66

Nathan hurlait toujours, mais il avait entendu. Il se souvenait de son cauchemar, de sa panique, de cette corde que sa mère portait comme collier. « Éviter que cela arrive ». Son père avait raison. Il ne devait pas flancher dans un moment aussi décisif. Il s'en voudrait pour le restant de sa vie.

Il avait rêvé tant de fois de retrouver ses vrais parents. S'il parvenait à sauver sa mère, cela deviendrait réel. Il avait passé l'âge, mais il tiendrait volontiers leur main, visionnerait Mr Been un samedi après-midi, dégusterait des omelettes en avalant du jus d'orange.

Il arrêta de gueuler et se concentra sur ces projets brumeux. Il pouvait tout supporter et si cela pouvait l'aider, il se prendrait un instant pour Dieu. Tout puissant et inébranlable. Ses larmes cessèrent de couler, à moins que ce ne soit la chaleur de son corps qui les avait évaporées. Le cercle du sable s'ébranla, se déforma et reprit sa forme initiale. Toutefois, une petite quantité s'était détachée du reste et se dirigeait vers la carte.

- Ça marche ! cria Théo. Continue Nathan.

Nathan perçut tous les décibels d'excitation que contenait la voix de son père. De plus, il l'avait appelé par son nom pour la première fois. L'effet que cela lui procura en compagnie de la douleur fut déplaisant. Un mauvais souvenir de plus. Mais peu importe. Ça marchait ! Sa mère était vivante ! Là, quelque part aux États-Unis ou dans le reste du monde. Cela mit son moral plus haut que l'Everest. Il se sentait puissant, chanceux, Dieu. Bon, là, il forçait trop.

Son imagination continuait de fixer ces projets idylliques afin de l'encourager tandis que la magie traçait le chemin. La sphère se coucha sur la carte, s'éparpilla, se reforma en : USA. Se déforma pour reformer : Texas. Et s'éparpilla de nouveau pour composer une adresse beaucoup trop précise : « désert de chihuahuan »
« Château d'angora »

Théo montra ses dents qui parut s'aiguiser sous les rayons lumineux, hocha la tête, se tourna vers Zuri pour lui informer qu'ils avaient réussi.

*

Nathan regardait l'artéfact scintillant avec fascination. Il se demandait comment un si pauvre objet pourrait téléporter des gens dans un édifice protégé par une magie consciente. Zuri, le bec de sa pipe collé aux lèvres, lui avait marmonné des phrases explicatives sans précision. « Cet artéfact est unique. Elle peut transporter pour un voyage aller-retour des êtres vivants aux environs de vingt-mille kilomètres. La quantité dépend de la source dans laquelle il puise. »

L'accessoire en question était une boule sphérique qui s'ouvrait en deux. Le bas contenait une petite dague, et le haut, un bouton. Sa surface semblait d'orée et d'étranges symboles la décoraient. Des portes, des courants d'air, des chevaux. Son nom : l'Egmadum. Stylé certes, mais tout au fait inapproprié. Il n'aidait pas à l'apprivoiser. Qui se sentirait à l'aise à prononcer Egmadum ? On aurait dit la langue des elfes dans le seigneur des anneaux.

Son très cher père s'ouvrait à lui. Il le sentait plus vivant. Son cœur battait plus vite. Son sourire devenait trop facile. Et ceci, depuis trois heures. Nathan croyait qu'il n'était pas épris de Rhoda, mais peut-être qu'il se trompait. Peut-être que Théo aimait comme seuls les adultes pouvait aimer. C'est-à-dire avec beaucoup de disputes, quelques jurons par-ci, par-là. Cette perspective lui embauma le cœur de bonne vibration. Cependant, il émettait quelques réserves. L'expérience lui avait appris que les adultes mentaient aussi bien que le diable.

Nathan se portait bien et n'éveillait pas le désir de piquer un petit somme. Ce qui l'étonnait. Après une telle dépense d'énergie à endurer une douleur atroce, il s'attendait que son corps réclame du repos. Soit il devenait plus fort. Soit l'ultimatum de la mise à mort de sa mère le boostait.

- Tout ce que tu as à faire avec l'egmadum, précisa son père, est de verser ton sang dans la sphère, de la fermer et d'appuyer sur le bouton.

- C'est aussi simple que cela ?

- Aussi simple fiston.

- Alors, pourquoi ne pas mettre mon sang dès maintenant, pour ensuite l'utiliser une fois dans le château ? Si toutefois ils m'y conduisent.

- L'artéfact doit être utilisé avant les cinq minutes qui succèdent à son remplissage. Et ne t'inquiète pas, l'objectif des gardiens est avant tout de te capturer. C'est donc logique qu'ils t'emmènent dans leurs précieux repères.

- Et pourquoi c'est moi qui dois l'activer ? Tu es plus puissant que moi.

Il posait beaucoup de questions et remettait en cause tout et n'importe quoi. De quelle autre manière pouvait-il exprimer son angoisse à l'idée de se jeter dans la gueule du loup ? Un loup qui disait protéger des humains en plus. Cela l'apeurait de ce retrouver face à ces questions qui commençaient à le peser. Quelle menace représentait-il pour l'humanité ? Il était loin de vouloir philosopher, mais il pensait dur comme fer que l'on jugeait les gens selon leurs actes. À sa connaissance, il n'avait rien fait pour mériter ce qualificatif. Sauf Nobody, bien sûr.

- Parce que votre énergie est différente, répondit Zuri. Pour faire court, nous allons faire croire à la magie qui protège le château que c'est l'énergie de Rhoda qui utilise l'egmadum. Ce qui n'est pas trop compliqué vu que c'est ta mère et qu'elle est probablement enregistrée au système, elle acceptera. Par contre. Tu te doutes bien que, pour ton père c'est différent.

Nathan détira son corps en serrant la sphère dans sa main. Étrangement, il comprenait les explications de la sorcière. En gros, il était la copie d'une carte d'accès.

- Ouais. D'accord. Je vois.

- Bien.

- Et vous êtes sûr qu'ils ne vont pas me tabasser quand ils viendront me chercher ?

- Sur et certain.

- Ok. Que le spectacle commence.

Une heure plus tard, Nathan se trouvait dans une petite ruelle. Des gens et des voitures circulaient vingt mètres plus loin, insensibles à ce qui se passait. Nathan ne leur en voulait pas. Comment pouvaient-ils comprendre de toute manière ? L'adolescent souffla, s'appuya sur les murs moisis et inhala une odeur de pisse de chat, ou de chien, ou des deux. Il réalisa que cela pourrait être le dernier parfum urbain de sa vie. Non. S'il commençait à penser de cette manière, il y avait de forte chance que ses peurs prennent vie. Il fallait se concentrer sur sa partition dans cette mélodie dangereuse et faire confiance au restant de la bande.

Nathan regarda l'Egmadum dans sa paume avant de l'envoyer dans sa poche. Il allait devoir se transformer, et quoiqu'il maitrisait un peu mieux ses métamorphoses, l'élément déclencheur demeurait la douleur. Ses pensées dérivèrent un instant vers les voitures. Se faire percuter serait un moyen de jouer la comédie à fond. Ce serait exagéré ! Et bien qu'il s'était mangé une foudre en plein bide sans garder la moindre égratignure, il ne faisait pas confiance à son corps. Rien n'expliquait sa résistance. Il joua avec ses doigts avant de les mordre de toutes ses forces.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top