Cinquante jours avant l'Harmaguéddon🍁
Il était 17 h 30 et il pleuvait des cordes. Mon père m'avait dit de prendre mon parapluie avec moi, mais comme d’habitude je n'en avais fait qu'à ma tête.
J'étais là, dehors, mon sac à terre, adossée sur l’une des colonnes qui composait mon lycée. La Silver Hills High School, un lycée très réputé ici au Canada. À mon humble avis, ce n'était certainement pas à cause de tous ces bourges qu'il avait pour élèves, ni à cause de ces professeurs un peu tirés par les cheveux. C'était tout simplement à cause de l'étiquette « perfection » collée à cette école.
Dans ce lycée, tout le monde avait l'air tellement parfait, tellement poli, tellement beau, tellement intelligent, tellement tout, que vous pouviez vous demander si c'était possible d'avoir autant de perfection réunie en un seul et même endroit. Plus le temps passait, plus j'en voulais à ma mère de m'y avoir inscrite.
Je regardais à ma montre, 17 h 34. Le temps filait et il n'était toujours pas là. Ça faisait déjà dix minutes que mon frère m'avait dit qu'il allait venir me chercher, mais toujours rien. Devais-je en attendre plus venant d’un retardataire dans l’âme ?
Je continuais de regarder les gouttes d'eau tomber et former des flaques sur l'autoroute. Malheureusement, ce plaisir fut vite interrompu par une voiture qui s'engageait à toute vitesse sur l’asphalte. Elle venait de se garer devant l'établissement.
Il avait enfin décidé de se pointer.
Avant de dévaler les marches et d'entamer un sprint, je mis mon sac sur le dos et pris soin de cacher mes cheveux bruns sous ma capuche. C'était loin d'être un parapluie, mais c'était déjà ça. Une fois dans la voiture, j'enlevais ma capuche, puis je balançai mon sac à l'arrière.
― Eh jeune Jedi, sois plus douce avec ton sac. Comment peux-tu traiter celui qui contient tes seuls amis de la sorte ? s'indigna cet imbécile d'Adrian en parlant de mon sac à dos.
― Écoute grand maître Yoda, j'en n’ai strictement rien à faire de ces cahiers, soufflais-je.
Il me sourit avant de répliquer : « Jeune Jedi, mentir ne te réussit point. Tu aimes tes bouquins autant que maman aime ses réunions de familles. »
Adrian était mon grand frère âgé de vingt-et-un ans. Il mesurait un mètre septante-six et pesait septante-sept kilos. Il avait les cheveux bruns coiffés sur le côté et de beaux yeux noisette dissimulés derrière des lunettes de soleil.
Quelle idée de porter des lunettes de soleil par un temps pareil ?!
Il démarra la voiture et nous voilà partis. Pendant le trajet, il me raconta toutes ses mésaventures de la semaine. Avais-je déjà mentionné que mon frère était un vrai moulin à parole ? Ne vivant plus avec nous, il se sentait obligé de nous raconter sa vie dès qu’il en avait l’occasion.
― Sinon toi, c'est comment le lycée ? Les cours ? Les interros ? Les profs ? Est-ce que Madame Carter a toujours sa moustache ? me demanda-t-il, les yeux rivés sur la route.
― Tu sais que je n’aime pas quand tu poses beaucoup de questions, lui fis-je remarquer.
― Et toi, tu sais que je n’aime pas quand tu décides de ne pas y répondre, dit-il sur un ton innocent.
Je poussais un soupir d’exaspération avant de répondre : « Si tu veux tout savoir, le lycée c’est chiant comme d’habitude, les cours sont faciles comme d’habitude et les interros je les réussis comme d’habitude. En ce qui concerne les profs, ils sont bizarres, comme d’habitude. La moustache de madame Carter le prouve bien. »
― Toujours aussi désagréable à ce que je vois, dit-il d’un air jovial.
― Tu l’as cherché, lui répondis-je en lui faisant une grimace.
La discussion s’arrêta là et heureusement d’ailleurs. Je profitais de ce moment de silence pour enfin contempler le paysage. Très vite, je m'aperçus que nous n'étions plus qu'à quelques mètres de notre destination finale. Dès qu'Adrian gara la voiture dans l'allée, je descendis et me dirigeai vers l'entrée de la maison.
La pluie n'était plus aussi forte, je n'avais donc plus besoin de remettre ma capuche. Arrivée sur le patio, j'essuyais le bas de mes chaussures sur le paillasson, ouvrais la porte puis entrais. Une fois dans le hall d'entrée, je balançais mes bottes dans un coin de la pièce réservé aux chaussures. On pouvait dire que balancer mes affaires était une discipline dans laquelle j'excellais.
― Eden, c'est toi ?! cria une voix provenant de la cuisine.
― Oui !
― C'est pas trop tôt ! fit Lee qui sortait de la cuisine avant de se diriger vers moi.
Lee était la petite dernière. Elle venait d’avoir quatorze ans et faisait un mètre soixante-cinq, ce qui était beaucoup plus grand que mon mètre cinquante-cinq. Pour une adolescente de dix-sept ans, ce n'était pas très glorieux comme taille, mais bon, parfois Mère Nature laissait échapper quelques petites erreurs. Lee avait les cheveux bouclés. Ils étaient blonds à la racine et roses jusqu’aux pointes. Elle se les était fait teindre pour ses treize ans. C’était une petite fille adorable, mais qui pouvait se montrer autoritaire quand elle le voulait.
Lee enfila ses bottes, puis regarda à sa montre tout en tapotant frénétiquement son pied contre le plancher. Elle était pressée.
― Tu attends quelqu'un ? lui demandais-je.
― Oui, j'attends Adrian. On doit rejoindre maman à l'église et on est très en retard.
L’église. Une notion que j’avais bannie de mon vocabulaire depuis bientôt six ans. Aujourd’hui encore j’ignore ce qu'ils peuvent bien lui trouver à cette « église ». S'asseoir deux heures sur des bancs froids pour écouter des bêtises du genre : « Dieu vous aime, il est mort pour vos péchés ! » Très peu pour moi.
― Si tu cherches Adrian, il est dehors.
― Comment ça ? Il ne devait pas être à la salle de sport ?
― Lowen était bloqué au chantier des Tremblay avec Papa, donc j’ai dû recourir à Adrian.
― Il est arrivé en retard pas vrai ?
― Comme toujours.
― Bon, j’y vais alors.
Elle allait passer le bas de la porte, mais elle s’arrêta net. Elle me fixa droit dans les yeux avant de souffler un : « Ça te dirais de nous accompagner ? »
― Merci pour l’invitation, Lee, mais je ne changerai jamais d'avis, fis-je en croisant les bras sur ma poitrine. Poitrine qui soit dit en passant était quasi inexistante.
Elle semblait assez déçue par mes réponses, mais bon, comme je l'ai dit, ça faisait déjà six ans, ils devraient tous s'y être habitué.
― Mon petit doigt m’avait prévenue que tu dirais ça.
― Tu diras à ton petit doigt que son sixième sens est nickel.
― Je n’y manquerai pas ! Oh et en passant, dit-elle en tenant fermement la poignée de la porte, maman a dit qu'on aurait une réunion de famille ce soir à propos de ton anniversaire.
Je n'eus même pas le temps de dire quoi que ce soit qu'elle referma la porte. Deux minutes plus tard, j'entendis une voiture démarrer.
Ils étaient partis.
J’étais donc toute seule.
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