencontre et ce souvenir m'enivre encore plus.

Profitant du fait que ses muscles soient légèrement endormis, je donne une impulsion suffisamment forte pour le retourner afin de le placer sous moi. Il s'arrête de m'embrasser et je me redresse lorsqu'il pose ses mains sur mes hanches. Un intense frisson me parcourt l'échine.


- Tu es tellement belle, Princesse.


- C'est parce que tu as trop bu que tu dis ça.


Il se redresse et place son visage à quelques centimètres du mien.


- Paraît-il que l'amour rend aveugle. Pourtant j'ai l'impression de n'avoir jamais vu aussi clair qu'aujourd'hui.


L'amour ? Ma bouche s'entrouvre mais aucun son n'en sort.


- Non, ce n'est pas l'alcool qui parle pour moi, je n'ai pas suffisamment bu pour que ce soit le cas.


Il m'adresse un sourire incroyablement chaleureux et doux. Il répond à une question intérieure que j'allais justement me poser. Je ne parviens toujours pas à émettre le moindre bruit. Mes cordes vocales ont comme pris la fuite au triple galop tandis que mes yeux n'ont pas lâchés Matthew.

Il se rapproche encore un peu plus, place ses mains dans la chute de mes reins pour me rapprocher d'avantage. Il dépose un baiser dans le creux de mon cou et remonte doucement vers mes lèvres. Après avoir déposé une énième fois ses lèvres à leurs commissure, il replonge son regard dans le mien, comme pour me permettre de voir toute la sincérité de ses mots alors que le sol s'ouvre sous moi.


- Je t'aime, Eden Clark.

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