Chapitre III
Je reste un instant figée devant le cabinet à regarder les inconnus défiler sous mes yeux. J'ai encore du mal à assimiler les derniers événements. Il me faut quelques minutes supplémentaires pour réaliser que je viens de décrocher mon premier vrai travail, en tant qu'avocate au cabinet H & H Crayton, excusez-moi du peu ! Et puis, je dois admettre que le fils de mon nouveau patron n'est pas désagréable à regarder non plus ...
Mais je dois impérativement rester concentrée sur ma carrière ; flirter avec la personne qui reprendra le Cabinet dans lequel je vais travailler dès demain n'est sûrement pas une bonne idée, et loin de là, cela pourrait bien me conduire tout droit au renvoi.
Il est onze heures moins vingt-cinq lorsque je me mets à fouiller mon sac tout en marchant pour m'emparer de mon téléphone afin d'annoncer la nouvelle à ma famille. Après quatre longues tonalités, quelqu'un décroche.
- Allô ?
C'est ma mère, je l'ai reconnue au tendre son de sa voix. Elle est essoufflée, elle vient sans aucun doute de courir pour répondre au téléphone. Quand je vivais chez mes parents, j'aimais la voir s'agiter dans tous les sens, notamment pour se précipiter sur le téléphone qui retentissait, c'était amusant. Mais, aujourd'hui ce souvenir me rends également nostalgique, sa présence me manque.
- Maman ? C'est moi !
- Oh ! Ma chérie ! Tu vas bien ? Est-ce que tu manges assez ? S'inquiète-elle immédiatement.
C'est typiquement maternel ; la peur que son enfant manque de nourriture. Même si sa réflexion me fait rire, je dois reconnaître qu'il peut m'arriver d'oublier de manger si je suis trop concentrée sur une affaire, et elle le sait bien. Ma mère m'a toujours assené de questions de ce genre, « as-tu mangé ? », « à quelle heure t'es-tu couchée ? », toutes ces petites choses de la vie quotidienne de ses enfants qui la tracasse facilement. Elle est vraiment adorable.
- Oui maman, ne t'en fais pas. Je sors de mon entretien d'embauche.
- Oh ! Ne bouge pas, je te mets sur haut parleur et j'appel ton père pour qu'il t'entende aussi.
J'entends à l'autre bout du combiné ma mère crier "Chéri !" dans toute la maison, ainsi qu'une petite voix à peine audible lui répondre. Je porte rapidement ma main à mon oreille ensanglantée après avoir ouï ce cri aussi inattendu que suraigu. Des bruits de pas rapides se font entendre avant que la voix de mon père ne s'élève du haut-parleur de mon smartphone.
- Coucou ma puce, alors cet entretien ?
- Salut papa ! Pour être honnête ...
Je laisse un temps d'attente pour permettre au suspens de s'installer ; j'adore l'idée de les voir pendu au téléphone, avides d'en savoir plus.
- Je suis prise !
Je me mets à crier de joie en sautillant au milieu de la rue, sous les yeux surpris de quelques passants qui ne s'arrêtent pas pour autant dans leur course infernale. Dans cette immense ville, on se sent vraiment tout petit et insignifiant par moment.
- Oh mais c'est génial !
Je n'entends plus que des hurlements désormais. C'est la voix de Mayson, plus posée qui est venue interrompre ce brouhaha après d'interminables secondes de joie collective.
- Donne nous les détails, Edye.
Je me mets alors à leur raconter à quel point le bureau est beau, ainsi que l'impression que m'a laissé Laura. J'explique aussi qu'Hector Crayton n'a pas pu me faire passer l'entretien, et qu'en conséquence, c'est son fils qui m'a accueilli avec ses questions des plus déstabilisantes.
- Dis moi Edye, est-il charmant le fils de ton nouveau patron ? Tu n'as pas fais une seule remarque sur son physique ou son style vestimentaire, cela ne te ressemble pas.
Je n'ai pas entendu Fanny s'approcher du téléphone et j'aurais bien pu me passer de son intervention ; elle a encore vu juste. Malgré son attachante naïveté, elle est incroyablement perspicace. J'ai volontairement passé sous silence ô combien son physique est captivant afin d'éviter les spéculations et les paris habituels en matière d'amour comme ceux qui se déroulent constamment chez moi, notamment pour Fanny qui est un véritable coeur d'artichaut. Je ne peux décemment pas mentir à ma famille, mais je dois garder une part de la vérité secrète au risque de me voir incessablement harcelée.
- Il n'est pas désagréable à regarder, en effet. Mais tu me connais, ma carrière avant tout et je ne suis qu'à l'essai, je dois impérativement faire mes preuves.
- Oui, j'oubliais que je parle à la très sage Eden ! S'il te plait, arrête d'être aussi cartésienne et amuse toi un peu ! Me lance Fanny, exaspérée.
Je l'entends tourner les talons et s'éloigner du lieu de réunion téléphonique. Intérieurement, je sais qu'elle a soulevé un point important puisque j'ai toujours repoussé l'envie de m'amuser à plus tard. Je suis une sorte de procrastinatrice de l'amusement, en somme.
- Je vais déjeuner, je vous rappel plus tard !
C'est le seul échappatoire que j'ai pu trouvé en si peu de temps afin d'échapper aux inquisitions à venir, pour le moment. Mais je savais que je ne faisais que repousser l'inévitable.
- On t'embrasse ! Crient-ils tous en coeur.
- Oui, moi aussi.
Je raccroche avant de remettre mon téléphone dans mon sac tout en poussant un long et profond soupir. Je parcours quelques mètre avant d'émettre un temps d'arrêt. Je me saisie à nouveau de mon appareil pour composer un tout autre numéro.
- Edye ? Je suis contente de t'entendre !
Elle a décroché en parlant dans un français impeccable.
- Salut Steph ! Tu es libre ce midi ?
- Libre comme l'air !
- Super ! On se retrouve au « Compagnon de l'Amitié » à midi et demi pour manger ?
- Quelle bonne idée ! Tu es de retour à New-York ?
J'entends une petite vois l'interpeller lorsqu'elle marque une pause. Elle semble véritablement enthousiaste, mais elle ne me laisse pas le temps de lui répondre qu'elle surenchérit déjà, devant mettre un terme à notre appel.
- Tu me raconteras tout depuis le début tout à l'heure, Edye !
Stephanie est française elle aussi, mais elle a vécue plus longtemps que moi là bas puisqu'elle n'a quitté son pays natal que pour venir étudier à Harvard, où je l'ai rencontré. Par la suite, elle a trouvé l'amour, alors, elle est restée vivre sur la Cote Est. Elle est brillante, c'est peu de le dire en ce qui concerne une personne sortie Major de promotion d'une si prestigieuse Université. Quand on est ensemble, on aime parler en français ; cela nous permet de retrouver un peu de nos origines européennes.
Après ce court entretien téléphonique, la curiosité me ronge, et déjà je tape le nom de « Harry Crayton » sur Google pour obtenir des informations. Je me mords la lèvres en regardant autour de moi afin de vérifier que personne ne risque de me surprendre. J'ai l'impression d'être une enfant qui aurait peur de se faire attraper entrain de faire une bêtise.
Internet est rempli d'informations en tout genre à son sujet. Il a été diplômé avec les félicitations du Jury de Yale, il a même été l'un de leurs meilleurs capitaines de Football, emmenant leur équipe droit à la victoire nationale inter-universitaire. Et il n'a que vingt-huit ans.
Cependant, une photo attire mon attention. Il est au cabinet, dans une élégante tenue de soirée, accompagné d'une très belle jeune femme fine et blonde. Elle le dévisage avec envie, et son visage exprime parfaitement les intentions qu'elle a à son égard. La légende de la photo ajoute « Harry Crayton et Clemence Chesterfield au cocktail du Cabinet H & H Crayton ». Je sens une pointe de jalousie naître en moi, mais comment pourrais-je être jalouse d'une femme, que je ne connais pas, pendue au bras d'un homme que je viens juste de rencontrer de surcroît ? Agacée par mon comportement infantile, je remets violemment mon portable au fond du sac avant de presser le pas en direction de mon appartement pour retrouver mon fidèle compagnon.
En arrivant chez moi, Chaussette vient me faire la fête, me faisant comprendre en jappant près de la porte qu'il a un besoin pressant de sortir.
- Juste une seconde mon gros, je me change rapidement.
Je ne vais pas aller à Central Park et marcher dans l'herbe en talons aiguilles tout de même ! Aussi, j'ai choisi d'enfiler un legging noir avec un sweat aux couleurs de mon ancienne Université et des baskets fines avant que l'on ne se dirige vers cet écrin de verdure.
Je regarde chacun des brins d'herbes qui m'entourent depuis l'espace vert où je suis assise et je vois mon chien courir dans tous les sens, la gueule ouverte et la langue pendue pendant qu'il va saluer certains de ses congénères. Il n'est décidément pas gracieux, et même plutôt brutal dans certains de ses mouvements, ce qui le rend particulièrement maladroit ; mais c'est assez amusant et cela fait son charme.
Vers midi et quart, après un rapide détour à l'appartement pour remettre mes vêtements, je prends le chemin du « Compagnon de l'amitié » où je dois retrouver Stephanie.
En arrivant, je fouille la terrasse des yeux, mais elle doit encore se trouver au bureau. Je prends place près d'une table vide en commandant un Schweppes Agrumes light.
Sirotant ma boisson, je suis rapidement interpellée par une voix féminine qui s'élève plus haut que les autres.
- Edye !
Elle se jette sur moi et me serre dans ses bras, si fort que j'en manque d'air. Elle lâche rapidement prise pour se reculer en me tenant à bout de bras et ainsi me jauger de la tête aux pieds.
- Attends, tu es revenue à New-York, tu portes tes talons Gucci et ton sac Prada. Ensemble. Cela ne peut vouloir dire qu'une chose ... Tu as eu un entretien ! Je veux tout savoir !
Stephanie est le genre de fille qui n'a pas besoin qu'on lui parle pour savoir que quelque chose est arrivé. J'ai l'habitude maintenant, elle parvient aisément à cerner les personnes qu'elle fréquente, et après avoir été colocataires durant nos études de droit, elle me connait par coeur ; mais cela a toujours eu le don de me surprendre, à chaque fois un peu plus.
- Dans le mille ! J'ai eu un entretien d'embauche chez H & H Crayton ce matin. Dis-je tandis que nous prenons place autour de notre table.
- Quoi ? C'est pas vrai ! S'extasie t-elle en écarquillant les yeux. Et tu as été embauché ?
- Oui ! Je commence demain à neuf heures. Mais j'ai peur de ne pas être à la hauteur ...
- Edye, s'il te plait ... commence t'elle, sensiblement éreintée par mon doute. Tous les cabinets pour lesquels tu as travaillé ont prolongé ton stage autant que possible, du moins, jusqu'à ce que tu doives partir pour un autre cabinet. Alors fais comme moi et cesse de te faire du soucis à ton sujet !
Je la regarde en me répétant un instant ses paroles, tant elles me surprennent. Elle n'a pas tort. À une exception près : dans les autres cabinets, il n'y a pas la tentation physique du diable en personne.
Je l'ai écouté passer commande auprès du serveur avant de faire de même. Quelques minutes s'écoulent et alors que nous sommes en plein débat juridique sur la question sensible de la gestation pour autrui en France, le serveur nous interrompt pour déposer nos plats. Steph a pris un boeuf bourguignon, tandis qu'une assiette de lasagnes végétariennes est déposée devant moi. « Compagnon de l'Amitié » est de loin le meilleur restaurant français de la ville.
Stephanie se saisit de sa fourchette et une lumière vive provenant de son annulaire attire mon attention.
- Mon Dieu, Steph ! Tu ne me l'as pas dis, est-ce que c'est ce que je crois ? Cris-je en indiquant l'énorme diamant à son doigt.
- J'attendais que tu le remarques, pardi ! Me taquine t-elle, en ajoutant un clin d'oeil complice. Jamie m'a fait sa demande, samedi soir !
Elle me tend sa main pour je contemple l'imposante et magnifique pierre princesse qui doit faire au moins quatre carats.
- Il avait préparé quelque chose de spécial ?
- Figure toi que vendredi, il m'avait dit qu'il m'emmènerait au restaurant samedi soir pour fêter sa promotion. En arrivant au « Del Durado », le serveur m'a indiqué la table où Jamie m'attendait, la dernière au fond du restaurant, dans un coin un peu en retrait. Mais tous les clients du restaurant portaient des masques et regardaient dans ma direction. Je commençais à trouver ça flippant, surtout qu'en arrivant à la hauteur de la table, je n'ai pas vu Jamie. Je me suis retournée, et il se tenait devant moi, agenouillé en tendant cette bague ; il était entouré de nos proches qui étaient les clients masqués.
Elle reprend son souffle, et je vois des larmes de joie lui monter aux yeux.
- Je crois que je n'ai jamais été aussi émue de ma vie. Je me suis mise à pleurer comme une madeleine lorsqu'il m'a passé la bague au doigt et j'ai fondu dans ses bras.
Une petite perle salée vient de rouler le long de sa joue. Elle est profondément amoureuse et je ne me souviens pas l'avoir déjà vue aussi heureuse malgré les différentes amourettes qu'elle avait pu avoir, avant de tomber sur Jamie. Le reste de notre repas s'est ainsi transformé en préparatif anticipé de son mariage ; tantôt me demandant si la robe qu'elle pense prendre est suffisamment belle, tantôt paniquant à l'idée de ressembler à une meringue. Elle me fait rire et elle est vraiment radieuse ainsi, aussi légère.
Au moment de se dire au revoir, elle m'interpelle une dernière fois, en criant de l'autre côté de la rue.
- J'avais complètement oublié ! Demain soir, on se rend Jamie, quelques amis et moi, au Alighting Club pour fêter nos fiançailles. Cela me ferait vraiment plaisir de te compter parmi nous !
Les paroles de Fanny me reviennent en tête « s'il te plait, arrête d'être aussi cartésienne, amuse toi un peu ! ». Je me dois de faire honneur à ma soeur.
- Tu peux compter sur moi, je serai là !
- Ça marche, je t'envoie l'adresse par message !
Elle forme un baiser de ses lèvres, accompagné d'un signe de la main avant de s'engouffrer dans un taxi. Cela fait une éternité que je ne suis pas allée en boite de nuit et j'en ai grandement besoin. Fanny a raison, et cela promet d'être intéressant.
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