Chapitre V

Le reste de la journée s'est déroulé calmement en comparaison avec la matinée. Vers midi, je rentre chez moi sortir et nourrir Chaussette. Entre le déménagement et le fait de le laisser seul une partie de la journée, je pensais qu'il aurait quelques difficultés d'adaptation, mais non, rien de cela. Tout au contraire, je ne l'ai jamais vu aussi détendu et calme.

En enfournant une bouchée de spaghettis que je viens de me préparer, j'étudie consciencieusement le contrat et repère quelques points à renégocier même si aucune clause ne me parait abusive. Seulement l'article 31 relatif aux voyages d'affaires, et surtout son deuxième alinéa, retient mon attention.

Je retourne au cabinet pour continuer de travailler sur le dossier qu'Harry m'a confié le matin même, et à dix-sept heures quarante-cinq, je me dirige vers sa porte avant de toquer doucement.

- Hum ... Entrez.

Harry a le nez plongé dans un dossier, un Code pénal ouvert à côté de sa main alors qu'il est à peine éclairé par la lumière de l'écran de son ordinateur. En cet instant, il porte des lunettes noires qui structurent son visage. Il doit être tellement concentré qu'il n'a pas dû voir que son bureau s'est obscurcit.

- Je vous dérange ? Je peux repasser plus tard.

Alors que je m'apprête à fermer la porte et ainsi partir, il m'arrête.

- Eden ! Vous ne me dérangez pas du tout, c'est même moi qui vous ai dis, ce matin, de venir à la moindre question, entrez.

Je jauge son comportement. Il retire ses lunettes qu'il pose rapidement sur son Code pour maintenir le livre ouvert. Il se recule dans son fauteuil, croisant les bras et faisant chevaucher sa jambe gauche que celle de droite. J'entre finalement en prenant soin de bien refermer la porte et prends position sur le fauteuil en face de lui.

- C'est au sujet du contrat ?

- Oui. Pour dire vrai, j'ai une question.

Je prends le feuillet, et tourne les pages afin de retrouver celle où se trouve la clause que j'ai mise en fluo, puis, je tends le document à Harry.

- De prime abord, je voudrais savoir quelle peut-être la durée maximale d'un voyage d'affaire organisé par le Cabinet ?

- Le plus long séjour fut de deux mois, si ma mémoire ne me joue pas des tours.

Cela risque de devenir compliqué, je ne peux laisser Chaussette qu'un week end sans moi, passé le troisième jour, il tombe en dépression. Je ne sais pas vraiment comment amener ma requête tout en montrant que je me sens véritablement investie dans ce nouveau travail.

- Pour être honnête, j'ai un animal de compagnie ... Un chien. Et je ne peux pas le laisser seul plus d'un week-end ...

- Je comprends tout à fait. Dans l'hypothèse où votre voyage excèderait quarante-huit heures, un billet supplémentaire sera prévu pour votre animal, ainsi qu'un hôtel acceptant sa présence.

Devant ma surprise, Harry m'adresse un clin d'oeil en ajoutant, presque dans un murmure.

- Vous n'êtes pas la première à me faire cette demande, Clemence en a déjà fait la demande pour son Yorkshire.

Ah, Clemence ...

J'esquisse un sourire faussement enjoué a l'évocation du prénom de cette vipère, même si pour cette fois, elle m'a été utile.

- C'était là votre seule requête ?

Je réfléchis un bref instant, mais plus rien ne me semble intéressant à négocier. C'est un contrat en bonne et due forme. J'appose ma signature et Harry me somme de rentrer.  Au moment où ma main se pose sur la poignée de la porte, la voix d'Harry s'élève dans mon dos.

- Eden, puisque nous allons être amenés à travailler ensemble, il est essentiel que nous apprenions à nous connaitre. Accepteriez-vous d'aller prendre un verre lundi soir, après le travail ?

Je suis prise au dépourvue. Si je m'attendais à ce que mon futur supérieur me propose un rendez-vous ... Mais ce n'est pas un rendez-vous, c'est purement professionnel. Et comme à chaque fois qu'il me déstabilise de cette manière, je sens que je perds tous mes moyens et balbutie une vague réponse.

- Bien-sûr. Lundi soir. Bonne soirée.

Lorsque les portes de l'ascenseur se referment sur moi, je ne peux m'empêcher de sourire à nouveau.


En arrivant à mon domicile, je m'habille pour aller à Central Park et attrape la laisse de Chaussette. Sur le chemin, nous avons croisé un Starbucks Coffee, je n'ai pas eu le temps de boire mon café en rentrant, Chaussette était bien trop pressé. Je commande un Gingerbread Latte avec supplément de chantilly que je déguste en m'asseyant sur un banc du parc.

Pendant que Chaussette virevolte dans tous les sens et qu'il s'arrête par moment pour sentir les brindilles qui tombent des arbres, je me mets à penser à la proposition d'Harry.

A-t-il invité tous les membres du cabinet à boire un verre pour faire connaissance ? J'ai beaucoup de mal à imaginer Harry dans un bar entrain de demander à Greg de lui parler de son enfance. Est-ce qu'il a déjà invité Clemence ? A cette pensée, je sens de nouveaux mon cœur se serrer et une pointe d'agacement naître en moi. Pourquoi est-ce que j'éprouve de la jalousie ? Je connais à peine Harry et rien dans la scène vécue entre eux aujourd'hui ne peux me laisser penser qu'ils puissent être ensemble. Mais il est évident que Mademoiselle Chesterfield en meurt d'envie. Je l'ai vu quelques secondes à peine, et j'ai déjà pu comprendre son mode de fonctionnement. Elle est mielleuse et douce devant Harry, mais une fois parti, elle reprend son vrai visage, celui de la méchanceté accompagné de ses petits airs supérieurs. Une vipère, en somme.

Mes réflexions sont interrompues par les vibrations de mon téléphone m'annonçant l'arrivée d'un nouveau message. C'est Steph :

« Avant d'aller au Alighting Club, on va diner au Theater Diner. Viens pour vingt et une heure. XO ».

Je consulte rapidement l'heure. Il est dix-neuf heures trente. Si Chaussette et moi ne partons pas sur le champ, je vais être en retard, et je ne tiens pas à m'attirer les foudres de mon amie le jour où elle célèbre ses fiançailles.

A neuf heures moins dix, je parviens à monter dans un taxi après les avoir hélé une bonne dizaine de minutes durant. Ignorant le quartier dans lequel se trouve le restaurant, je me contente de donner au chauffeur à la moustache surdéveloppée le nom de ce dernier. Lorsque le taxi s'arrête devant le Theater Diner, je peux détailler l'enseigne lumineuse où est écrit, dans une calligraphie ancienne et raffinée, le nom du restaurant suivi de trois étoiles.  Je descends avec prudence du véhicule, devant tenir ma minuscule robe pour qu'elle ne remonte pas. J'ai l'impression que ma tenue est totalement inappropriée pour ce genre des restaurant.

En sortant du Cabinet, je me suis arrêtée dans une des boutiques que j'ai repéré hier. Lorsque je suis entrée, de nombreuses marques de créateurs y étaient représentées, et des styles très différents étaient affichés. Autant dire que tout le monde peut y trouver son bonheur. Flânant dans les rayons, je me suis arrêtée sur une petite robe Valentino, très près du corps, noire, et plutôt courte. Elle n'a pas de manche, seulement d'épaisses bretelles, et un décolleté plongeant qui laisse voir une partie de ma généreuse poitrine. J'ai ajouté des Louboutins noires et une pochette corail que j'avais déjà. Ma tenue respire le monde juridique : des couleurs sobres et chics. Mais cela ne me dérange pas, je me suis toujours dis que le noir amincissait. J'ai bouclé mes cheveux dans lesquels j'ai ensuite fait glisser mes doigts pour rendre les boucles plus floues, plus naturelles. Sous ma fine et courte mèche, mon regard a été accentué par un smoky eyes travaillé à la perfection.

- Beh dis donc, Edye, tu m'épates ! Me dit Steph en me prenant dans ses bras tandis que je la remercie chaleureusement, avant de lui retourner le compliment.

Je m'approche ensuite de Jamie pour lui adresser mes félicitations. Ils sont ravissants tous les deux, et très sophistiqués. Stephanie a fait un brushing à ses cheveux bruns coiffés au carré qui retombent sur ses épaules. Elle a mis une jupe courte avec un haut dos nu à paillettes dorées. Jamie, quant à lui, a choisi de mettre une chemise blanche entrouverte avec un jean gris. Cela s'accorde parfaitement bien avec ses cheveux cendrés et son regard bleuté. Une voix dans mon dos me fait sursauter.

- Bonsoir, je suis Gavin.

Je me retourne. Il n'est ni très grand, ni très musclé. Il a les cheveux blonds californiens bouclés et des yeux gris captivants. Même s'il est mignon, je ne parviens pas à le trouver beau. « Il est quelconque » me dis-je intérieurement. Il porte un costume décontracté bleu et une chemise rouge bordeaux. J'ajoute une note pour moi même concernant son problème de coordination des couleurs. Je ressens quelque chose d'étrange à ses côtés, il dégage un halo qui m'effraie un peu. Il s'avance pour m'embrasser, et je n'ai d'autres choix que de lui rendre ses salutations, sans chercher à m'y attarder. Je fais ensuite la connaissance de Laurene qui me dit rapidement de ne pas faire dans les formalités et de la tutoyer. Sans qu'elle ait besoin de se se présenter, je sais qu'il s'agit d'une amie d'enfance de Stephanie, elle m'a parlé d'elle durant de longues heures quand nous étions à Harvard. Stephanie est une véritable pipelette.

- Laurene, je suis ravie de faire ta connaissance, Stephanie m'a longuement parlé de toi. Dis-je en la gratifiant d'un sourire amical qu'elle me rend instantanément.

- Et moi donc, si tu savais le nombre d'heures que nous avons passé au téléphone durant lesquelles elle m'a fait tes éloges !

Nous éclatons de rire. Visiblement, il n'y a pas qu'avec moi que Stephanie est aussi bavarde.

- Je te présente Noah, mon petit ami.

Il est né pour faire du basket tellement il est grand. Il a une voix très grave, et une boucle d'oreille brillante à son lobe gauche. Il est vêtu d'un pantalon noir et d'un pull beige  col-V très moulant et dans une matière extrêmement fine. Je me sens incroyablement petite à côté de lui, j'ai l'impression d'être un hamster. Il lâche Laurene pour me saluer, et remet rapidement son bras autour de sa taille fine, comme s'il avait peur qu'elle ne s'envole.

Une fois les présentations faites, nous entrons dans le restaurant. La salle est lumineuse et très spacieuse avec un parquet gris anthracite et des murs blancs aux moulures anciennes. Des couverts en argent sont disposés sur les tables rondes drapées de nappes de mousseline blanches. Des compositions florales avec des fleurs d'orchidées blanches et roses se trouvent au centre de chaque table. Nous nous présentons au serveur en costume trois pièces qui nous fait signe de le suivre jusqu'à notre réservation.

Du coin de l'oeil, je peux voir Gavin guetter la place où je compte m'installer afin de se jeter sur celle à proximité. Cela me fait penser à une comédie, mais plus une comédie dramatique que comique compte tenu de la méfiance qu'il m'inspire. Je prie silencieusement pour que Laurene se saisisse de la chaise avant lui, mais mes espoirs sont rapidement anéantis.

Au début du repas, je me sens un peu ... De trop. Comme la cinquième roue du carrosse. Même si c'est compréhensible puisque je ne connais pas les personnes qui m'entourent alors qu'elles semblent se côtoyer depuis de nombreuses années. J'essaye tant bien que mal de prendre part aux conversations, mais lorsqu'il s'agit de personne dont je n'ai jamais entendu le nom ou de souvenirs d'enfance,  je peux difficilement faire part de mon point de vue.

Voyant ma solitude, Steph vient à ma rescousse, laissant les autres dans leurs conversations particulièrement animées.

- Alors Edye, qu'est ce que tu penses de Gavin ?

Je n'en reviens pas. Je pense que ma stupeur doit se lire sur mon visage puisque Steph se met à rire faiblement.

- Et bien, il est ... Gentil ? Quoiqu'un peu daltonien à en juger par l'association de couleur de son costume et sa chemise. Ça ne va pas du tout !

Cette fois ci, le rire de Stephanie est franc, et incontrôlé, si bien qu'elle se tient le ventre en reprenant son souffle avant d'essuyer la petite larme qui vient de lui couler du coin de l'oeil.

- Je te reconnais bien là ! Sa fiancée l'a planté devant l'hôtel l'an dernier, il s'en est difficilement remis, mais maintenant, il se sent près à retrouver l'amour, et je me suis dis que toi et lui, vous pouviez ...

- Steph, c'est adorable, mais non, pas Gavin.

Je coupe court à sa phrase. Son histoire est triste et on va bientôt sortir les violons mais je la voyais venir. Déjà que Fanny me tanne pour que je m'amuse, si Stephanie s'y met aussi, je ne m'en sortirai pas. Qui plus est, je ne suis pas franchement une adepte des rendez-vous arrangés.

- Essayes au moins de le connaitre un peu ... D'accord ?

Je hausse les épaules devant le regard suppliant de Stephanie. Comment pourrais-je dire non devant ces petits yeux adorables ? Et puis, parler simplement ne m'engage en rien.

De temps en temps, Gavin me pose des questions sur ma vie, toujours en gardant un certain degré de recul. Il est particulièrement précautionneux. Ainsi, à la fin du repas, il a pu apprendre que je suis née en France bien que j'ai grandis en Californie, même si je me sens davantage chez moi sur la Côte Est. C'est d'ailleurs bien pour cela que je suis venue y vivre avec Chaussette. Il a également appris que j'ai connue Steph à Harvard pendant nos études, et que je viens d'être embauchée au Cabinet H&H Crayton. En parlant de mon nouveau lieu de travail, il a fait une moue désagréable et est resté muet. A-t-il une dent contre les avocats ? Où est-ce juste contre ce Cabinet ?

Par politesse, je lui ai également posé quelques questions à son sujet. Il est né et a grandi au Canada, dans une petite ville québécoise, ce qui explique son accent. En ayant grandi au Québec, il a donc eu l'opportunité de devenir bilingue ; il parle couramment l'anglais et le français.  Voilà qui nous fait un point commun, même si je n'ai aucune envie que ce soit le cas. Il est venu vivre à New-York avec sa mère aux alentours de ses dix-huit ans. Son père les a abandonné un peu avant sa naissance. Mais lorsque je lui ai posé une question sur la cicatrice qu'il a sur l'avant bras, il s'est refermé instantanément et son regard s'est durcit.

- Je ne veux pas en parler, a t-il sèchement répondu.

Message reçu. Il m'effrayait déjà un peu, mais cette dernière remarque n'a fait que renforcer ce sentiment. À plus y regarder, il a des airs de gangster. « Un gangster mal habillé » me mis-je à ironiser pour essayer de me détendre.

Une fois le repas terminé, nous prenons des taxis pour se rendre au Alighting Club. Naturellement, je me retrouve dans le même véhicule que Gavin, seuls. Je suis loin d'être rassurée, et je ne veux plus lui dire un mot, mais il n'en va pas de même pour lui.

- Écoute, Eden, je suis désolé pour tout à l'heure. C'est juste que c'est un sujet délicat que je ... N'aime pas aborder, tu comprends ?

- Ce n'est pas un problème, Gavin, ne t'en fais pas.

Je n'ai même pas pris la peine de le regarder en prenant la parole. Je veux seulement sortir au plus vite de ce maudit taxi et prendre mes distances dans la boite de nuit.

Mon voeux est rapidement exaucé puisqu'au même instant, la voiture s'arrête pour nous laisser descendre. Ce n'est que maintenant que je m'aperçois que j'ai retenu mon souffle durant tout le trajet.

La devanture de la discothèque est très lumineuse, de grosses lettres roses éclairent toute la rue. Des cordons rouges et un tapis déroulé sur le trottoir permettent de délimiter la file d'attente. Alors que je m'apprête à me placer dans la file, je vois Stephanie, suivie du reste du groupe, s'avancer directement vers l'entrée, je presse donc le pas pour les rattraper. Elle s'adresse au videur, mais je parviens pas à entendre ce qu'elle lui dit à cause du bruit environnant ; il décroche le cordon pour nous laisser passer tout en restant raide comme un piquet. Les personnes qui attendent, certainement depuis près d'une heure vue la longueur de la queue, nous lancent des regards noirs en nous voyant passer avant eux, mais je dois avouer que ce sentiment est grisant.

L'ambiance est électrique à l'intérieur. Il fait sombre et des effets lumineux s'agitent rapidement dans tous les sens au rythme de la musique, le son est d'ailleurs tellement fort que je sens les basses résonner jusque dans ma poitrine. De nombreuses personnes sont entrain de danser, d'autres avancent en titubant ; ils ont du boire à outrance et surtout trop vite. On prend place sur des fauteuils d'angle, une table se trouve au milieu ainsi qu'une énorme coupelle remplie de bonbons pour les mettre dans les verres. Jamie fait signe à la serveuse du bar de nous faire parvenir quelques cocktails, et je choisi de prendre un Sex on The Beach. Le gout du rhum est masqué par des arômes fruités, c'est subtile et particulièrement traitre en même temps.

J'en bois plusieurs, peut être un peu trop vite, et je ne me souviens rapidement plus du nombre boisson que j'ai avalé tant je sens que mes réflexes commencent à me quitter. Cependant, la sensation procurée par l'alcool qui me monte à la tête est revivifiante. Je me sens incroyablement bien. Même la présence de Gavin ne m'effraie plus. Je veux juste m'amuser, pour une fois. Fanny a raison, j'en ai besoin. J'ai aussi une petite pensée pour Mayson. Il est un grand amateur de rhum et a déjà gouté tous les cocktails qui en contiennent. Il m'a d'ailleurs déjà parlé de cette boisson, mais je ne pensais pas c'était si bon.

Je sens Stephanie me tirer par la main pour aller sur la piste avec Laurene en me criant quelque chose que je n'entend pas. On bouscule quelques personnes pour parvenir à se faire une petite place, relativement près du bar et la musique Booty Bounce s'échappe des enceintes alors je me mets à danser. Je n'ai plus conscience du monde environnant. En réalité, je me fiche éperdument de paraitre ridicule, je veux seulement m'amuser. L'alcool qui coule dans mes veines me fait me sentir libre ; il me donne du courage. Après un nombre incalculable de musiques, le DJ passe High For This de The Weeknd. Ma chanson préférée. C'est une musique particulière, elle ne me fait pas me sentir joyeuse, triste ou nostalgique comme d'autres mélodies, c'est une musique aux sonorités sensuelles. Elle résonne dans tous mon corps et je me déhanche au rythme de cette chanson. Je vois brièvement que Gavin me fixe avec des yeux de prédateurs, mais même ça, ça m'est égal.

Lorsque le deuxième refrain commence, je sens une main me presser la taille. Je me retourne brusquement. L'alcool me fait me sentir libre, mais je ne suis pas inconsciente pour autant. Un homme avec un bonnet étrange, et les yeux injectés de sang s'est approché de moi. Il a dû boire. Vraiment trop. Lorsqu'il essaye de me dire quelque chose, je me rends compte qu'il vient également de fumer un joint et son nez rougit dont il ne cesse de se frotter me laisse penser qu'il a du également ingérer de la cocaïne. Il est complètement drogué. Je le repousse du mieux que je peux pour lui faire comprendre que je ne veux pas qu'il me touche. Mais il persiste. Pourquoi Steph et Laurene ne m'aident pas ? En jetant un rapide coup d'oeil en arrière, je vois qu'elles sont retournées à la table. Mais depuis combien de temps ?

Malgré la musique beaucoup trop forte, je perçois quelques mots qui sortent de sa bouche, des bribes de phrases.

- P'tit coup rapide ... Toilettes ...

D'accord, je voulais me laisser aller pour me vider l'esprit, mais comme ça. Pas avec cet inconnu drogué. Je me débats violemment et de toutes mes forces pour me soustraire à son emprise, mais l'évidence me saute aux yeux, c'est inutile, il est bien plus fort que moi et l'alcool a endormi mes muscles. Mon dieu, je sens que mes jambes commencent à me lâcher, je vais mourir. Je sens qu'il presse sa bouche immonde contre le creux de mon cou et je sens des frissons d'horreur me parcourir avant de voir une large et puissante main se poser sur son épaule. Mon agresseur se met à pester en se retournant pour faire face à l'individu qui l'a attrapé, mais il se tait instantanément. Un homme brun dont je ne vois pas le visage lui murmure quelque chose à l'oreille. L'expression de mon agresseur change du tout au tout. Lui qui arborait un sourire cruel quelques secondes auparavant, a désormais les yeux glacés et les muscles de sa mâchoire se sont crispés. La prise qu'il exerçait autour de moi se relâche petit à petit, puis, je le vois s'enfoncer dans la foule. Je l'observe partir, complètement tétanisée.

Après m'être assurée qu'il ne reviendrait pas, et en m'enroulant de mes propres bras, je me tourne vers l'homme qui vient de me sauver et je sens mes lèvres former un « O » incontrôlé.

Il me dépasse d'une tête alors même que j'ai mes talons. Il est toujours aussi brun, et a un visage très charismatique. Cette réflexion me fait sourire intérieurement, évidement qu'il est toujours brun, il ne va pas changer de couleur de cheveux en l'espace de quelques instants. L'alcool me fait vraiment penser n'importe quoi. Il porte un tee-shirt blanc cassé à col V qui montre l'étendue de ses pectoraux, ainsi qu'une veste de costume noire par dessus son jean gris. Il a des lèvres que je ne peux m'empêcher de fixer tellement elles sont atypiquement sexy. Mais je ne parviens pas à voir la couleur de ses yeux du fait de l'obscurité ambiante. J'arrive à distinguer des ombres sur ses bras, cela me semble être des tatouages, mais je suis incapable de dire ce qu'ils représentent. Dieu qu'il est beau ! Je vois un sourire présomptueux se dessiner sur ses lèvres lorsque je lui adresse un « merci » silencieux et je tourne rapidement les talons.

Je dois sortir prendre l'air. Je viens de vivre trop d'émotions contradictoires, et il me faut de l'air frais pour me donner l'effet d'une douche froide. Je me  précipite vers la table pour récupérer mes affaires et prévenir Stephanie que je vais rentrer. Je ne me sens pas bien, mais je préfère lui dire que je suis fatiguée ; ce qui est vrai en un sens, après plusieurs heures à danser, je commence à rêver de mon lit et à ne plus sentir mes pieds. Je peux voir le regard tristement désespéré de Gavin. Il est presque suppliant, mais il est vite déçu de voir que je ne lui prête pas plus attention que cela. Après tout, il m'a regardé toute la soirée mais n'a pas levé le petit doigt pour venir m'aider tout à l'heure.

Lorsque je franchis les portes, les videurs me jettent de drôles de regards, un mélange de questionnement et de pitié. L'alcool est toujours présent dans mes veines, cela doit être la raison pour laquelle je ne réagis à leur mépris autrement qu'en leur adressant des regards assassins.

Je sens l'air frais envahir mes poumons, c'est tellement agréable après avoir respiré pendant plusieurs heures l'odeur de la cigarette, de la transpiration et de l'alcool. Cela me fait un bien fou. Titubante, je suis entrain d'appeler péniblement un taxi, ils sont assez nombreux à cette heure, guettant des clients bien trop éméchés qu'ils pourraient ramener. Hélas, aucun ne s'arrête, et je vois leur nombre diminuer drastiquement.

- Dans votre état, il n'est pas prudent de rentrer seule, laissez moi vous ramener.

Me tournant brusquement, je reconnais mon sauveur. Il est encore plus beau à la lueur des lampadaire et je parviens à déceler du bleu dans ses yeux, un bleu océan saisissant. Une mèche de cheveux retombe sur son front, il a dû être décoiffé par les quelques gouttes de sueur qui perlent encore sur son front. Je parviens à peine à bredouiller quelques mots.

- Je ... Non, merci.

- J'insiste, dit-il en avançant dans ma direction, touchant du bout des doigts mon coude.

Voulant me dépêtrer de cette situation, je me mets à reculer, je dois prendre des distances. Mais, mes talons en décident autrement, se prenant dans un trou pour me propulser contre le sol. Avant que je ne réalise ce qu'il se passe, mon mystérieux sauveur me soutient. Son visage est tout proche du mien. Je sens son souffle chaud aux effluves de Whisky et de miel venir me chatouiller les narines. Je pourrai rester là durant des heures, à planter mon regard dans le sien.

- Qu'est ce qui me dit que vous n'êtes pas un dangereux pervers psychopathe ?
Je reviens un peu sur terre et m'aventure à le questionner. Après tout, je ne le connais pas.

- Absolument rien. Je ne suis pas un gentleman et je vous trouve très excitante. Mais j'ai vous ai libéré de cet homme qui lui est effectivement un pervers. Et vous êtes saoule. Je ne peux pas vous laisser comme ça, j'aurai mauvaise conscience.

Il marque une pause pour me remettre debout. Je ne sais pas si je dois lui faire confiance parce qu'il s'est montré honnête, ou si je dois prendre mes jambes à mon cou justement parce qu'il a été honnête. Ces questionnements mêlés à l'alcool me donnent mal à la tête.

- Je ne sais pas ...

- Ce n'était pas une question. Je vous ramène.

Je suis surprise par le ton autoritaire qu'il emploi à mon égard soudainement. Il sort des clés de sa poche intérieure et je distingue quelque chose comme ... Un trident ? Puis, il presse le petit bouton, un petit bruit et des lumières s'allument dans mon dos. Je me tourne pour voir le véhicule et je lève les yeux aux ciels en lâchant un rire nerveux.

- Vous pensez que parce que vous avez une belle bagnole je vais montrer avec vous ? Navrée de vous décevoir, mais je ne suis ni superficielle, ni suffisamment bourrée pour ça.

- Ce n'est pas une belle bagnole, dit-il en serrant les dents, c'est ...

- Une Maserati Alfieri cabriolet avec un V8 suralimenté d'un turbo, je sais.

Ses beaux yeux bleus s'écarquillent.

- Comment ... ?

- Mon frère et mon père m'ont toujours fait baigner dans le monde automobile, je m'y connais un peu.

"Et oui, moi aussi je peux t'impressionner" pensé-je et il me sourit largement. Pour certaines choses, je suis encore lucide. Et je danse intérieurement d'avoir pu lui clouer le bec, l'espace d'un instant.

- Je ne cherche pas à vous impressionner avec ma voiture, mais sachez qu'il n'y a plus de taxis.

Je cherche les fameux véhicules jaunes du regard et me rends compte qu'il dit vrai. Et j'habite à l'autre bout de la ville. Je comprends mieux ce sourire satisfait. Il commence à partir et se tourne brièvement.

- Alors, vous montez ?

Je regarde une dernière fois autour de moi, mais sans succès, aucun taxi n'est revenu. Prise au piège, je n'ai plus le choix. Je m'approche du bolide rouge, et me glisse à l'intérieur avec toute l'élégance possible que je parviens à rassembler pendant qu'il me tient la portière.

- Après vous, Princesse.

Et je vois un nouveau sourire satisfait fendre son visage.

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