Chapitre VI
Je sens des rayons solaires me réchauffer. À en juger par la chaleur qu'ils me procurent, je pourrais mettre ma main à couper en affirmant qu'il est midi. Je m'étire dans mon lit en ouvrant doucement les yeux. Tout est flou autour de moi, j'ai encore les yeux collés, « les joies de la gueule de bois » me dis-je intérieurement en riant. J'ai l'impression qu'un orchestre symphonique est entrain d'interpréter The Bee de Franz Schubert dans ma tête comme si c'était le Lincoln Center. Ça me donne la sensation que mon crâne gonfle au point qu'il va en exploser. J'ai quand même bien fait d'écouter Fanny, cette soirée m'a vidé la tête. Je me souviens également de cet inconnu qui a posé ses horribles mains sur moi, essayant de m'embrasser, et je frémis de dégout. Je commence également à me souvenir de deux beaux yeux bleus qui m'ont sorti de cette horrible situation. Mais comment suis-je rentrée déjà ?
Lorsque mes paupières se décollent enfin, je ne parviens pas à savoir où je me trouve et je me sens un peu paniquée. Le lit est grand. Très grand. Trop grand. La pièce baigne d'une lumière incandescante qui passe à travers une rangée d'innombrables fenêtres longeant le mur. Les couleurs sont chatoyantes, dans les tons beiges et marrons clairs. La pièce est vraiment immense, et un long tapis blanc couvre la majorité du sol en parquet en chêne. C'est magnifique, un vrai château. L'espace d'un instant, je m'imagine que l'inconnu m'a finalement ramené chez lui, et qu'il a profité de mon état de faiblesse ... Non, je suis encore habillée. J'ai peur et je me sens devenir moite. Fébrile, je mets un pied au sol, et attrape mes Louboutin. Je préfère les garder à la main, les enfiler ferait trop de bruit et je veux fuir.
En passant près de la fenêtre, je jette un rapide coup d'oeil à l'extérieur. Vraisemblablement, je me trouve à l'étage. Un grand jardin vert s'étend à l'horizon, et à en juger par l'inclinaison du soleil, il doit être dix heures. Heureusement que je n'ai pas pris le pari, je serais manchote à l'heure actuelle. Le paysage est à couper le souffle. Une large piscine se trouve au pied de la bâtisse, mais je n'en vois pas le bout et des bains de soleils se trouvent tout autour.
Je parviens à distinguer une serviette sur l'un d'entre eux. Puis, je vois une silhouette sortir doucement de l'eau. Mon sauveur ? Je devrais détourner le regard, mais je n'y parviens pas. C'est bien des tatouages que j'ai vu la veille, mais il en a plus que ce que je pensais. La plupart ne couvrent que l'avant-bras gauche, et un autre s'étend sur son épaule, s'étalant sur une partie de son torse et de son dos. Ils sont assez fins. Etonnamment, j'ai envie d'effleurer le contour de chacun d'eux en y passant délicatement mes doigts. Il expose de plus en plus son corps à ma vue à mesure qu'il sort de l'eau. Ses muscles sont parfaitement bien dessinés. Il passe ses mains sur ses cheveux pour les remettre en place, les ramenant à l'arrière. Mais il est ... nu ? Je vois ses fesses rebondies émerger de l'eau qui est encore entrain de ruisseler sur elles. Je me sens rougir. Je ne devrais pas rester là, à l'observer, mais il dégage une telle attraction ! Cela me pousse à le dévorer du regard comme la gravité me maintien au sol.
Il se met à marcher de dos en direction du bain de soleil où se trouve la serviette, et la noue autour des hanches après s'être essuyé les cheveux. Il se tourne et lève son regard dans ma direction. Merde, il m'a vu ! Il a beau être à plusieurs mètres, je vois très clairement qu'il affiche un large sourire satisfait. Je me cache rapidement derrière le rideau et je me sens ridicule. J'ai l'impression d'être une adolescente aux hormones en ébullition. Je sors de la chambre dans laquelle j'ai dormi et me mets en quête des escaliers. Le couloir qui y mène est très lumineux ; c'est dû à la verrière qui le surplombe. Je n'ai jamais vu un couloir avec une verrière, c'est fascinant. Je descends les marches quatre à quatre tout en regardant autour de moi, à la recherche d'une issue de secours, et je bute sur quelque chose. Non, quelqu'un.
- La vue de la chambre vous a t-elle comblée ?
Il arbore un sourire en coin ; un sourire charmeur et espiègle. J'aurais préféré qu'il ne fasse aucun commentaire, mais c'était visiblement trop espérer ... Je détourne alors rapidement son attention.
- Qu'est-ce que je fais ici ? Qui êtes-vous ?! Me mis-je à hurler en prenant des distances de sécurité. Ses abdominaux auraient bien pu m'écorcher un oeil.
- Vous avez accepté que je vous ramène et je vous ai tenu la portière pour que vous vous installiez dans ma « belle bagnole ». Commença t-il en appuyant sur les mots que j'avais utilisé la veille. Mais lorsque j'ai fais le tour pour prendre le volant et ainsi vous demander où vous habitiez, vous dormiez déjà.
Cela me revient maintenant, j'étais fatiguée, ivre et j'avais mal aux pieds ... Voilà donc la raison pour laquelle je ne parviens pas à me souvenir de la manière dont je suis rentrée. Premièrement, je ne suis pas rentrée chez moi, et deuxièmement, je me suis endormie dans sa voiture.
- Comme je vous l'ai dis, je ne suis pas un gentleman, mais je n'allais pas pour autant vous laisser sur le trottoir. Donc je vous ai installé dans l'une de mes chambres d'amis.
Je ne sais pas quoi dire. C'est vraiment gentil de sa part.
- Je vous remercie. Mais n'avez toujours pas répondu à ma première question, qui êtes-vous ?
Il incline sa tête et prend un air de cocker. C'est adorable.
- Je serai qui vous voulez.
- Et moi je suis la Vierge Marie, enchantée ! Sérieusement ?
J'essaye de faire preuve d'ironie, mais je suis terriblement mal à l'aise. C'est bien la première fois que je me trouve dans ce genre de situation. Je suis chez un homme que je ne connais pas après m'être endormie dans sa voiture et je viens tout juste d'être prise en flagrant délit entrain de le mater indélicatement au saut du lit. En plus, je dois avoir une mine affreuse. Instinctivement, je porte mes mains à mes cheveux pour essayer de les replacer. Mon mystérieux sauveur me sourit.
- Ne vous en faite pas, vous êtes ravissante au réveil. Matthew, et vous ?
Il me tend une main que je saisie. Elle est vraiment énorme ! Cela me fait penser à une patte d'ours, et ma main parait ridicule en comparaison, elle disparait intégralement dans sa paume.
- Eden.
- Pancakes ?
- Non, Eden.
Un véritable fou rire s'empare de lui et je me rends compte de ce que je viens de dire. Je ne peux m'empêcher de pousser un faible soupir en me tenant la tête entre les mains pour cacher mon sourire honteux.
Si c'est lui qui a fait les pancakes, je dois reconnaitre qu'ils sont délicieux, « il a dû les faire avant d'aller dans la piscine » me mis-je à me taquiner silencieusement. Le souvenir de son corps nu sortant de l'eau me revient en mémoire et je sens que je rougis à nouveau, embarrassée. Je dois me faire violence pour chasser cette agréable image de mon esprit et me concentrer sur la conversation. C'est tout de même particulièrement difficile puisqu'il ne porte rien d'autre que cette serviette blanche.
- Me permettriez-vous de vous tutoyer ? J'ai une sainte horreur de toutes ces formules de politesse.
- J'ai toujours entendu dire que les hommes qui ne sont pas des gentlemans se servent sans demander, serait-ce un mythe ? Dis-je, une pointe de moquerie dans la voix en l'interrogeant du regard.
- J'aime les provocations que tu me lances, c'est très audacieux et plaisant. On ne me provoque jamais.
Cela me laisse sans voix. Encore une fois, son honnêteté me scie, et je meurs d'envie d'écraser mes lèvres contre les siennes. Sa dernière phrase me laisse matière à réfléchir. Pourquoi on ne le provoquait jamais ? Il a des excès de colère ? Il me semble pourtant tout à fait normal ... Mais je n'ai pas l'occasion de lui poser la question qu'il se lève pour aller se vêtir et ainsi me raccompagner.
- À moins que tu préfères te rincer encore un peu l'oeil ?
Je me sens rougir, et ça le fait de nouveau sourire.
- Habille toi ! Dis-je en le fixant droit dans les yeux.
- Oh, Princesse me donne des ordres ?
- Oui, je donne des ordres. Et garde tes surnoms pour les filles que tu ramènes ici, je ne suis pas une de ces potiches.
- C'est vrai que tu n'es pas dans ma cuisine, actuellement.
Sur cette remarque arrogante, il tourne les talons, et monte les escaliers, en retirant la serviette pour la tenir à bout de bras. Cette situation l'amuse beaucoup, je l'entends rire depuis la chaise sur laquelle suis et je peste contre lui sans pour autant pouvoir détourner le regard.
Je ne connais cet homme que depuis peu, mais je me sens bien avec lui. Il est simple et accessible, je n'ai pas besoin de tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler, et le petit jeu du chat et de la souris auquel on s'adonne me plait beaucoup.
Maintenant que je suis seule, j'observe avec plus d'attention la maison dans laquelle je me trouve. C'est moderne et lumineux. La cuisine est entièrement équipée et en inox. De ma place, je peux voir le séjour. Une grande table de réception en verre se trouve au milieu de la pièce, elle a un pied qui représente une vigne qui a pris racine dans le sol. Des feuilles de vigne en fer de différentes tailles poussent autour des branches. Le détail est remarquable, un très beau travail, et je me demande qui est le designer. La table est entourée de fauteuils en daim marron. Un poêle à bois rond suspendu se trouve dans l'espace ovale du salon qui est originalement délimité puisqu'il faut descendre deux marches pour y accéder. Un long canapé qui épouse la rondeur des marches se trouve face à une télévision incurvée ; la plus grande qu'il m'ait été donné de voir jusqu'alors. Lorsque que je m'approche de la commode blanche laquée entourée de deux paniers en osier pour regarder les photos, Matthew m'interpelle.
- Je suis prêt, si tu veux que je te ramène ...
Je me tourne vers le son de sa voix si suave. Ses cheveux sont encore légèrement humides et emmêlés. Il et est vêtu d'un jean noir et d'un pull fin en col V d'un gris un peu mauve, cette couleur fait bien ressortir le bleu de ses yeux. Je ne suis pas sûre de vouloir rentrer, j'apprécie sa compagnie. Mais je n'ai pas le choix.
Nous sortons de son immense demeure dont la façade blanche immaculée révèle un style victorien. « Cette architecture est splendide » me dis-je. Depuis petite je suis conquise par les maisons de ce style, totalement admirative.
Nous marchons un peu sur du gravier, contournant une immense fontaine centrale ronde où nagent de nombreux poissons avant de s'arrêter devant plusieurs portes de garages. Il appuie sur un bouton, et une nouvelle voiture se révèle. Une Ferrari.
- Tu comptes me montrer combien de voitures différentes pour essayer de m'impressionner ?
- Oh, tu parles de ma petite 458 Italia ? Je pensais que ça te plairait de me regarder la conduite.
- Tu es bien trop présomptueux, dis-je en m'asseyant sur le siège passager. Et si j'avais envie de la conduire ?
- N'y comptes pas. Je tiens à la ramener en un seul morceaux.
- Elle a plus de chance de rester en un seul morceaux avec moi au volant.
Il se met à rire. Mais je ne flanche pas. Je me dis qu'en flattant son égo et en le provocant un peu, je devrais pouvoir parvenir à mes fins.
- S'il te plait, qui sait dans combien de temps j'aurai l'occasion de monter de nouveau dans un engin pareil ?
Je papillonne un peu des cils en terminant ma phrase et je le vois observer sa voiture d'un air triste, comme s'il s'apprêtait à lui dire au revoir avant de me tendre les clés, arborant un sourire malicieux. Alors que j'essaie de les lui prendre en m'extirpant du côté passager, il se colle à moi et me plaque contre la voiture. Il tient les clés au-dessus de ma tête et son visage se rapproche dangereusement du mien et je vois des petites flammes danser dans ses yeux.
- Si tu lui fais une seule égratignure, je te ramène ici et fais ce que je veux de toi. Alors, marché conclu ?
Cette proximité et le marché qu'il venait de me proposer me fait complètement perdre la tête. Mais il est absolument hors de question que je le laisse faire de moi ce qu'il veut. Et puis, je sais d'avance qu'elle n'aura pas une trace avec moi au volant. Avec un large sourire encore plus provocateur, et me hissant sur la pointe des pieds pour lui prendre la petite pièce métallique, je lui chuchote presque dans un murmure : « marché conclu. ». Intérieurement, je me dis que j'aimerai bien qu'un arbre se trouve sur ma route ...
Je vois une pointe d'excitation naitre dans son regard. Mais ce qu'il ne sait pas c'est que j'ai fais de nombreux stages de pilotage de voiture de course, et lorsque je me place derrière le volant, faisant crisser les pneus sur le gravier avant de me diriger en trombe vers la route, je vois Matthew changer littéralement d'expression en observant la rapidité avec laquelle je passe mes rapports. Il semble surpris, mais je vois rapidement qu'il est déçu lorsqu'il croise ses bras sur son torse. J'aime la sensation de la vitesse, cela fait jaillir en moi une adrénaline dont je ne me lasse jamais. Cela me fait du bien de me remettre derrière un volant, ma petite voiture ne me permet pas de prendre autant de vitesse.
- Où as-tu appris à conduire comme ça ?
- Des cours de pilotage. J'étais la meilleure.
- Pourquoi ne pas m'en avoir informé avant de prendre le volant ? Me demande t-il, visiblement agacé par mes facultés de conduite.
Je tourne la tête pour lui répondre en le regardant brièvement.
- J'aime relever des défis moi aussi. Tu aurais préféré que j'écorche ta « belle bagnole » ?
Ses yeux expriment de l'intérêt mais il se tait et ne détourne pas son regard de moi durant tout le trajet. En arrivant dans ma rue, je vois les voisins se placer devant leurs fenêtres afin de déterminer d'où provient l'agréable vrombissement émanant du moteur de la Ferrari.Je me tourne vers le siège passager.
- Je voudrais te remercier.
- Pour t'avoir laissé conduire ma voiture ?
- Non, de m'avoir sauvé hier soir, et de ne pas avoir ... Profité de la situation quand tu m'as ramené chez toi.
Je lève de timides yeux en sa direction, tout en gardant la tête inclinée vers les sièges. Je le regarde un peu par en dessous pour évaluer l'impact de mes paroles sur lui, j'ai l'impression de lui avoir annoncé la révélation du siècle. Je suis provocatrice, certes, mais je sais aussi être reconnaissante. J'ouvre la portière en bredouillant un revoir, mais en la refermant, il est debout face à moi.
- Tout le plaisir est pour moi. On se reverra bientôt, Princesse.
Il prend ma main et dépose un pieux baiser sur son dos en m'adressant un clin d'œil. Puis, faisant des courbettes pour me faire rire, il disparait au coin de la rue sous les regards admiratifs et envieux de plusieurs passants.
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