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   Nathan ignorait si les morphes buvaient de l’alcool, mais ils prenaient à coup sûr une substance hallucinogène. Des champignons magiques poussaient dans la forêt dans laquelle il venait. Les monstres venaient des forêts, non ? Il faisait peut-être du préjugé, mais peu importe.

— Tu veux parler des gardiens ?

— Oui.

   Il entendit un bruit derrière lui, se retourna et tomba nez à nez avec Théo. Ce dernier portait toujours son élégant costume noir, quoi. Ses boucles d’oreilles balançaient et l’expression de son visage se déchiffrait péniblement. On aurait dit qu’il était contrarié.

— Je vois que tu as rencontré mon bon copain Gûl, débuta Théo.

   Le morphe se dressa sur ses pattes avec une rapidité déconcertante et bredouilla des mots qui ne lui correspondaient pas. Gûl semblait inquiet. Avait-il peur de son père ? Peut-être. Son statut de numéro un des MNG parlait de lui-même.

— Il n’a rien fait, lâcha Nathan pour prendre la défense de son ami. Il ne l’était pas officiellement, mais il marchait dans la bonne voix. On discutait.

   Théo offrit un sourire déchiré qui contrastait à ses signaux de tout à l’heure.

— Mais fils, pourquoi dis-tu cela ? Ne me dis pas que tu penses que j’aurais fait du mal à mon ami. Ce serait comme une insulte.

   Nathan n’avait aucune envie de l’insulter, alors il changea de disque.

— Je ne t’insulte pas.

— Alors, vous aviez fait connaissance ?

— Oui, répondit Gûl, la tête baisée.

— Ok. Retourne à la base pour prévenir de notre arrivée. Dis-leur que mon fils arrive.

— Bien, maitre.

   Nathan regarda Gûl s’en aller en espérant qu’il lui dirait un « à plus crétin ». Mais non. Il disparut entre les troncs d’arbres sans se retourner. Attends, quoi ? Son fils arrivait ? Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ? Ses pieds devinrent flageolants et son ventre gargouilla son envie de chier.

   Ah ! Venait-il de rentrer dans un gang de monstres, pour de vrai ? Nathan s’imagina une clope à la gueule, jouant au casino avec diverses créatures plus bizarres les unes que les autres en jurant sur la tête des gardiens. Dire qu’il parvenait à sortir des scènes pareilles. Son cerveau partait en vrille. Nathan se sentait aussi insignifiant. Il ne pouvait pas confier à son père qu’il n’avait pas encore la force de rentrer dans un nouveau pétrin. Il en avait déjà beaucoup. Néanmoins, son père ne semblait pas être le genre de personne à qui l’on disait non.

— Comme je te l’ai promis hier, fiston, poursuivit-il en passant un bras sur son cou, je vais te présenter à quelques personnes.

   Un trou noir aspirait la poitrine de Nathan. Théo venait de l’appeler fiston et l’avait touché pour la première fois. Il n’était pas du style à tergiverser sur ses émotions. Il laissait volontiers cette qualité à Stephan. Pourtant, là, il aimerait pouvoir noter chaque détail de cet instant si particulier. Le vent qui chantait, les rayons de soleil qui éblouissait leur peau, les feuilles qui tombaient. L’herbe qui dodelinait. Le parfum. Ainsi, il pourrait toujours rejouer la scène dans sa tête. Il touchait son père biologique.

Ce sentiment d’extase ne dura pas. La réalité l’attrapa bien vite.

— Et pour faire quoi ?

— Pour faire connaissance. Et pour te montrer que tu peux avoir confiance en moi.

— J’ai confiance en toi.

— Tu mens très mal. Je ne connais pas très bien ta mère, mais je suis certain qu’elle t’a dit de te méfier de moi.

   Nathan baisa la tête et affirma son accusation

— Je sais que tu viens d’arriver, mais il est très important pour moi qu’on puisse se comprendre.

— D’accord. Alors je dois savoir pourquoi es-tu numéro un des monstra non gratta.

— Parce que je veux détruire la confrérie des gardiens.

— Et pourquoi veux-tu les détruire ?

— Pour ce qu’elle est. La personnification de ce que sont les humains. Des êtres stupides qui se croient tout permis. Qui croient que le monde leur appartient. Ils fixent des règles qu’ils ne respectent pas, décident de qui doivent vivre ou non. Alors qu’ils sont faibles. La confrérie veut que les monstres vivent cachés, alors que c’est l’inverse qui devrait être la norme.

   Quelques-uns de ses neurones grillèrent. Les mots de son père lui donnaient un tel choc, qu’il s’était arrêté de marcher. Qu’est-ce qu’il racontait ? Les hommes devraient vivre dans l’ombre et les monstres, dans la lumière. Cela semblait aux scénarios d’une histoire clichée.

— Je ne serais pas étonné que tu remettes en question ce que je dis. Reprit Théo. Sachant que tu te croyais humain depuis pas si longtemps, ce serait logique. Un fabuliste français avait écrit un jour : « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». Il n’y a rien de plus censé. Et c’est totalement vrai. Le monde est régi par la force et c’est elle qui dicte l’ordre des choses. Nous sommes plus fort que les humains, alors pourquoi diable nous cacher ?

   Même si cela lui faisait mal, Nathan devait avouer que cette phrase possédait une certaine vérité.

— Mais les humains sont plus nombreux, lâcha-t-il avec conviction.

— Et alors, il y a environ deux fois plus de poulets sur terre. Cela ne les empêche pas de les cuisiner.

  Nathan prit du temps pour digérer cette comparaison. Des humains et des poules. Il commençait à cerner l’aura dangereuse de cet homme. Il voulait tout changer : un projet qui semblait utopique, voire irréalisable. Néanmoins, Nathan se remémora le sentiment d’invulnérabilité éprouvé lorsqu’il affrontait les masques noirs. Il se dit que ce projet pourrait ne pas être assez utopique. Il suffirait d’une armée et d’un commandant avec un idéal. Théo, dont l’aura dévorait l’air, pourrait bien être ce personnage-là.

   Nathan frissonna et pensa aux photographies qui bordaient l’escalier de son ancienne maison. Il se souvenait de chaque cliché. Les arbres verts qui partageaient ses premiers pas dans un parc. Les draps de Bob l’éponge qui couvrait un bébé Brayden déjà turbulent. La joie de Belinda et d’Edgard dans leur tenue de mariage. La salopette bleue que portait Greta en jouant avec une baguette magique… Pour la première fois depuis longtemps, il regrettait de ne pas pouvoir les admirer. Et même que la maison des Osborn lui manquait. Les problèmes d’ados qui tiraient la gueule à cause de poussées d’hormones et de manques de repère lui semblaient si misérables.

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