Chapitre XI
Alors que nous sommes plongés dans le dossier, je vois mon portable vibrer sur la table de réunion faisant un bruit assourdissant et agaçant dans le même temps. C'est Laura qui me demande si on déjeune toujours ensemble parce qu'elle et son bébé ont faim à présent. Il est déjà treize-heures trente ! C'est vrai que maintenant que je m'en aperçois, mon estomac crie famine.
- Harry, cela ne vous dérange pas si je vais déjeuner ?
Il lève ses deux iris chocolatées de ses feuilles, un crayon à papier entre les dents, il ne semble pas avoir vu le temps s'écouler lui non plus, mais à le voir ainsi, surpris et entrain de mordre ce fichu crayon, le temps pourrait s'arrêter que cela ne me dérangerai pas ! Il est si beau, et mes pensées sont déjà entrain de bifurquer sur des chemins beaucoup moins professionnels si bien que je doit me faire violence pour me ressaisir.
- Vous ne devriez même pas me demander l'autorisation, Eden, je vais faire une pause et manger rapidement un sandwich. Vous pensez être revenue dans combien de temps ?
- Je dirais d'ici moins d'une heure.
- Parfait, à tout à l'heure, Eden.
J'ai l'impression qu'il met systématiquement un point d'honneur à prononcer mon prénom. Est-ce parce que cela lui rappel l'histoire biblique du commencement de l'humanité entre Adam et Eve dans le jardin d'éden qui ont gouté au fruit défendu ? Je me mets à penser que j'aimerais qu'il goute au fameux fruit défendu ...
Je sors de la salle de réunion pour récupérer mon sac à main avant de rejoindre Laura dans le hall, toujours plongée dans mes pensées les plus inavouables concernant Harry.
- Enfin ! J'ai cru que j'allais mourir de faim sur place !
- Désolée, je travaillais avec Harry et on a pas vu l'heure tourner.
- Tu travaillais avec Harry ? Hum hum ... Tu m'en diras tant !
Elle a une lueur espiègle dans le regard lorsqu'elle prononce cette phrase en croisant les bras sur sa poitrine, comme si elle attend que je lui en dise d'avantage. Pendant que nous papotons, nous commençons à nous rendre dans un petit restaurant indien proche du cabinet.
- Et bien oui, nous travaillions, tu te souviens que c'est mon patron et que nous avons un dossier à boucler aujourd'hui puisqu'un voyage d'affaire en France est prévu pour demain ? Donc, tu vois que tu te fais des films.
Elle se met à rire avant d'adopter une attitude plus sérieuse. Ses sautes d'humeur me surprennent à chaque fois.
- Puisque tu parles de ce voyage, il va falloir que nous parlions ...
- Je crains le pire avec toi !
Nous nous prenons d'un interminable fou rire. Elle ne peut poursuivre puisque le serveur vient nous interrompre afin de prendre notre commande. J'ai envie de manger un curry de dinde au lait de coco, et Laura commande un poulet tika massala accompagné d'une sauce à la menthe. Les envies de femmes enceintes demeureront un mystère pour moi !
- Ne pense pas que je vais m'arrêter en si bon chemin. Reprit-elle en me pointant du doigt. Tu m'as confié qu'Harry te plaisait, et vu la tête que tu as fait en entrant ce matin au cabinet, ton rendez-vous d'hier a dû virer au cauchemar.
C'est peu de le dire ... Je fais une moue approbatrice qui signifie que je ne veux pas en parler pour l'instant, alors Laura reprend aussitôt.
- Toujours est-il que tu es toujours libre, et tu pars dans un pays connu pour son romantisme avec un homme qui te fait craquer, saute sur l'occasion !
- C'est un voyage d'affaire ...
- Tu crois vraiment que vous allez travailler tout le temps ? Vous partez quoi, deux jours ?
- Non, trois jours, le retour est prévu pour jeudi, on s'est laissé une marge de manoeuvre d'un jour pour convaincre le client de nous choisir pour exercer sa défense.
Elle se réjouie en tapant une fois dans ses mains et se jetant contre le dossier de sa chaise.
- C'est par-fait ! Alors tu vas ouvrir grand tes oreilles et faire ce que je te dis à la lettre près. Tu entends Eden ? A la lettre près !
C'est incroyable. Fanny n'est pas là, mais c'est tout comme. Laura se comporte comme elle avec moi, elle a rapidement compris qu'il me faut de l'aide, me pousser à faire les choses en matière d'homme. Aussi, je demeure silencieuse et attentive aux conseils que Laura s'apprête à me donner.
- Tu prends avec toi toute la lingerie fine qui se trouve dans tes placards, tu oublies tout les pyjamas molletonnés et tu privilégies les nuisettes en soie. Tu prends des tenues sexy mais pas vulgaires.
Elle marque une pause quand le serveur nous apporte nos plats, je peux voir qu'il rougit et sourit faiblement, il a dû entendre les dernières paroles de Laura, c'est évident puisqu'il n'ose même pas se risquer à lever un oeil vers nos visage, il est gêné. Je fais les gros yeux à Laura pour qu'elle se taise un instant pour ne pas embarrasser d'avantage ce jeune homme et elle lève les yeux au ciel. Quand il s'éloigne enfin de la table, elle reprend activement avant que je ne la coupe.
- Tu bombes le torse, tu cambres les reins et roules des hanches, surtout s'il est derrière toi ! Harry est un homme compliqué, il ne sait pas ce qu'il veut, il faut que tu le lui montres. Tu dois prendre le taureau par les cornes, je te l'ai déjà dis, me répète t-elle en enfournant une fourchette pleine de poulet.
J'ai l'impression de partir en mission commando avec les instructions de Laura, je me moque gentiment d'elle.
- À vos ordres mon commandant ! Dis-je en faisant le salut militaire de ma main droite. Je mettrai vos instructions à exécution !
Elle rit devant ma pathétique imitation et avale une autre fourchette de poulet. Je la vois fermer les yeux, elle semble s'en délecter, alors que son poulet a une sauce étrange à la menthe par dessus les épices indiens. Je me demande comment elle réagira en reprenant ce plat après la naissance de sa fille. Peut-être qu'elle comprendra ma grimace à l'énoncé de sa commande.
- J'ai entendu des bruits de couloir ce matin ...
- Ah, tu as des ragots sur qui aujourd'hui ? Tu es au courant de tout toi, à la réception !
Laura rit nerveusement avant de reprendre.
- Ça te concerne en fait. Il s'est passé quelque chose avec Clemence ?
À force de me raconter comment faire pour séduire Harry durant ce voyage, la dispute avec la vipère du quatorzième m'est complètement sortie de l'esprit.
- Effectivement.
Voyant mon silence, elle me fait de grands yeux et un moulinet de la main pour me faire comprendre de continuer.
- Elle m'a interpellé dans le hall de l'étage pour me dire que je faisais dans la promotion canapé puisqu'à peine arrivée je devais traiter un gros dossier. Elle m'a reproché de marcher sur ses plates-bandes vis-à-vis d'Harry, et m'a garantie qu'elle ne serait pas reléguée au second plan parce qu'elle comptait m'écraser comme un moucheron.
Je fais une imitation grotesque de Clemence en roulant des yeux et en faisant de grands gestes avec les bras, si bien que Laura manque sa bouche avec sa fourchette, son morceau de poulet retomba dans l'assiette, provoquant des éclaboussures de sauce à la menthe. Heureusement que sa robe est noire, sinon elle aurait due courir se changer, au lieu de ça, elle se contente d'éponger les taches vertes à l'aide de sa serviette.
- Et tu t'es laissée faire ?
- Tu penses ! J'ai haussé le ton, et Harry nous a interrompu.
- Harry ?
- Oui. Et il m'a donné raison ! Tu n'imagines pas la sensation que j'ai ressenti lorsqu'elle est sortie de son bureau après s'être prise un savon. Elle m'a fusillé du regard, mais elle ne pouvait rien dire ! C'était vraiment jouissif.
Laura me regarde en silence, son regard alterne lentement entre son assiette et moi. Elle est pensive et soupire.
- Elle se sent menacée par toi. À chaque fois qu'une jolie fille arrive à son étage, elle s'arrange pour faire comprendre qu'elle a tout les pouvoirs en main, et la rabaisser pour s'attirer les faveurs d'Harry.
Je ne savais pas que Clemence se comportait comme ça avec toutes les nouvelles. Quel accueil chaleureux ! Mais je ne peux que donner raison à mon amie ... Clemence tourne autour d'Harry, c'est indéniable. Mais a-il déjà cédé ? Je ne tiens plus avec cette question qui me brule les lèvres, je dois savoir.
- Dis moi, tu sais si elle et Harry on déjà eu, disons ... Une relation ?
Je la vois réfléchir quelques instants, elle fouille dans sa mémoire à la recherche de souvenirs à ce sujet.
- Je ne pense pas ... Il y a bien eu des rumeurs, mais rien de bien fondé, tout se basait sur le fait qu'elle s'intéresse à lui, rien de plus.
J'incline doucement la tête, pensive. La confession de Laura me met du baume au coeur, peut-être que cette attirance n'est pas réciproque ?
- Tant que j'y pense, que comptes-tu mettre pour le cocktail ?
- De quel cocktail tu me parles ?
Laura me regarde avec de grands yeux ébahis si bien que j'ai l'impression d'être un extraterrestre.
- Je te parle du cocktail annuel du cabinet !
La photo que j'ai trouvé sur internet le jour de mon entretien sur laquelle Clemence était accrochée au bras d'Harry me revient en mémoire. La légende parlait de ce fameux cocktail.
- J'en ai vaguement entendu parler ... Mais quand est-ce ?
Laura se fait désapprobatrice.
- Eden, tu me surprendras toujours ... C'est samedi voyons !
Samedi ? Je vais devoir faire du shopping parce que je n'ai aucune tenue de gala pour cette soirée.
- Moi qui pensais que ma nouvelle amie Clemence allait me tenir au courant de toutes ces mondanités ... Ironisé-je, ce qui ne manque pas de faire rire Laure.
Nous finissons le repas en parlant de la tenue qu'elle a choisi pour ce gala, ainsi que celle de son mari qui se doit d'être accordée à la sienne.
Vers dix-huit heures trente, Harry et mois avons terminés le dossier, il est prêt à être présenté au client.
- Bien, Eden, je pense que nous avons fais du bon travail, et je vous fais confiance pour parvenir à convaincre Monsieur Starling lors de la présentation.
Je ne sais pas si c'est parce qu'il tend à devenir mon supérieur et qu'une telle remarque est gratifiante, ou si c'est parce qu'il s'agit simplement d'Harry, mais cela me touche particulièrement. Je me sens rougir.
- Vous devriez rentrer préparer vos affaires, l'avion est prévu pour onze heures. Je vous enverrai un message ce soir pour déterminer le lieu et l'heure de rendez-vous.
- Mais, vous avez mon numéro, Harry ?
Lorsque je prononce son prénom, je peux distinguer ses lèvres s'étirer imperceptiblement.
- Votre curriculum, Eden.
- Oh.
Je me sens bête. Comment ai-je pu oublier que mon numéro y figure ? J'ai le regard fuyant désormais, et Harry semble s'en amuser un peu.
- Rentrez vous occuper de votre chien et vous reposer.
Il commence à rassembler les derniers documents qui sont encore présents sur la large table de réunion. Je me lève pour l'aider. Lorsque je lui tend une de mes notes alors que je regarde la prochaine feuille que je m'apprête à attraper pour la lui tendre, je sens qu'il me fixe. Les poils de ma peau se hérissent. Je tourne lentement la tête dans sa direction pour m'assurer de la réalité de la situation, et à en croire son regard, je ne suis pas la seule a avoir ressenti cette forme de courant électrique. Je me sens devenir encore plus rouge, et je mords ma lèvre de gêne. Je peux voir Harry fixer les contours de ma bouche. L'atmosphère se charge de tension dans ce bureau qui me parait soudain trop étroit. Je suffoque, j'ai besoin d'air avant de faire une bêtise.
- Je ... À demain alors, Harry.
Je sors rapidement de cet espace clos, presque en courant. Je me précipite à l'extérieur du bâtiment, Laura est déjà partie.
En arrivant à mon appartement, je me change et, je prends la direction de Central Park avec Chaussette pour faire notre jogging permettant l'extériorisation de l'accumulation des émotions que je ressens. Cela devenaient presque une habitude depuis que je suis arrivée ici, moi qui ne suis pas très fan d'endurance ! Je cours tellement ces derniers temps que je vois mes muscles se raffermirent considérablement lorsque je me regarde dans le miroir de la salle de bain, avant de prendre ma douche.
Je me doute que Chaussette ne fera pas de course avec Stephanie lorsqu'elle viendra s'occuper de lui durant mon absence, alors cela lui fait du bien de se défouler un peu maintenant.
Je fais un rapide bilan sur ma vie depuis que j'ai mis les pieds dans la Grande Pomme. C'est décidément une vie à cent à l'heure que je vis, je suis un peu nostalgique du calme de ma vie californienne. Mais que m'arrive-il ? Je ne fréquente que peu d'hommes, et voilà qu'aujourd'hui je me sens attirée par deux personnes en même temps ? Cela ne me ressemble pas du tout.
En rentrant, je prends mon téléphone et compose le numéro de mes parents. Après quelques sonneries, je peux entendre la voix de mon frère.
- Bonjour, Eden.
- Ah, Mayson ! Si tu savais comme ça me fait plaisir de t'entendre.
- Moi aussi. Comment vas-tu ?
Son sourire se fait ressentir dans le son de sa voix. À vrai dire, il sourit toujours lorsqu'il me parle.
- Tout va pour le mieux, je reviens d'un jogging avec Chaussette.
- Tu cours ?
- Ça m'arrive, oui.
Si tu savais comme j'ai besoin de cette extériorisation, Mayson ...
- Et je pars en voyage d'affaire en France, demain.
- Je suis content pour toi, Eden ! Toi qui voulais y retourner, en voilà une occasion.
Mayson est tout enjoué à cette perspective.
- Oui, j'ai hâte aussi. Il n'y a que toi à la maison ?
- Oui, les parents sont partis faire les courses, et Fanny est sortie voir des amies pour faire du shopping, je crois ... Enfin, tu les connais.
Je me mets à rire. Oui je les connais. Mayson va donc passer un long moment seul.
- J'aimerais vous rendre visite bientôt.
- Ce serait bien, ça nous ferait plaisir de te voir un peu. Mais dis-moi, aurais-tu le cafard ?
Je sens une boule se former dans ma gorge. Je sens que je vais avoir du mal à parler.
- Oui ... Vous me manquez.
- Tu nous manques aussi.
J'observe Chaussette sauter dans la direction de sa boite à croquettes, monsieur a faim !
- Je te laisse, après l'effort, Chaussette demande le réconfort ! Embrasse tout le monde pour moi.
- Ce sera fait. Fais une caresse à ton chien pour moi. Je t'aime, Edye.
- Moi aussi, May.
Trois sonneries retentirent avant que je ne décide de raccrocher. Je sers un bol de croquettes à Chaussette ainsi qu'un peu d'eau avant de me réfugier sous la douche. Quelques larmes roulent sur mes joues avant d'être emportées par le flot de l'eau chaude jaillissant du pommeau. En sortant de la salle de bain, j'éteins les lumières et me cache directement sous mes couvertures.
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