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— Mais le lion ne se considère pas en tant que tel. Jamais il ne pensera quelque chose du genre : « Ah ? Je suis monstrueux. Je mange une gazelle. » Mais sacre bleu, c’est dans l’ordre des choses qu’il y ait des prédateurs et des proies.

   Il entrevoyait la lumière au bout du tunnel. Ce qu’elle disait avait du sens.

— Un monstre est une idée propre à l’homme. Il exprime ce qui échappe à leur compréhension ou qui diffère de leur bon sens.

— Je vois, répondit Nathan en mimant un visage studieux.

   Il comprenait que dalle et n’avait aucune envie de pencher sur des sujets aussi sérieuses.

— Tu mens comme un cancre gamin.

— Désolé. Mais je pige l'essentiel. Je suis un monstre parce que je suis différent et potentiellement dangereux.

  La sorcière cessa d’inhaler son poison et hocha la tête avec une expression qui laissait croire qu’il disait vrai. Nathan se sentit fier et poursuivit.

— Si c’est vrai, je trouve que les gardiens sont de vrais idiots. Un peu comme vous avec votre pipe.

   Il reçut un bouquin en pleine poire la face.

    Plus tard, en se promenant entre quelques arbres, il pensa beaucoup à Gûl. Le personnage qui avait illuminé sa journée et qui ressentait de l’admiration ou de la crainte envers Théo. Difficile de savoir. Son père possédait assez de charisme pour provoquer le respect et assez de force pour l’imposer.

   Peut-être qu’il l’avait tué. Non. Théo ne pouvait pas éliminer une créature aussi mignonne. Il donnerait tout ce qu’il avait pour pouvoir discuter avec lui. Dire qu’une bête tout droit sortit d’un cerveau délabré, était l’unique être à qui il pouvait parler sans retenue, ne le dérangeait pas. Gûl ne lui promettait pas d’écraser une société secrète pour ne plus avoir à fuir. Il ne lui donnait pas l’impression d’être un tueur en cavale. De plus, il voudrait revoir ses petites cornes et ses grands yeux.

   Nathan passa une bonne partie de son temps à l’ombre des arbres et écouta la mélodie du vent. La musique l’apaisait. Une heure, plus tard, il déjeunait seul dans la grande salle à manger et attendit la nuit avec un certain agacement. Lorsqu’elle arriva, il se coucha dans son grand lit, tira la couverture soyeuse et ferma les yeux.

*
Une lune rouge flamboyait dans le ciel. Il avait froid. Très froid. Son cœur dansait un rythme fou dans sa poitrine et il ignorait pourquoi. Venait-il de courir ? De soulever des haltères ? Peut-être. Néanmoins, ce n’était pas un endroit pour faire gonfler les pectoraux. Tout était si noir.

   D’un coup, ses pieds plongèrent dans ce qui pourrait être de la boue. Son corps entama une descente lente dans ce liquide étrange, pourtant, il n’éprouvait aucune panique. Ce décor lui paraissait familier. Il flotta un moment et tomba sur la face. La douleur dura trop peu de temps. Il eut chaud. Très chaud. À un point qu’il ne serait pas étonné de cramer. Les ténèbres l’enveloppaient. Ça ne le dérangeait pas. Il s’y sentait en sécurité. Personne ne pouvait s’en prendre à lui vu qu’il n’y en avait pas.

   Soudain, un cri strident éveilla sa méfiance et réamorça la cadence de son cœur. Il se retourna sur lui-même à plusieurs reprises. Quelqu’un était là. Le danger aussi ? Cette dernière question s’envola quand la voix de Rhoda émana de ce monde obscur. « Nathan. Nathan », chantait-elle. Il voulut marcher dans la direction de cette douce mélodie, mais comment faire lorsqu’elle venait des ténèbres elle-même ?

— Nathan, réponds-moi ! lança sa mère.

— Je suis là. Où es-tu ? Je ne te vois pas.

— Tu sais très bien où je suis.

— Je l’ignore.

   Le bruit d’un papier que l’on déchirait se fit entendre. Un éclair déchira l’obscurité à sa droite avant de s’élargir. La lumière blanche dévora la nuit et dévoila sa mère avec une corde autour du cou. Son visage trempé de sueur exprimait une peur immense. Deux personnes portant des masques noirs et armés d’épée l’encadraient.

   Il courut vers elle de toutes ses forces. Sa mère ne pouvait pas mourir maintenant. Il venait à peine de le connaitre et ce serait injuste de le lui enlever. Ses larmes s’envolaient et s’écrasaient sur un sol aussi blanc que l’horizon au rythme de ses pas.

— Si tu ne viens pas me sauver, je mourrai dans les prochains jours, entendit-il juste avant que quelqu’un qu’il n’avait pas vu lui tranche le cou.

   Nathan se réveilla en sueur dans le lit et pressa sa couverture. Son souffle court se perdait dans la chambre vide et, pour la première fois, il regretta qu’il n’y eût personne. Il avait besoin de serrer de la chaleur humaine. De savoir qu’il était toujours vivant et ancré dans cette réalité de merde. Il venait de rêver. Ce qui était une bonne et une mauvaise nouvelle. Sa tête s’accrochait toujours à son cou, mais sa mère allait mourir. Il n’avait pas de quoi l’affirmer haut et fort, mais c’était évident. Voici la deuxième fois qu’il rêvait ainsi.

   Il sauta hors du lit et ressentit enfin la douleur qui lui broyait les tempes. Il y posa les doigts et les massa de toutes ses forces. Bordel, quel mal de chien ! Et quelle poisse ! Lui qui pensait que les choses s’amélioraient. De toute évidence, il se trouvait en sécurité dans ce manoir. Il connaissait désormais son père et sa mère. Il ne s’était pas transformé depuis des jours. Bref, il recommençait à gouter à ce qui pourrait s’appeler une vie normale. Mais non, Dieu ou le père Noël ne pouvait pas lui accorder ce cadeau. Il était un enfant très sage. Bon, il pouvait manquer quelques cours, trainer dans une salle autre que la sienne, emprunter quelques stylos qu’il ne rendait jamais. Mais cela ne méritait pas qu’il se fasse guetter par un groupe composé de psychopathes, que son père soit leur ennemie numéro un et que la mère qu’il venait de connaitre puisse mourir si tôt.

   Nathan arrêta son massage crânien pour effectuer des allers-retours dans sa chambre. Il devait se calmer et réfléchir à froid à la situation. Un rêve ne méritait pas qu’on se prenne autant la tête. Il se mordit toutefois la langue en se précisant que ce n’était pas qu’un cauchemar. Ce stress extrême qui le transperçait de partout l’avait déjà traversé la nuit où Jannick s’est fait tuer. S’il ne se trompait pas, alors cela signifierait qu’il serait un genre de médium. Il savait prédire l’avenir.

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