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   Il n’y croyait pas, mais c’est ce qu’on disait dans ces situations-là. Nathan enfonça ses griffes dans sa paume et versa son sang dans la bouche de la femme. Ce n’était pas l’idéal, mais il ignorait la marche à suivre. On ne lui avait pas fourni de manuel d’utilisation, et les maigres informations qu’il possédait réduisaient considérablement sa marge de manœuvre. Le liquide tacha les lèvres de la femme et tomba dans sa gorge.

   Nathan patienta en espérant un détail qui sortait de l’ordinaire. Un soupir, des jeux de lumière, un regain d’énergie. Rien de tout cela ne se produisit, mais ce qui arriva lui placarda un grand sourire sur le visage. La plaie se refermait à vitesse réelle. Il entendait les tissus qui se reformaient. C’était le plus beau son de cet enfer.

   Inspiré par ce résultat, il partit à la recherche d’autres cœurs qui battaient encore et en trouva quatre. Son ventre en faisait des vagues à chaque fois qu’il voyait la magie s’opérer. Quoi que trois cadavres jonchaient devant lui, il se sentait heureux. Oui. Limiter les dégâts était son nouvel objectif.

   Assuré d’avoir fait son maximum, Nathan s’enfonça dans les dédales d’Angora. Son ouïe recherchait les bruits d’affrontement, mais il n’entendait rien. De plus, aucun mort ne maquillait le sol. Ce détail le motiva davantage.

   La réaction de Théo avait confirmé ses soupçons pour l’egmadum. S’il parvenait à presser le bouton, il inverserait à coup sûr le processus. Il devait récupérer cet artefact.

    À force de courir, il se rendit compte à quel point le château était vaste. Il commençait à croire que tout le monde s’était envolé quand un brouhaha sur sa gauche attira son attention. Il bifurqua, logeai les murs comme un vrai ninja, et jetai un coup d’œil vers cette source sonore. Ce qu’il découvrit le laissa sans voix. Dans une immense pièce aussi grande que celle où il était apparut se tenaient les amies de son père. Ils entouraient une sorte de dôme transparent dont à l’intérieur se trouvaient quatre cents ou cinq cents personnes.
Bon nombre d’entre eux se tenaient la main et récitaient une prière. Une barrière magique ? Nathan observa un bon moment cette protection si transparente qu’on le croirait inexistant.

   Il comprit que cette attaque les avait pris vraiment aux dépourvues. Très peu d’entre eux possédaient des uniformes de combat et d’armes adaptées, et à voir l’inquiétude déformer leur visage, cette situation ne leur plaisait pas. Il chercha son père parmi cette multitude et le trouva nez à nez avec sa mère. Ses doigts tenaient la boule dorée. S’il pouvait l’avoir dans les mains quelque instant, il mettrait fin à tout ça. Mais comment y arriver quand Théo possédait une armée à sa disposition ? Un ordre et hop, on le capturait.

   On le classait comme l’une des créatures les plus puissantes, pourtant, il ne connaissait rien de rien sur ses capacités. Bien qu’il consommait beaucoup de mangas de baston, l’art du combat lui était étranger. Il regarda les lignes rouges sur le dos de sa main. Peut-être qu’il pouvait les décimer. Il songea à ce sentiment d’invulnérabilité lorsqu’il avait massacré les masques noirs. Pfff ! Ça ne servait à rien de tergiverser. Même s’il parvenait à piger dans les minutes qui suivaient comment gonfler son adrénaline magique, il restait certain qu’il ne pourrait jamais battre son père. La logique l’imposait. Que pouvaient quatorze ans de bêtise face à une antiquité pareil ? Se faire démonter la gueule, naturellement.

— Ce n’est pas moi le monstre dans l’histoire, ragea Théo. Ça n’a jamais été moi. Votre sale confrérie m’a toujours traqué comme si j’étais un putain d’arachnar.

   Il pointa du doigt une araignée géante à tête au buste d’homme.

— Tu sais ce que ça fait de voir un beau jour des gens débarquer chez toi et tuer la personne que tu aimais juste devant tes yeux ? Bien sûr que tu l’ignores.

   Rhoda baissa la tête.

— Tu sais, le temps à effacer la date de ma mémoire. Il a même effacé le visage de cette femme. Par contre, il n’a jamais pu effacer ma rage.

— Tu fais semblant de ne pas le voir, déclara Rhoda, mais tu sais très bien que, sans nous, l’équilibre du monde serait chamboulé.

— Équilibre. L’éternité m’a appris que ce mot n’a jamais existé et n’existera jamais. Votre prétendu devoir n’est qu’un prétexte pour imposer votre droit de tuer. Je vais exterminer chacune de ces personnes derrière toi.

— Tu devras me tuer.

— Ne fais pas comme si tu avais une chance contre moi.

   Théo frappa le dôme d’un poing rageur. L’onde de choc parvint jusqu’à Nathan. Il comprit que son père était aussi puissant que le prétendait son rang. Il ne pouvait cependant pas faire marche arrière. Il se devait de réparer ses erreurs. Cela allait au delà de sa personne. Son instinct lui murmurait que laisser tomber ses gens serait laisser tomber sa famille. Pas celle qui s’entredéchirait maintenant. Non. Celle qu’il avait laissée à Milocity et qui avait tout donné pour qu’il soit heureux.

— J’en ai une moi ? répéta-t-il en se mettant à découvert.

Monstre et humain le regardèrent. Théo lui montra ses canines aiguisées.

— Tu crois ça, fiston ?

   L’animosité dans les yeux de son père fit trembler ses entrailles.

— Je le crois et ne m’appelle pas fiston. Un monstre comme toi ne peut pas avoir d’enfant.

— Je fais ça pour toi.

— Parce que tu penses que tuer des gens, aussi injustes soient-ils, me ferait plaisir ?

   Malgré la peur, il marqua deux pas. Sa mère lui ordonna de partir d’ici, de laisser les adultes s’occuper de leur embrouille, mais il ne l’écouta pas. Théo s’agaça et ordonna à un de ses sbires de l’attaquer.

— Quoi ? Tu as peur de m’affronter ?

   Il lâchait ces propos suicidaires en connaissance de cause. S’il n’avait aucune chance de battre son père. Il n’en possédait triplement aucune si son petit armé s’en mêlait. Le mieux serait d’y aller droit au but.

— J’ai mieux à faire que de m’occuper de tes idioties.

— Ouais, parle toujours. Je te défie en duel. Il doit bien exister une règle comme ça.

   L’arachnar avança vers Nathan, les pattes menaçantes, mais Théo l’ordonna de rester à sa place. Il dressa un peu son col rouge et annonça :

— OK d’accord, si cela peut te faire plaisir, j’accepte.

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