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Le dernier mot éveilla l’intérêt de ceux qui l’avaient entendu, et, comme ils répétaient à leur tour, cela généra un effet boule de neige. Des ruminements résonnèrent entre les murs d’Angora jusqu’à ce que le silence s’abatte. Nathan eut la gêne de sa vie. Tout le monde le fixait, ce qui lui donnait l’impression d’être un élève sur le point d’entamer la présentation d’un exposé. Devait-il dire bonjour ? Et pourquoi ne pas crier un ravi de vous rencontrez, tant qu’on y était. S’il ne restait pas concentré, il mourra ici. Ces gens-là n’étaient pas des fans devant un concert d’eminem ou de Tyla. Encore mois ses amis.
Un instant plus tard, tout les masqués applaudissaient. Certains hochaient la tête, d’autres tapaient les épaules de sa kidnappeuse. Ils la félicitaient. Ce qui, étrangement, lui fit plaisir. Il était une prise de grande classe. De celle qui, pour la plupart d’entre eux, n’arrivait jamais. Ce n’était pas tous les jours qu’ils voyaient un angalion. Il en existait que deux dans le monde. Il s’excitait un peu trop et il le savait. Néanmoins, il préférait ce sentiment que celle qui le poussait à envisager le pire. De penser à toutes les possibilités désastreuses que pouvaient soumettre les mots : « et si ».
— Merci, répéta une dernière fois sa guide avant d’attraper son bras pour le trainer vers l’autre bout de la pièce.
Ils traversèrent un hall accoster d’une multitude de portes et entrèrent dans un… ascenseur. Oui, une putain d’ascenseur de tout ce qu’il y avait de plus normal. À la seule différence que des mots remplaçaient les chiffres. Bastion. Donjon. Tour. Enceinte. Trone. Elle pressa le bouton enceinte. La porte se referma et s’ouvrit aussitôt.
Changement de décor. Les murs de briques apparurent, les toiles d’araignées, les torches qui éclairaient de leurs flammes dansantes, les tableaux du moyen-âge. Nathan ressentit, pour la première fois depuis qu’il avait foulé le château d’Angora, sa peur primaire. Sa gorge le grattait et il désirait boire cinq litres d’eau. Il avança tout de même, encouragé par la voix de Rhoda qui l’appelait au secours. Sa ravisseuse enleva son masque et dévoila une blonde rasée courte. Sa joue droite portait une méchante cicatrice qui n’enlevait rien à sa beauté. Ses yeux bruns distillaient une froideur intense. Pas de haine. Pas d’amour. Pas de colère. Pas de joie. Pas de peur. Elle tirait la tête d’un de ses profs de lundi matin. Nathan zigzaga entres les couloirs tamisés. Il rencontrait par ci et là des gens à visage découvert, revêtus de vêtement ordinaire : tee-shirt ou chemise ouverte, jeans déchirés, short, sandale. Cela créait un contraste effrayant avec le cadre.
— Ne me dis pas que c’est lui ? C’est l’angalion ? demanda un homme qui buvait un soda.
— Ce n’est pas lui.
L’homme l’accosta, le fixa dans les yeux et lui flanqua une gifle. C’était la première qu’il recevait de toute sa vie et cela le laissa avec la gueule grande ouverte. La douleur s’effaçait deux secondes plus tard, mais il porta tout de même les mains à sa mâchoire. C’était surement pour Nobody et Jo. Sa culpabilité le força à fuir les yeux enragés de cet homme. Il oublia le contexte qui aurait pu justifié cet acte lors de cette nuit d’horreur. Sa rage. Sa tristesse. La seule chose qui resta accrocher dans son cerveau fut :"Je le méritais. » Il s’attendait même à recevoir une autre torgnole. Ce que semblait bien vouloir l’homme au soda. Cependant, alors qu’il levait la main, son accompagnatrice lâcha.
— Tu recommences et tu perds ta main.
Sa voix possédait d’un ton qui poussait à croire qu’elle ne blaguait pas. L’homme au soda le ressentit, baisa la main en affirmant qu’il ne faisait que lui souhaiter la bienvenue, et poursuivit son chemin. Nathan remercia ce geste dans son for intérieur et poursuivit sa route. Il accrocha plusieurs personnes qui cessèrent leur occupation du moment pour le suivre. Lorsqu’il traversait une immense bibliothèque, tous les lecteurs abandonnèrent leurs livres et lui emboitèrent le pas. Lorsqu’on le mit dans une cellule, ils le dévisageaient entre les barres enflammées, en émettant des critiques du genre : « C’est lui qui a tabassé l’escouade 23, mais ce n’est qu’un gosse. » et « Alors c’est ça un angalion, je ne m’attendais pas à autant de lignes. »
Nathan les regardait aussi. Il espérait repérer une tête familière. Carla ou Clara, Jo, Nobody ou Rhoda. Il fit chou blanc. Les mains toujours ligotées, il s’assit sur le seul meuble disponible (un banc de brique) et sentit une pression dans sa poche. L’egmadum ! Il se redressa très vite en espérant qu’aucun d’entre eux n’ait remarqué la petite boule. Heureusement pour lui, ils étaient trop attirés par sa frimousse que son pantalon. Nathan entendit son cœur pomper à cent à l’heure malgré l’essaim devant lui.
Il devait lancer l’engrenage de son plan farfelu. Attraper l’egmadum, se blesser, y verser son sang et cliquer sur le bouton. Des gestes simples comparés à ce qu’un héros de film d’action devait faire. Pourtant, la pression qu’il ressentait à ce moment était comme s’il portait le sort du monde. En vrai, ce n’était pas si éloigné de la réalité. Une mère était un univers à elle seule. De plus, il venait à peine de rencontrer la sienne.
Nathan marqua les cent pas dans sa cellule en espérant que ces gens cesseraient de le regarder comme une bête de foire. Le temps lui manquait pour réfléchir. Ses lignes finiront par s’en aller, ses griffes aussi et se blesser sera impossible. Merde. Et s’il sortait cette boule, comprendraient-ils ce qu’il faisait ? Peut-être qu’il le prendrait pour un de ses jouets. Si cet artefact était aussi unique que Zuri avançait, les chances pour que ses cinquantaines de curieux le reconnaissent restaient minces. Malgré tout, il ne se sentait pas d’attaque à prendre le risque.
L’adolescent tournoya sur lui-même, analysa la forme de la pièce, et se motiva par des mots flatteurs. Cela le calma, et le calme lui fit réaliser que son état pouvait changer d’un instant à l’autre. Il se retourna de profil, de façon à ce qu’il puisse sortir la boule de sa poche le plus discrètement possible. Les mains ligotées n’aidaient pas et il avait peur qu’on le soupçonne de manigancer un tour. Il résista tout de même. Bien, le plus dur était derrière. Il ne restait plus qu’à enfoncer une griffe dans sa paume, remplir la sphère de son sang et appuyer. Il enchaina ces étapes avec une maladresse inhabituelle, mais il les enchaina. Il regarda la dernière goutte de son sang tomber dans le récipient avant de le refermer avec le sentiment du travail bien fait. Un sourire déchira ses lèvres et tout son pessimiste s’envola. Il allait réussir sa part du travail. Et très bientôt, il serait loin de cet endroit avec sa mère.
Il se retourna et appuya sur le bouton.
— Que tient-il dans les mains ?
— Une boule.
— Non, c’est autre chose.
Nathan réappuya sur le bouton et toujours rien. Les questions, et les doutes. Éviter les questions et les doutes. Il regarda l’egmadum de près, espérant voir un phénomène qui sortait de l’ordinaire (autre que ce qu’il avait sous les yeux, bien sûr). Il arriva cinq secondes plus tard, toutefois, ce à quoi il espérait. Rhoda venait d’apparaitre dans cette foule curieuse et semblait se porter à merveille. Pas de traits apeurés, pas de chaines, pas de corde ou cou.
— Maman ?
— Nathan ? Comment ça se fait que tu sois ici ?
— Je… viens te sauver.
Tout le monde regarda Rhoda avec une mine disgracieuse. On aurait pu croire à un bug généralisé. Ils assimilaient ce qu’ils entendaient le plus vite que possible, mais cela leur paraissait impossible. Nathan, quant à lui, faisait la même chose, mais l’egmadum soudain alourdit attira son attention. Il chauffa à un point où il fut obligé de le lâcher par terre. Une fumée noire s’en éleva, virevolta avant d’exploser dans un bruit sec.
Son père venait d’apparaitre, les points brillants d’un rouge assoiffé.
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