Chapitre XIX
Je me tourne pour éteindre la lampe de chevet. La chambre est plongée dans le noir, je suis complètement aveugle. Seule la respiration agitée de Matthew me sert de repère. Je me tortille dans le lit pour lui faire face ; dans la position foetale qui me sert de réconfort, je me replie sur moi-même pour chasser la tristesse qui s'est installée dans mon coeur. Je suis perdue. Harry et moi jouions au chat et à la souris depuis mon arrivée au Cabinet, même si je n'en étais pas sûre à l'origine, la nuit que nous avons passée ensemble en France m'a éclairé sur ce point. Je n'ai rien imaginé. Je ne suis pas le genre de fille « facile », et pour moi, cet acte avait été lourd de conséquence. Lorsque Harry m'a jeté en plein visage que nous n'étions pas un couple, la sensation était telle que même cent coup de poignards en plein coeur ne m'auraient pas fait plus mal. Il n'a pas de compte à me rendre. Soit. Mais plutôt que de me traiter de la sorte, me rabaisser, il aurait dû me parler de ses intentions. Pas un seul instant je me dis qu'Harry aurait été susceptible de me causer pareille douleur, de me faire sentir aussi idiote. Peut-être ai-je trop cru en l'idée du prince charmant ?
Et voilà que je me retrouve dans le même lit que Matthew. Si il prétend ne pas être un gentleman depuis notre rencontre, je dois admettre qu'il s'est pourtant comporté comme tel.
- Je peux te poser une question ?
Malgré l'obscurité, je sens son regard peser sur moi. En guise de réponse, il garde le silence, m'invitant ainsi à poursuivre.
- Tu m'avais dis que lorsque tu voulais quelque chose, tu te servais. Tu t'es toi même dépeins comme un goujat. Alors pourquoi tu es si ... Prévenant avec moi ?
Je sens les couvertures s'étirer. Il est sur le dos et fixe le plafond. À mesure que le temps passe, mes yeux commencent à s'habituer au manque de lumière, et je peux voir grossièrement les traits du visage de Matthew. Le silence dans lequel il se mure depuis plusieurs minutes devient embrassant.
- Je ne sais pas.
Un nouveau mur de silence s'érige entre nous. Je ne m'attendais pas à une telle réaction et j'ignore quoi répondre.
Il me fait de nouveau face.
- Tu es différente, Princesse. Je n'ai jamais été comme ça avec personne.
Il tire difficilement sa main de la couverture, et me caresse tendrement le visage. Je ferme les yeux pour apprécier la douceur de ce geste mêlée à la délicatesse de la déclaration qu'il vient de me faire. Je sais qu'il ne poursuivra pas, je dois me contenter de ces quelques mots. Mais ce soir, Matthew s'est livré à moi plus que je ne l'aurais espéré. J'ai l'impression de mieux le connaitre, de le comprendre. J'apprécie sa franchise. Il m'offre un répit dont j'ai besoin, et rien ne traverse plus mon esprit pourtant tourmenté.
Je sens le mouvement de ses doigts s'accélérer sur ma joue. Ma poitrine se lève lourdement et je déglutis plus fortement. La main de Matthew passe derrière ma nuque, il l'attrape et approche mon visage du sien avec force. Ses lèvres s'écrasent brutalement contre les miennes et elles se lancent dans une danse effrénée. J'en profite pour mordiller sa lippe si atypique, et je sens ses commissures s'étirer légèrement. Sa main descend lentement le long de mes côtes avec une lenteur affolante. Mes jambes, encore recroquevillées, s'étirent instantanément lorsqu'il se saisit de mes fesses à pleine main, me propulsant dans le même temps contre lui. J'enroule mes doigts dans ses belles et douces boucles brunes. Son odeur de miel s'empare de moi, et a désormais propulsé toute forme de raison et de capacité de réflexion à mille lieues de mon esprit. Je fouille son torse avec avidité quand je l'entends grogner.
- Oh pardon ! Je ne voulais pas te faire mal ...
Pour seule réponse, il plaque de nouveau sa bouche contre la mienne m'embrassant plus fougueusement. Il fait passer ma jambe autour de lui, et par mouvement de balancier, je le surplombe totalement. J'inonde son cou de baiser, puis son torse en prenant soin de ne pas appuyer trop fort sur ses bleus. Je sens son pouls s'accélérer pendant qu'il enfouit son visage dans ma chevelure pour en humer tous les parfums de mangue et de tiaré qui en émanent. Je sens mes hormones en ébullition totale, mon cerveau ne répond plus, et mon corps s'exprime à sa place. Il attrape mon visage entre ses mains et me détaille, reprenant son souffle et son calme ; je commence également à recouvrer mes esprits et les souvenirs de la soirée qui vient juste de se dérouler me reviennent en tête tel un boomerang. Alors qu'il approche de nouveau mon visage du sien, je pose précautionneusement une main sur son torse dans un mouvement de recul.
- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
Je vois son visage se déformer face à cette incompréhension. M'appuyant sur mon bras gauche, je me dégage de son emprise et viens m'asseoir à son côté.
- Écoute ... Tu es blessé et cela te fait souffrir, et puis ... Ce soir je me suis faite plaquer, enfin je crois ?
Pendant que je commence à me livrer à une bataille intérieure pour comprendre ce qui se passe dans ma vie, je vois ses beaux yeux bleus s'assombrir, je dois essayer de me justifier d'avantage.
- Tout est encore trop confus dans mon esprit, cette situation est confuse, et je ...
- Inutile de t'expliquer, je sais ce que veux dire « non ».
Sa réplique est cassante, cinglante et son ton est froid comme la glace. Je l'ai vexé et je sens que je vais de nouveau me refermer sur moi-même. Avec toute la gentillesse et la bienveillance dont il a usé à mon égard, j'ai presque oublié qu'il n'est pas un gentleman et qu'il s'applique à le souligner à la moindre occasion. Il paraît lire en moi puisqu'il reprend rapidement la parole.
- Tu excuseras mon manque de tact mais je n'ai pas pour habitude que l'on me dise « non ».
Je sens un léger sourire étirer mes lèvres, « tu devrais t'y habituer si tu comptes continuer à me fréquenter, je ne suis pas une fille facile, en dépit des apparences » pensé-je.
- Comme tu le sais, je suis un goujat, mais pas un violeur.
Sa remarque me fait l'effet d'une douche froide. Non seulement il a réussit à déchiffrer la moindre de mes pensées, mais en plus il a su créer une boule au creux de mon estomac. Attend-il seulement de moi que je cède à ses avances pour me mettre dans son lit avant de s'envoler ? Matthew est le genre d'homme qui s'évapore après avoir volé coeur des filles, pas celui avec lequel on se marie même si on espère être celle qui changera sa vie.
- Princesse, je comprends ce que tu veux dire, n'en fait pas une maladie, je m'en remettrais. Viens dormir.
Il m'attrape doucement par le bras pour m'attirer contre lui. Je m'allonge en faisant attention de ne pas le heurter et je pose doucement ma tête sur son torse. Une larme s'échappe de mes yeux, ruisselant sur le corps de Matthew qui le sentant, me caresse les cheveux pour m'apaiser en déposant un délicat baiser sur mon front.
- Fais de beaux rêves, ma belle.
L'obscurité m'encerclant, je me sens glisser doucement vers le sommeil.
Lorsque mes yeux s'ouvrent, des rayons lumineux épars viennent éclairer des points étroits et précis de la pièce. Matthew est encore endormi, j'en profite pour l'observer un peu. Il est mignon comme ça, sur le côté, face à moi. Ses paupières fermées lui donnent un air candide, bien loin de sa nymphomanie maladive. Un souffle d'air s'échappe de ses lèvres. D'ordinaire, les petits bruits de ronflement m'insupportent, mais les siens sont croquignolets. Quelques mèches de cheveux retombent sur l'oreiller, là où une de ses mains enfoncent le tissu douillet tandis que l'autre est posée sur mon ventre. Le voir avec cet air si angélique me coupe le souffle et me ferait presque oublier son visage devenu glacial après mon refus d'aller plus loin hier soir ; néanmoins, il s'est montré plus compréhensif, par la suite. Je reste encore quelques secondes à le détailler, puis, je m'extirpe avec douceur du lit, récupérant mes vêtements éparpillés sur le sol avant de quitter la pièce.
Fanny n'est pas encore de retour et ce n'est franchement pas surprenant. Mais une part de moi s'en réjouit, j'aurais eu du mal à masquer ma gêne si elle s'était retrouvée nez à nez avec Matthew. Je commence à préparer un petit déjeuné à la hauteur de celui qu'il m'a concocté lorsqu'il m'a sauvé de ce pervers au Alighting Club. Tout en battant mes oeufs, je me remémore cette soirée. Il ne me connaissait pas, mais il m'avait sauvé. Mon mystérieux sauveur. Ce souvenir me fait sourire. Je n'avais aucune idée de son identité, et pourtant il m'a chamboulée à la seconde même où j'ai croisé son regard. J'ai été séduite par la force de ses bras lorsqu'il m'a tenu, charmée par son odeur de miel et mélangée aux effluves de whisky qui s'échappaient d'entre ses lèvres. Enfin, j'ai été conquise par la particularité de ses lèvres que je continue encore d'admirer.
Alors que je sors la dernière fournée de petits gâteaux du four, Matthew franchit le seuil de la porte en se frottant les yeux, seulement vêtu de son caleçon. Je ne peux m'empêcher d'observer le pansement sur son torse qui a rougit dans la nuit, je vais devoir lui changer rapidement. Sa blessure n'enlève rien à sa musculature imposante et avant que je ne m'en aperçoive véritablement, je suis outrageusement entrain de le détailler dans ma cuisine. En voyant ses lèvres s'étirer, un air narquois collé dessus, je comprends qu'il s'en est rendu compte et prend un malin plaisir à s'exhiber. Je suis cramoisie. Tentant de reprendre le contrôle de mes pensées, je me racle la gorge avant de prendre la parole.
- J'ai préparé pleins de gâteaux. Café ?
- Avec plaisir !
Il prend place sur le tabouret du bar séparant ma cuisine ouverte du séjour et attend sa tasse appuyant son visage malicieux dans sa main droite et tapotant les doigts de son autre main sur le comptoir, tel un enfant impatient. Ce comportement machiste me fait soudain sourire. Matthew me déstabilise vraiment. Ce que je déteste d'ordinaire, je l'adore chez lui.
Pendant qu'il mange avec avidité les petits gâteaux chocolatés en buvant le nectar noir, je me saisis du désinfectant et d'un large pansement dans la salle de bain avant de retourner près de lui. La plaie n'est pas aussi profonde que ce que je pensais ; bien évidement, sa blessure s'accompagnera de soins, et sûrement de points de suture, s'il se décide à aller à l'hôpital, mais l'agression qu'il a subit est plus grave que la blessure qui en a suivi.
Alors que je m'apprête à poser le pansement, agenouillée devant Matthew qui semble très visiblement satisfait de cette vision à en juger par la bosse formée sous son caleçon, j'entends la porte d'entrée s'ouvrir. Fanny dans l'embrasure a un sourire jovial plaqué sur les lèvres qui s'estompe instantanément lorsqu'elle voit Matthew, et moi de dos à genoux devant lui. Sorti de son contexte, cette situation est embarrassante.
- Je ... Euh ... Peux repasser ... Euh ...
- Non, tout va bien, entre Fanny.
Elle referme la porte d'entrée et semble un peu gênée, bien que je la vois rougir en apercevant la tenue révélatrice de Matthew. Je ne pense pas qu'elle puisse être plus embarrassée que moi.
- Je dois aller jeter un coup d'oeil sur, euh ... Un truc ... Dans la chambre ! Oui, voilà, je dois voir un truc dans la chambre !
Elle se précipite dans la chambre, bafouillant un « au revoir » maladroit à Matthew, et nous ne pouvons nous empêcher de pouffer après avoir assisté à cette scène.
- Je vais y aller, je ne veux pas perturber ta charmante soeur plus longtemps, me dit-il ajoutant un clin d'oeil entendu.
- Bats les pattes, il s'agit de ma soeur !
- Je blaguais, Princesse ! S'esclaffe t'il.
Il récupère ses affaires éparpillées dans la chambre, se rhabille et me regarde dans les yeux. Il approche doucement son visage du mien. Mon coeur bat la chamade en pensant au baiser qu'il va me donner. Au lieu de cela, il chuchote au creux de mon oreille.
- Je peux avoir mes clés de voiture ?
Puis, il recule, satisfait de l'effet qu'il vient de faire. Je lève les yeux au ciel en guise de réponse et attrape les clés posées près de l'entrée avant de les lui rendre. Hier je l'ai repoussé et aujourd'hui je prie pour qu'il m'embrasse, qu'est ce qui cloche chez moi ?
- Il y a un détecteur, quand tu arriveras près de la porte du garage, elle s'ouvrira toute seule.
- Au moins un peu de modernité dans le coin ...
Je lui lance un regard noir en pensant à voix haute « salaud », ce qui le fait rire. Je sais qu'il est sarcastique, comme si les quartiers chics de New-York manquaient de modernité. Je l'accompagne jusque la porte de l'appartement, alors qu'il commence à partir, il fait volte-face.
- Oh ! J'allais oublier !
Il m'attrape brusquement et m'embrasse avec fougue. Je suis sous l'effet de surprise le plus total ! Quand il me lâche, il me lance un sourire charmeur, s'éloignant dans le couloir en marche arrière.
- Quand tu auras oublié l'abruti d'hier soir, je serai là. Sache que je suis tenace, Princesse.
Puis il disparaît à l'angle du mur. Je referme la porte et m'y appuie pour reprendre mon souffle. Même lorsque je ne suis pas au mieux de ma forme, Matthew vient à mon secours toujours d'une façon ou d'un autre.
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