55
Dix minutes plus tard, il accostait une table de six mètres de long, parfaite pour des diners en famille. Mais ils n’étaient que deux. Nathan essaya de se concentrer sur son plat fumant. Sa cuillère remua la soupe de fond en comble avant d’attaquer la première gorgée. Pourquoi se retenait-il autant ? Il devait se sentir en sécurité. Son père mangeait à ses côtés. Bon, un père à peine rencontrer, mais un père quand même. La patate douce réveilla son appétit et l’aida à enchainer.
— Tu aimes bien la soupe, à ce que je vois.
— Oui, c’est très bon.
— Tant mieux, si t’en veux encore, il suffit de secouer cette cloche.
Quoiqu’il mourait d’envie, Nathan ne toucha ledit objet que des yeux. Le silence retomba dans la pièce et laissa ses doigts astiquer la nappe.
— Ah rien ne vaut une bonne soupe de patate douce. Et les petits morceaux de viande, un pur régal.
— Hmmm hmmm !
— T’es pas très bavard, on dirait.
Nathan fronça les sourcils. En effet, cela faisait un bout de temps qu’il préférait le silence. La période avec Jannick ne fut qu’une petite trêve.
— Je ne sais plus. Mais… bien évidemment, j’ai des questions pour toute une éternité.
— Ça tombe bien, on est éternelle ! exclama théo en jouant avec une de ses boucles d’oreilles.
Il ignorait la réponse adéquate à cette phrase. L’éternité n’avait jamais été du domaine de l’homme. Homme ? Il ne l’était plus.
— Qu’est-ce que je suis ?
Théo abandonna sa distraction et se pencha vers son fils. Signe qu’il allait lâcher des mots importants.
— Aucune idée.
Quuuuuuuooooooooiiiiiiiiiii !
— Je ne comprends pas. T’es bien vieux de deux-mille ans non. Comment peux-tu ne pas savoir ? On est censé être pareil ?
— Deux-mille ans ? Je ne sais pas. Dans les environs peut-être. Mais être vieux n’est pas synonyme de connaissance.
— Mais…
— Écoute, fils. Quand cette bénédiction m’est tombée dessus, j’étais comme toi. Accablé de question que personne ne pouvait répondre. Cela me dévorait tel que mes sommeils s’en trouvaient écourtés. Étais-je un ange ou un démon ? Fils de Dieu ou du diable ? Pourquoi moi ? Dans quel but ? J’ai remué ciel et terre pour trouver, mais tu sais ce que j’ai fini par comprendre ? Certaine question sont juste là pour nous rappeler qu’on existe et non pour être répondu.
Nathan buvait le monologue de son père avec fascination. Ces mots contenaient tant de bon sens qu’il ne les remettait pas en cause. Si lui, l’originel n’était pas parvenu à trouver le moindre indice sur sa nature, alors il devait commencer à s’habituer à l’idée de vivre dans l’ignorance. Si toutefois il disait vrai. Un coin du cerveau de Nathan gardait l’avertissement de Rhoda. Il ne pouvait pas lui faire confiance.
— Même les gardiens ignorent ce que tu es ? questionna Nathan pour vérifier un truc.
— Même les gardiens.
Tout s’enchainait trop vite dans ses pensées. La fatigue n’aidait pas beaucoup. Pourquoi un groupe censé protéger le monde traquerait une créature lui étant totalement inconnue ? OK, pour son père, avec tous ses potentiels crimes à son actif, il comprenait. Mais pourquoi le traquait-on ? Sa pathologie ne présentait pas de symptôme dangereux comme dévoré d’humains. Cela ne tenait pas la route.
— Mais ils nous appellent angalion. Je ne sais pas pourquoi. Ils en avaient peut-être marre de m’appeler l’unique.
— Pourquoi te traquent-ils ?
Théo recula et croisa ses bras. Son visage changea du tout au tout. Une colère à peine dissimulée brillait dans ses pupilles.
— Comme si de telles vermines pouvaient me traquer.
— T’as commis des crimes ?
— Quand on est fort, on ne fait que justice. Mais on parlera de tout cela demain, et j’en profiterais pour te présenter des amis à moi. Par contre t’as besoin de te reposer.
Théo attrapa une cloche et l’agita. Deux secondes plus tard, une femme de ménage apparut, reçut l’ordre de l’emmener à une chambre, invita monsieur à bien vouloir l’excuser et se mit à la tâche.
Nathan arpenta encore une fois les couloirs de cette immense maison durant plusieurs minutes avant d’arriver à destination.
Sa chambre était quatre fois plus grande que celle d'antan, le lit tiendriat cinq personnes. Il y avait même sa douche personnelle. Une grande fenêtre laissait voir les tas d’arbres qui occupaient le périmètre de la propriété. Voici donc les avantages de la richesse. Ben, mine de rien, cela lui plaisait.
Nathan enleva ses baskets, et déposa la plante de ses pieds sur le sol froid. Il s’amusa à les frotter un instant pour ensuite se jeter sur le lit. Il aurait voulu sauter, comme le faisaient si bien ses gens stupides de la télé, cependant, les poids de sa condition l’en empêchèrent. Qu’allait-il advenir de lui ? Longtemps qu’il désirait ses véritables parents. Désirer paraissait un bien grand mot. Il y pensait comme on pouvait penser que la terre tournait autour du soleil. C’est-à-dire, parfois. Maintenant, que cela prît vie peu à peu, cela l’embêtait. Sa mère et son père étaient aussi compatibles que l’eau et le feu.
Nathan se releva du lit et scanna la chambre, une tristesse enfouie dans son estomac. Que donnerait-il pour voir Greta pousser cette porte et l’inviter à venir jouer avec madame Poloch. Ce serait un oui immédiat. Même Brayden serait la bienvenue. Ses amis le manquaient aussi. Il aurait dû prendre le temps de leur faire des adieux honorables.
Que devenait Aoki ? Si l’on faisait croire qu’il avait fugué, cette sale peste pourrait chiper la voiture de son père pour sillonner les routes. Il s’en voulait de la faire subir ça. Elle qui avait toujours été là. Devrait-il la téléphoner ? Bien sûr que non. Ce serait donner de faux espoir à une personne qui ne le méritait pas. Le mal était déjà fait, alors pourquoi ne pas en rester là ?
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