50

— C’est vrai qu’au premier abord, j’ai pas l’air prudente. Mais je vois mon fils pour la dernière fois.

   Le corps de Nathan givra sur place.

— Retourner vers ces gens qui veulent te tuer est une idée stupide. T’as assez de bagages pour les échapper, non.

   Il n’était pas sentimentaliste. Néanmoins, il ferait une exception. Après tout, cette femme, en plus d’être sa mère, le protégeait depuis pas toujours.

— Ok bon, je vais arrêter de me marrer. Ils ne savent pas que je suis ta mère.

— Quoi ?

— Disons qu’ils ne le savent plus. Je peux effacer des souvenirs récents des gens.

   Nathan s’arrêta au milieu de la foule, la bouche traçant un o.

— C’était toi, pas vrai ? demanda-t-il. À mon douzième anniversaire. Tu as effacé mes souvenirs.

   Deux secondes passèrent.

— Oui. Tu ne le savais pas ?

   Nathan reprit sa marche. Ses yeux fixaient le trottoir sans le voir. Encore une évidence qu’il n’avait pas vue.

— Mais pourquoi ?

— Pour mettre sur pause tes… anomalies.

— Je veux dire pourquoi n’as-tu pas effacé toute ma mémoire ? Pourquoi n’as-tu pas effacer la vérité sur Belinda et Edgard ?

— T’aurais aimé que je le fasse ?

   Il admira les beaux pupilles de Rhoda. Elle posait souvent de bonnes questions.

— C’est mieux comme ça, je pense. Lâcha-t-il plus tard.

— Je pense aussi.

  Le décor changea. Il n’y avait plus de bâtiment imposant aux allures fières. Les derniers rayons mielleux avaient laissé place aux étoiles. La chaleur pesait toujours. Nathan marchait à côté de sa mère dans les rues de cette grande mégalopole. Il se sentait gêné, chanceux, en danger (cela allait de soi). Des tas de questions remuaient dans sa tête. Il avait envie de les plaquer dans la face de Rhoda. Néanmoins, c’était leur dernière soirée ensemble et il ne voulait pas tout gâcher. Alors, il continua de marcher, les doigts ankylosés entre les siens.

   Quinze minutes plus tard, ils s’assirent sur un petit banc logé entre deux réverbères et regardèrent les gens défiler. Rhoda libéra ses doigts et il put les étirer discrètement. Il n’avait pas l’habitude de tenir la main de quelqu’un aussi longtemps. Sauf Greta. Elle le manquait fort.

— Comment va Belinda ? demanda-t-il.

— Elle s’inquiète pour toi. Edgard et mes nièces aussi.

— Et Aoki ?

— Qui c’est ? Ta petite-amie ?

   Nathan sursauta. Heureusement que sa peau ne pouvait pas le trahir, sinon, il aurait tapé la honte de sa vie. Il savait qu’il devait laisse passer quelques secondes avant de répondre au risque de perdre de la voix.

— C’est ma meilleure amie.

— Ta meilleure amie, répéta Rhoda dans un sourire qu’il n’aimait pas du tout.

— Oui. Et il y a aussi Ophélia et Stephen.

— J’en sais rien, mais si ce sont de vrais amis, ils doivent se sentir tristes.

   Nathan eut envie de battre les jambes sur le banc. Il savait bien longtemps que sa disparition peinerait ses amis. Mais il avait préféré ce fait pour rendre tout ça moins pénible.

— T’as peut-être raison. Et…

   Le reste de sa phrase ne voulait pas sortir. Il accepta leur volonté et le laissa se terrer dans le fond de sa tête. Il respira à fond, craquai les doigts et admirai le paysage. La nuit était tombée et les ampoules avaient pris le relai. L’afflux de circulation avait baissé. Tout le contraire de la parade des voitures.

   Nathan se demanda pourquoi se trouvait-il ici. Sur un banc des rues de New York à reluquer les passants. Il se demanda aussi pourquoi il avait l’impression que Rhoda était une femme trop normale pour être chasseuse de monstre. Comme Jo, Nobody et Carla. Ces fils de putes responsables de la mort de Jannick. Il plongea dans le ciel en imaginant l’endroit où se trouvait son ami désormais. Le paradis ? L’enfer ? Surement un endroit plein de Steak.

— À quoi penses-tu ? demanda Rhoda en enfilant sa capuche.

— À Jannick.

— Bien sûr.

— Il a de la famille ?

— Non. Elle a été décimée par une guerre de meute. Seule sa petite sœur avait survécu.

   Nathan plissa le front et prêta plus d’attention.

— Il avait une petite sœur.

— Oui, mais, cela ne s’est pas bien terminé non plus.

   Les lignes creusèrent davantage son front.

— Que c’est-il passé ?

   Elle hésita un moment.

— Elle a été tuée par les gardiens.

   Nathan encaissa ce coup. Il repensa à la fleur jaune dormant sur la petite table. La touche parfaite pour une petite sœur attentionnée. Les traits d’un homme maltraité par l’existence dessinaient son ami. Enlever dès son jeune âge, subir des expériences pour endiguer son démon. Famille décimée…
Il pensa à Greta à ses petites fossettes, ses yeux marron et sa voix criarde. Il ne s’autorisait même pas imaginer de la voir… partir.

— Et je suppose qu’il s’est vengé sur tout ce qui bougeait.

— On peut dire ça.

— Je commence à croire que les gardiens ne sont pas aussi héroïques qu’il devait l’être.

    Rhoda éclata un rire qui vexa son fils. Il n’était pas du genre à se prendre trop au sérieux, mais un sujet aussi capital devait être abordé avec respect, non ? Heureusement, cela ne dura pas longtemps.

— Héroïque. Tu sais. Ce mot n’est qu’une pure connerie. Mes longues années dans la confrérie me l’ont fait comprendre. Le terme héros est juste là pour faire oublier l’inoubliable.

  Qu’est-ce qu’elle racontait là ? demanda Nathan in petto. On aurait dit une formulation d’un vieux penseur de l’antiquité.

— Je ne comprends pas, mais ça veut surement dire que tu n’es pas un héros. Pas vrai ?

— C’est vrai que je protège le monde.

   Rhoda passa sa langue sur ses lèvres et tira sur un lacet de son sweat. Les ténèbres de la nuit la rendaient moins brillante, mais on apercevait toujours cette vivacité dans son regard.

— Je me bats pour de bonnes causes. Mais ça n’empêche pas de se forcer à se remettre en question parfois.

— Sur quoi, par exemple ?

— Je n’ai pas envie de parler de ça maintenant. Je te rappelle que c’est notre dernière soirée. Parle-moi un peu de toi.

   Nathan comprenait son désir d’oublier l’échiquier auquel elle appartenait. Au fond, lui aussi voulait en faire de même, cependant, toutes ces zones vides lui démangeait.

— Je n’arrive pas à jouer la comédie. Loin de moi l’idée de te vexer. Au contraire, j’apprécie cette soirée, mais j’ignore tant de choses sur ce monde qu’il m’est impossible de penser à tout ce que je ne sais pas.

  La main chaleureuse de Rhoda saisit la sienne. Cela lui procurait cette même sensation de bienêtre. Était-ce de la magie ?

— Je te comprends. Mais si je devais retenir une leçon de toutes celles que m’a apprises la vie. Ce serait qu’il faut vivre sa vie en acceptant toute les paramètres qu’on ne peut pas contrôler.

   Encore de belles phrases, pensa Nathan.

   Quelques minutes plus tard, ils se levaient du banc pour retourner à l’hôtel. Il ne tenait plus la main de sa mère. Il se contentait de marchait à ses côtés. Sa peur prenait de l’ampleur. De temps en temps, il lançait une œillade sur Rhoda, afin d’étudier son expression. Pour deviner si elle allait lâcher un mot. C’était tout de même leur première et la dernière soirée ensemble. Sa patience porta ses fruits.

— Ton père est quelqu’un d’assez atypique. Petit conseil. Méfie-toi de lui comme la peste. 


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