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   On livra les plats quelques minutes plus tard. Il n’attendit pas sa mère. Le poulet arrosé de sauce épicée renvoyait une couleur dorée auquel il ne pouvait résister. Quand Rhoda enjamba la pièce, le corps à peine séché, elle prit une mine revancharde.

— C’est pas sympa de commencer sans moi.

— Décholé.

— T’as toujours eu un appétit exagéré.

   Nathan se mordit la langue.

— Et comment le sais-tu ? demanda-t-il en verrouillant son regard sur son front.

— Quand je le pouvais, je bavardais avec Bel et elle me donnait des nouvelles. Et parfois, je venais te voir.

   Rhoda se jeta à ses côtés.

— C’est mauvais d’espionner les gens.

— Suretout mon fils, mais que pouvais-je faire d’autre ?

   Elle attrapa une aile de poulet, le marina dans la sauce et y colla ses dents. Elle émit un soupir long comme un marathon en secouant la tête de bonheur. Ses papilles prenaient leurs pieds. Jouait-elle la comédie ? Comment pouvait-elle rester positive en sachant que Jannick venait de mourir ? Possédait-elle un cœur ? Il espérait se tromper. Après tout, trois jours s’étaient écroulés depuis cette nuit-là. Ce temps suffisait, peut-être, à faire son deuil.

— Non, mais, ce poulet est trop bon !

Elle jouait un rôle. Sûr de chez sûr.

— Arrête, tu me mets mal à l’aise, détonna-t-il.

Sa mère se figea avant de dire qu’elle ne comprenait pas.

— J’imagine très mal que tu peux être aussi joyeuse en sachant que Jannick est mort. N’était-il ton ami ?

   Il ne voulait pas déverser sa peine sur sa mère fraichement désignée, mais cela lui tenait à cœur de s’exprimer.

— Tu penses que je devrais me lamenter jusqu’à quand ? demanda-t-elle en attrapant une autre bouchée de viande. Deux, cinq, sept, vingt jours ? Désolé, mais je n’ai pas ce temps. J’ai risqué ma vie pour Jannick. Quoique c’était pour servir mes intérêts, cela vaut ce que ça vaut.

   Nathan allait rétorquer un mot qui lèverait une dispute, mais se ravisa en remarquant la mine blasée de Rhoda. Peut-être qu’il se trompait. Et pour qui se prenait-il pour la faire de reproche ? Un incapable comme lui ne méritait pas ce privilège.

    Rhoda aspira un peu de sauce et ses lécha les doigts.

— Tu sais, si tu commences à te biller pour sa mort, il est capable de ressusciter pour te mettre une raclée. Alors, fais gaffe !

   Ses paroles insensées lui arrachèrent un sourire. Un sourire qui enleva un poids sur ses épaules.

— Alors, je me billerais aussi fort que possible, pouffa-t-il.

— Ouais !

Le calme descendit et Nathan relâcha la pression. Il se concentra sur son plat pour savourer le délice de ce moment. Il se trouvait à New York, à partager un repas avec sa mère qu’il n’avait jamais vue. Des tas de questions ricochaient dans ses neurones, mais il ne voulait pas briser ce silence. Ce silence qui disait que tout allait bien.

   Une fois son plat terminé, Nathan accepta un verre de vin avant de soupirer de bonheur. Il ne fallait pas beaucoup pour être heureux. Un bon plat pouvait vous faire tout oublier. L’espace d’un instant en tout cas. Nathan se laissa du temps pour sa digestion et, dix minutes plus tard, il put se tenir sur ses pieds sans trembler. Il n’en abusa pas, tout de fois. Assis sur le canapé, il regarda le ciel à travers la cloison du balcon. Ce bleu aspirant lui mit beaucoup de penser dans la tête. Surtout des bonnes. Les épices de la sauce le poussaient à voir l’avenir avec optimisme.

   Il portait une charge qu’il ne cernait pas encore, une confrérie magique le traquait, néanmoins, sa mère et son père étaient en vie. Il connaissait leur nom : Rhoda Burnnett et Théo Arris. Bien qu’il ne semblait pas s’aimer à la folie, une vie de famille n’était pas à exclure. Dans le fond, n’était-ce pas son désir le plus ardent ? Avoir une mère et un père comme pas mal d’enfants sur terre. Il pouvait pardonner leur longue absence.

— Tu vas rester longtemps ? demanda-t-il, soucieux de la réponse.

   Rhoda inspecta sa mine et devina ses pensées.

— Non. Après ce qui s’est passé, la confrérie connait désormais le lien qui nous unit. Je suis la mère de l’enfant qu’ils veulent obtenir.

   Nathan se gratta le menton et regretta d’avoir trop parlé. Toujours ce problème de ne pas pouvoir fermer sa gueule quand il le fallait.

— Et pour les échapper, t’es venue t’installer dans un hôtel chic.

   Elle sourit.

— J’avais envie de m’offrir quelques jours de congé en compagnie de mon fils. Un fils que je n’ai jamais pû serré dans mes bras.

   Le sang monta très vite à la tête de Nathan. Le vertige et une pointe de mélancolie le gagnaient. Pourquoi se mettait-elle à jouer la sensible tout d’un coup ? Cela ne l’allait pas. Toutefois, il se garda d’émettre le moindre commentaire et flânait son regard sur le décor de la pièce. Personnement, cette situation le dépassait. Il ignorait la marche à suivre. Quelqu’un avait-il écrit un guide pour rencontrer ses géniteurs à l’adolescence ? Si oui, il en voulait un exemplaire. Il ne lisait pas beaucoup, mais il ferrait une exception pour cette fois. 

— Tu sais. J’ai passé beaucoup d’années à appréhender notre première vraie conversation. Je dois dire que c’est tout le contraire de ce que j’avais imaginé.

— Et tu t’es imaginé quoi ?

— Que tu m’attaquerais pour me tuer.

   Nathan tourna brusquement la tête et découvrit un sourire de Joker sur sa face. Ah pour une blague, c’était pas drôle du tout.

— Faut dire que je n’ai pas la force pour ça. Mais je prends note que t’as une imagination macabre.

— Mon travail n’aide pas du tout.

— Tu tues beaucoup de monstres comme moi ?

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