Chapitre II

En arrivant au pied du Cabinet, je suis d'abord frappée par la grandeur du bâtiment ; il doit faire vingt étages ! De grandes lettres formant "H & H Crayton" sont placées au dessus de la porte principale. Des lettres noires, imposantes, sur un fond blanc très lumineux. Le contraste est saisissant et symbole de la force de persuasion des meilleurs avocats présents derrière ces portes. Je reste sur le trottoir à détailler l'immeuble durant plusieurs minutes, tentant de deviner qui se cache derrière chacune de ces fenêtres aux effets réfléchissants, tels des miroirs.

Sortant de ma contemplation, je m'avance vers l'immense porte en verre renforcé. Il faut sonner pour pouvoir entrer, cette sécurité montre bien que l'accès n'est pas permis à tout le monde, et cette façon de montrer que ces Hommes là ne font pas parti du commun des mortels me fait doucement sourire. Quels égos !

J'appuie fébrilement sur le bouton argenté et quelques sonneries se font entendre avant qu'une voix féminine ne s'élève de l'interphone.

- Cabinet H & H Crayton.

La voix est douce et posée, incroyablement calme et avenante ; il ne fait nul doute que c'est la secrétaire qui m'a contacté la semaine passée.

- Bonjour madame, j'ai rendez-vous avec Monsieur Crayton pour un entretien d'embauche.

- Mademoiselle Clark ?

- C'est bien moi.

- Je vous ouvre, mademoiselle.

Un bruit sourd se fait entendre, suivi d'un cliquetis. Je regarde attentivement la porte, de peur qu'elle ne s'écroule sur moi avant de m'avancer dans les locaux et la beauté des lieux me subjugue instantanément. Le sol est en marbre beige, les cloisons sont faites dans un bois sombre et prestigieux, « de l'ébène » me dis-je.
Des lys blancs dans des vases beiges-rosés sont présents sur chacune des commodes en bois, elles-mêmes appuyées contre les murs de la pièce. Les nombreuses fenêtres viennent baigner l'ensemble du vaste hall d'une lumière vive et vivifiante. Je note également intérieurement que des fauteuils modernes en cuir noir forment un carré comme s'il s'agissait d'une salle de réunion alors que ce n'est que la zone d'attente. Tout est impeccable et très chic.

Je suis tirée de ma rêverie lorsque la même voix que celle de l'interphone m'interpelle.

- Mademoiselle Clark ?

Je me tourne vers elle. Elle est magnifique. Une élégante femme brune mince au visage fin, des traits très délicats et un sourire chaleureux qui dévoile des dents blanches immaculées. Quand elle se lève pour venir à ma rencontre, je constate l'apparition d'une légère forme sous son tee-shirt ; j'adore voir la bonne humeur et la joie des futures mamans.

Elle s'avance vers moi, me tendant sa frêle main que je saisis immédiatement. Elle est vêtue d'un tailleur-jupe noir légèrement ample, ainsi que d'un débardeur bordeaux et d'une paire d'escarpins vernis noirs.

- Enchantée, je suis Laura, la secrétaire du cabinet.

- Moi de même. Eden, répondis-je avec mon plus beau sourire qui ne rivalise surement pas avec le sien.

Pour une raison que j'ignore, Laura m'inspire beaucoup de sympathie et de confiance. Elle m'indique avec une égale gentillesse les fauteuils que j'avais repéré afin que je puisse attendre que Monsieur Crayton vienne m'accueillir.

J'attends patiemment, mais mon stress me pousse à fixer la pendule afin d'évaluer le temps qui me sépare de ma nouvelle vie. Toutefois, je me dois de marteler mon esprit avec ma fameuse règle en permanence pour ne pas me laisser submerger par mes émotions. Je suis incroyablement tendue, mais dans le même temps, je me sens bien, comme si j'étais à ma place.

J'entends les portes de l'ascenseur s'ouvrir et en levant les yeux, mon coeur manque un battement. L'homme qui en sort n'a rien à voir avec le Monsieur Crayton que je connais, le sexagénaire de renom. Cet homme est grand et porte un costume bleu marine avec une chemise blanche. Il ne doit même pas avoir la trentaine. Deux boutons de son col sont ouverts et laissent paraitre sa peau. Il a une démarche désinvolte et assurée. En replaçant ses cheveux blonds foncés de sa main gauche, sa manche se relève légèrement, révélant sa montre outrageusement luxueuse qui reflète un rayon lumineux en direction de ses yeux. Deux grands yeux marrons, un marron profond, emplis de gentillesse et de générosité. « Dieu, qu'il a un sourire à se damner » me dis-je.

- Mademoiselle Eden Clark je présume, veuillez me suivre.

Après m'avoir adressé une poignée de main puissante qui m'électrifie instantanément et un sourire charmeur, il se tourne et presse le pas en direction de l'ascenseur.

- Je suis Harry Crayton. Mon père, Hector, devait vous faire passer un entretien, mais il a été pris d'un contretemps dont il s'excuse et m'a chargé de ce rendez-vous. J'espère que vous ne nous en tiendrez pas rigueur ? S'excuse t-il tandis que les portes de l'ascenseur viennent de se refermer sur nous.

Il a une voix grave, forte et suave, le genre de voix qui vous fait sentir que vous devez obéir et qui pourrait vous donner un orgasme auditif en un mot. Il est diablement ... Sexy. Je sens mes joues s'empourprer à cette pensée inappropriée, avant de secouer légèrement la tête pour reprendre mes esprits.

- Bien-sûr que non, il n'y a aucun problème !

Je me sens tellement intimidée par cet homme que je n'ai pas pu dire quelque chose de plus réfléchit. Chapeau Eden ! Tu commences bien. Mais il est quand même normal que je me sente intimidée à l'idée de passer un entretien d'embauche dans l'un des plus prestigieux cabinet d'avocat de New-York. Mais est-ce la véritable raison de mon trouble actuel ? Je ne saurais le dire.

Une fois arrivés au quatorzième étage, Monsieur Crayton Jr. me fait signe de le suivre. Il ouvre une porte, et m'invite à entrer.
La pièce est loin d'être étroite, baignée d'une vive lumière qui tranche avec le ciel monochrome et sombre à l'extérieur. Cette lumière se reflète sur le marbre du sol et donne l'impression que le lieu est bien plus grand encore. Un long bureau en bois anthracite est placé près d'une large baie vitrée, un fauteuil en cuir noir est installé derrière un imposant iMac. En face du bureau, appuyée contre le mur jouxtant la porte d'entrée, une bibliothèque est totalement garnie de livres de droit en tout genre : des Codes usuels aux dernières revues juridiques. Un tapis blanc immaculé permet de rehausser l'anthracite du bureau en s'étendant sur la moitié de la pièce.

Monsieur Crayton m'indique de sa main les sièges en face du sien pour que j'y prenne place tout en s'installant sur son propre fauteuil avec grâce et élégance. Lorsqu'il pose de nouveau son regard sur moi, je sens que je suis entrain de perdre tous mes moyens, l'assurance que je me suis construite avec ma règle s'envole tant il me déstabilise. Je dois me faire violence pour recouvrer mes esprits afin de prouver que je suis faite pour le poste à pourvoir « tiens toi à la règle des trois A, Edye » me dis-je.

- Bien, j'ai pu voir que vous étiez sortie de Harvard avec mention, parlez moi de vos études, comment les avez vous vécues ?

- Difficilement. J'ai dû travailler en parallèle de mon cursus pour pouvoir les financer, j'avais peur de ne pas parvenir à obtenir mon diplôme.

Il incline lentement sa tête en consultant la feuille devant lui, avant de reprendre.

- C'est tout à votre honneur d'avoir réussi à conjuguer travail et études, mais si je puis me permettre, pourquoi aviez-vous ce ressenti ?

Je sens une boule se former dans ma gorge. Je n'aime pas parler de cela, et je ne veux pas que l'on pense que je fasse dans le sentimentalisme pour que l'on m'offre cet emploi sur un plateau en argent. Mais je me décide à me lancer, je ne peux décemment pas lui dire que ce ne sont pas ses affaires, d'autant que son regard perçant force à la confidence.

- Au cours de ma troisième année, des évènements sont venus raviver la douleur de la perte d'un être cher, j'ai eu du mal à apprendre à vivre avec cette douleur la première fois, alors remuer le passé ne m'a pas aidée.

- Oh, veuillez m'excuser, se confond t'il en excuses, formant un léger "O" avec ses lèvres.

Harry Crayton marque une pause, visiblement gêné d'avoir posé cette question et préfère changer de sujet avec précaution.

- Je constate que l'un de vos stages a eu lieu dans un cabinet assez réputé, mais il n'a duré qu'un mois, pourquoi ?

- Avant que le stage ne commence, Maître Martin et moi-même avions convenu que le stage ne durerait qu'un seul mois ; il devait partir en voyage de noce, de ce fait, le cabinet allait fermer exceptionnellement le mois suivant.

Il incline la tête avec une lenteur et une maitrise affolante, prononçant par la même occasion quelques onomatopées. Il se penche en avant pour enlever sa veste de costume et m'offre ainsi un spectacle incroyable. Je peux voir ses muscles parfaitement dessinés, et je me surprends à m'imaginer en suivre les contours du bout des doigts. Je me sens un peu honteuse d'avoir ce genre de pensées, surtout en ces circonstances mais c'est plus fort que moi. Qui pourrait se concentrer totalement face à un tel Apollon ?

- Que pouvez-vous me dire de l'affaire Tennessee v. Garner de 1985 ?

Cette question me surprends quelque peu et a pour effet de me tirer de mes pensées de plus en plus lubriques. C'est bien la première fois qu'une question de connaissance pure plutôt que de pratique m'est posée. Après quelques secondes de réflexion, la solution me revient intégralement à l'esprit.

- Dans cette affaire, la Cour Suprême a admis, au regard du Quatrième Amendement, la possibilité pour un agent de police de pouvoir faire usage de la force meurtrière dans le but d'empêcher l'évasion d'un suspect, mais seulement si l'agent a de réelles raisons de penser que le suspect présente une menace, pour l'intégrité physique ou la vie, de l'agent ou d'un tiers.

J'ai répété mes connaissances d'une seule phrase et avec affirmation. Vu le sourire qu'arbore Harry Crayton, il en semble satisfait. Ma « règle des trois A » commence enfin à faire son effet et je m'en frotte intérieurement les mains.

S'ensuivent plusieurs questions de connaissance juridique au cours desquelles j'observe mon interlocuteur avec une grande attention. Lorsqu'il réfléchit aux questions qu'il s'apprête à me poser, il porte son stylo plume Mont Blanc à ses lèvres qu'il s'humecte légèrement en les caressant du bout de la langue, attendant mes réponses. J'ai pu davantage détailler la couleur de ses yeux lorsqu'il me fixait, en réalité, ils ont deux teintes différentes, c'est un dégradé de marron qui part du plus foncé proche de l'iris au plus clair vers l'extérieur.

Il me pose des questions de plus en plus simples, comme la compétence du tribunal en fonction des litiges. Il me semble presque qu'il cherche à faire durer cet entretien, à l'éterniser. Même son attitude est de nature à me troubler. J'ignore comment j'ai pu garder la tête froide, mais après m'avoir fait faire une gymnastique intellectuelle durant près de quarante minutes, mon très charmant interlocuteur se décide à me faire part de sa décision.

- Je comprends pourquoi mon père a retenu votre candidature. Dit-il tout en fixant mon curriculum entre ses mains.

Il reprend son souffle avant de poser à nouveau ses superbes yeux sur moi.

- Vous pouvez commencer demain, à neuf heures ?

Une vague d'euphorie m'emporte.

- Vous ... Vous voulez dire que je suis prise ?

- Oui, mais pour commencer, vous avez une période d'essai d'une semaine, a t-il ajouté en regardant les papiers près de son clavier.

- Je serai là, n'ayez crainte ! M'exclamé-je.

Je tente de me remettre de mes émotions pour ne pas laisser cette euphorie prendre le pas sur mon professionnalisme. J'aurai tout le temps de me réjouir plus tard, même en dansant si le cœur m'en dit.

- Bien, alors nous en avons finit pour aujourd'hui. Laissez moi vous raccompagner, insiste t-il.

Il se lève pour m'ouvrir la porte. « Un véritable gentleman » pensais-je tout en le remerciant. L'espace réduit de l'ascenseur et notre proximité est de nature à me troubler un peu plus encore. Je sens des bouffées de chaleur venir du plus profond de mon ventre.

- Tant que j'y pense, je ne suis pas un grand adepte du formalisme dans mes relations au cabinet. S'il vous plaît, appelez moi Harry.

Le sourire qu'il m'adresse est franc et un peu mutin.

- Bien, alors inutile de continuer de m'appeler « Mademoiselle » également, dis-je sur un ton amusé.

J'ignore pourquoi, mais je ressens en permanence l'envie de lui sourire, je commence même à en avoir mal aux zygomatiques. Lorsque je m'en rends compte, je préfère observer le compteur d'étages pour ne plus être perturbée par cette situation et pouvoir reposer quelques instants mes muscles faciaux.

Dès que les portes s'ouvrent, je me glisse rapidement d'un pas en dehors, je dois absolument faire descendre la tension qui s'est emparée de moi.

- Je vous dis à demain Eden, finit t-il en me tendant la main.

- Absolument, Harry.

Lorsque je la saisi pour lui rendre sa poignée, je sens à nouveau une vive décharge me traverser tout le corps si bien que j'en ai la chair de poule et je prie silencieusement pour ne pas qu'il la remarque.

Il appuie de nouveau sur le bouton de son étage en se tournant, m'offrant une vue parfaite sur ses fesses rebondies et musclées avant de disparaitre derrière les portes métalliques. Je reste un instant figée, en proie à mes réflexions. Je viens d'être embauchée dans un cabinet de renom, « je fais partie de la cour des grands » m'extasiais-je silencieusement. Je fixe encore les portes grises tant je ne parviens pas à m'en remettre. Mais j'ai comme l'impression que ce n'est pas le fait d'être embauché qui me donne des palpitations cardiaques ...

Une petite voix s'élève dans mon dos et me fait sursauter. L'espace d'un instant, j'ai envisagé la possibilité d'avoir été prise en flagrant délit alors que je dévorais Harry des yeux, et entrain d'avoir de telles pensées.

- Vous avez été embauchée ?

- Oui, je commence demain, répondis-je à Laura, non sans cacher mon contentement.

- Oh, quelle bonne nouvelle ! Je vous dis à demain dans ce cas.

Laura me frôle doucement le bras. Elle est vraiment pleine de bonnes attentions et derrière son sourire doux se cache un être angélique.

Elle appuie sur le bouton d'ouverture, et déjà l'air frais new-yorkais se saisit de moi.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top