Chapitre XX

Alors que je me trouve encore dans un état de plénitude profond, je vois Fanny sortir avec précaution de sa chambre, son visage figée dans la malice et la curiosité encadré de ses boucles indisciplinées. Je la connais, elle ne va pas tarder à me faire passer un véritable interrogatoire.

- Il va falloir que l'on parle.

On prend chacune une tasse de café avant de s'assoir dans le canapé, enroulées dans une couverture, prêtes à se faire des confidences.

- Toi commence, tu as découché, explique !

Je vois Fanny rougir. Cela ne lui ressemble pas. D'ordinaire, elle raconte chacun de ses rencards sans la moindre pudeur, bien qu'elle n'entre jamais véritablement dans les détails les plus salaces. Elle prend une grande inspiration avant de prendre la parole.

- Henry est vraiment quelqu'un de bien.

Je préfère ne pas répondre, me contentant d'un regard incitateur pour l'inviter à poursuivre.

- Il a toujours été malheureux en amour, un peu comme moi ... On ne s'est rencontré qu'hier, mais on se comprend vraiment, et j'ai l'impression qu'on va être amené à parcourir un bout de route ensemble.

- Fanny ...

Je lance son nom dans un soupir. Le petit coeur d'artichaut est de retour !

- Je sais que tu as l'impression que je t'ai tenu ce discours des dizaines de fois, mais ... Tu te rends compte qu'il n'a pas essayé de me mettre dans son lit ? Il m'a fait visiter la ville de nuit tout en parlant de nos vies respectives, et il veut me revoir !

Là, je demeure muette. C'est une première, en effet. J'avais l'impression qu'il était particulièrement gentil bien que d'une grande timidité, mais jusqu'à hier, je le croyais épris de Martha.

- Et ... T'a t'il parlé de Martha ? Depuis que je suis arrivée au Cabinet, j'ai l'impression qu'il lui tourne autour.

- Oui il m'en a parlé, et non ce n'est pas le cas. Ils ont eu une aventure, mais du jour au lendemain elle l'a snobé sans raison. Il lui a couru après quelques temps, et a tenté d'obtenir des explications, en vain.

Me voilà rassurée. Je prie intérieurement pour que Henry ne soit pas un nouveau baratineur près à briser le coeur de ma pauvre soeur amoureuse de l'idée d'aimer.

- À ton tour, parce que j'ai dû louper un sacré épisode là ! D'abord tu me montres ton -très séduisant- patron, vous vous éclipsez quelques minutes, et à votre retour la tension était reine ! Ensuite, ce matin je rentre et je trouve un autre homme très charmant mais amoché et en caleçon dans ta cuisine ? Je suis perdue, Edye !

Je ne suis pas tout à fait à l'aise à l'idée de donner des explications à Fanny, et je sais que je vais devoir lui donner une version édulcorée des faits.

- J'ai rencontré Matthew lors d'une soirée un peu arrosée quand il est venu me sauver d'un pervers, et depuis on se voit fréquemment. Hier soir, Harry a été ... Odieux. Je suis partie et suis tombée sur Matthew par hasard dans la rue.

Je vois Fanny dubitative, et il y a de quoi, mon explication est vraiment trop vague, elle sonnait mieux dans ma tête.

- Pourquoi tu l'as ramené ? Vous auriez très bien pu aller boire un verre.

Je sais que je n'y couperai pas, et de toute façon, comment lui expliquer les bleus, l'oeil au beurre noir et le pansement ?

- Quand je l'ai croisé, il se faisait agresser. Il avait besoin d'aide et de soins. Alors on est rentés, j'ai pansé ses plaies et on s'est endormis.

Elle ouvre de grands les yeux et j'ignore si c'est l'évocation de l'agression qui lui fait cet effet, ou si c'est le fait que nous ayons seulement dormis. Il est vrai que cela paraissait presque impossible dans la mesure où la présence de Matthew dans une pièce est la condition sine qua non d'une explosion immédiate de la libido.
Fanny s'éclaircit la voix pour avoir plus d'explications.

- Qui l'agressait ? Et ... Pourquoi ?

Je ne peux pas lui dire que Gavin, qu'elle a rencontré quelques heures auparavant, est l'agresseur de Matthew, et encore moins que ces derniers ont des liens avec le trafic de drogue new-yorkais appartenant au passé. J'aurai droit à une véritable scène.

- Tu sais, Fanny, quand tu te fais agresser, c'est souvent pour de l'argent, des bijoux ... Ce que tu peux avoir sur toi au moment de l'agression.

J'essaie de m'en sortir tant bien que mal, priant pour que mon explication suffise. En soi, ce n'est pas un mensonge, il s'agit bien d'une histoire d'argent, mais ce n'est pas toute la vérité non plus.

- Oh le pauvre ! Crie t'elle en portant ses mains devant sa bouche. Heureusement que tu étais là pour l'aider !

Je me contente de lui sourire, je ne veux pas risquer de faire une gaffe qui remettrait mon histoire en cause. Après quelques instants à s'inquiéter silencieusement du sort de Matthew, elle s'enquit de me questionner de nouveau. Au sujet d'Harry.

- Après ton départ, il semblait ... Chamboulé. Perdu aussi. Il y avait cette vipère qui lui tournait autour, mais il s'en fichait comme de l'an quarante ! Il passait son temps à vérifier son téléphone. Il avait l'air d'attendre quelque chose. Enfin de ce que j'en ai vu ...

Un bref espoir nait en moi. Tout n'est peut-être pas perdu ? Puis, ses mots me reviennent en tête, me donnant une claque mentale « Je fais encore ce que je veux, nous ne sommes pas ensemble, Eden ! », et une nouvelle pointe au coeur fait son apparition.

- Je ... Hum ... Passons, tu veux ?

Je ne peux pas continuer cette conversation, je sens des larmes qui menacent de sortir. Fanny le comprend rapidement, et change de sujet, et je l'en remercie intérieurement. Elle finit de ma raconter sa soirée au Cabinet, puis sa petite virée nocturne avec Henry. Elle est heureuse, comme un enfant le matin de Noël. Des étoiles étincellent dans ses yeux, cela fait chaud au coeur.

- Mon vol est dans deux heures, je vais aller me préparer.

Fanny prend ses vêtements et fonce sous la douche. Après avoir discuté avec elle, je me sens plus légère, et c'est avec le sourire que j'imite rapidement ma soeur afin de l'emmener à l'aéroport.

    « L'embarquement pour le vol 8876 à destination de Los Angeles va bientôt fermer ».
La voix sortant des interphones indique que l'avion de Fanny va bientôt décoller. Nous courrons à vive allure, esquivant les touristes qui arrivent, ou les hommes d'affaires trop concentrés sur leurs téléphones pour lever les yeux. C'est in extremis que nous parvenons à atteindre les portes d'embarquement.

Après une brève étreinte, je la regarde partir en courant, vêtue de son survêtement de voyage bleu marine. Je l'entends me crier depuis le couloir qu'elle reviendra rapidement. Cela ne m'étonne pas, elle a surement hâte de revoir Henry.

Je m'assois sur un banc en face d'une baie vitrée de laquelle je peux voir l'avion de Fanny. Une petite larme de nostalgie roule le long de ma joue lorsque je vois l'appareil prendre son envol. Malgré le bruit ambiant et la foule incroyablement dense, je me sens seule. Cela me fait toujours cet effet en voyant des êtres chers partir. Mais je comprends que ma nostalgie va devoir être écourtée lorsque la sonnerie de mon téléphone s'élève de ma poche. Je viens de recevoir un message de Laura « Il faut qu'on parle, au Starbucks dans une demie heure ! ». Je connais parfaitement ce ton, elle est impatiente de savoir ce qui s'est passé la veille. Je croirai presque dans Sex and The City avec ces ragots incessants.

Avant de me rendre au café, je repasse chez moi récupérer Chaussette. Il a besoin de sortir et aime bien embêter Laura en lui léchant le bras pendant qu'elle parle. Lorsque j'arrive à la terrasse du café, je suis surprise de ne pas voir seulement Laura, Stephanie est là aussi. Cela s'annonce plus complexe que ce que je croyais. Je prends place près de mes deux amies pendant que Chaussette leur fait la fête.

- Bonjour, les filles ! Dis-je d'un ton enjôleur qui ne trompe que moi.

- Ne joue pas l'innocente, que s'est-il passé avec Harry ?

Bonjour aussi les filles ! Ce qu'elles peuvent être brutes parfois. Je ne me sens toujours pas de raconter notre dispute, mais j'ignore comment éviter le sujet alors qu'elles m'ont clairement fait venir pour obtenir des explications. Je me demande quand est-ce que Stephanie a été mise au courant de mon aventure avec Harry, et devant mon air interrogateur, elles se justifièrent d'un « on a discuté après ton départ brutal d'hier soir ».

Alors je commence à déballer tout ce que j'ai sur le coeur. D'une traite, ne laissant pas le temps à mes émotions de prendre le pas. Je réprime mes larmes, mais quelques unes ont tout de même réussis leur évasion. Les filles me tendent silencieusement leurs serviettes en papier pour ne pas m'interrompre. Stephanie ne connaît Harry que de nom, mais cela ne l'empêche pas d'être révoltée par son comportement.

Aussi, je vois dans le regard de Laura qu'elle ne comprend plus rien. Une fois les vives protestations de Stephanie achevées, Laura ne dit mot alors que tous les regards sont braqués sur elle, cela ne lui ressemble pas. Il lui faut de longues secondes avant qu'elle ne dise quelque chose.

- Je ne l'ai jamais connu comme ça ...

Elle continue de réfléchir.

- Ecoute, à chaque fois qu'il a eu quelqu'un, il suivait le même schéma, c'est un homme qui aime faire les choses dans l'ordre, d'abord il discute, ensuite il propose un rendez-vous et enfin, il couche. Il reste quelques temps avec la fille en question, puis ça se termine sans mouvement de panique.

Je trouve Laura particulièrement renseignée sur le sujet et je me questionne de plus en plus à son sujet. A-t-elle connue ce schéma elle aussi ?

- Laura, tu ne ferais pas partie de ces filles par hasard ?

Je la coupe dans son élan, et elle referme sa bouche instantanément en rougissant. J'ai mis dans le mile.

- Tu sais, je suis arrivée quand j'avais dix-neuf ans, je ne connaissais pas encore Chris et ...

Elle avoue cela comme si elle en avait honte, en se tenant les mains qu'elle fixe, mais il ne faut pas que ce soit le cas, cela fait parti de son passé.

- Et j'ai pu constaté qu'il faisait pareil avec toutes les filles qu'il a fréquenté. Mais pas avec toi.

- Peut-être que tu devrais essayer de lui tirer les vers du nez pour en savoir plus ?

L'intervention imagé de Stephanie me laisse perplexe. J'ai du mal à contenir mes émotions en leur racontant, alors avoir une conversation avec Harry ... Cela risque d'être émotionnellement éprouvant.

Nous finissons de boire nos cafés, essayant de revenir sur des notes plus légères en parlant du bébé de Laura et je fais volontairement le choix de ne pas leur parler de Matthew. Cela me fait du bien de voir que j'ai le soutien de mes amies. Sur le chemin du retour, je décidé de couper par Central Park pour que Chaussette se dégourdisse les pattes, et je réfléchisse à l'idée de Stephanie. Elle a raison, je dois obtenir des explications sur son comportement, mais pas dans l'immédiat ; je vais tout mettre en oeuvre pour retarder la confrontation. Il me semble même nécessaire de finir par mettre les points sur les I avec Clemence, il est absolument hors de question que je me laisse marcher dessus.

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