Lui - Vendredi 24 Octobre 2014
Bon, je crois que c'était bien un rendez-vous. Ça en aurait été un, s'il avait pu avoir lieu. Au lieu de ça, j'ai eu droit à une amandine un peu pompette en train de pleurer dans mes bras. Puis à une Amandine endormie sur mon canapé. Mais j'ai surtout eu droit à Amandine confirmant que ça aurait bien été un rendez-vous.
Au début de la journée, elle m'a demandé si je lui avais acheté du saucisson. J'en avais acheté. Le truc, c'est que j'ai réalisé que je ne pouvais pas lui dire. Je n'allais pas lui dire que je lui avais acheté du saucisson ; ça prouvait que je lui accordais trop d'attention. Surtout si elle demandait ça juste pour se donner une excuse d'annuler si je n'en avais pas. J'ai voulu lui donner la chance d'annuler. Alors je lui ai dit que je n'avais pas acheté de saucisson.
J'ai cru qu'elle allait répondre « Bah du coup je peux pas venir. Tant pis alors. J'apprendrais toute seule à faire des macarons. » Mais a la place elle a juste dit « Tant pis alors. Je m'en passerai. » Et je lui ai dit que si elle voulait on pourrait en acheter. Et ça m'a un peu rassuré sur le fait qu'elle voulait pas annuler. Mais pas totalement non plus, vu que quand même le manque de saucisson n'aurait pas été une excuse suffisante pour annuler autrement qu'en plaisanterie. Alors non, ce n'est pas à ce moment là qu'Amandine a confirmé que c'était bien un rendez-vous. Et acheter du saucisson, on n'y est pas allé. Pas plus que préparer des macarons.
Les gens du BAFA voulaient qu'on aille tous ensemble au bar d'à côté pour nos adieux. Sauf qu'ils sont pas logiques. Comme l'un d'eux pouvait pas demain soir, ils ont décidé de faire ça ce soir. Alors que ce n'est pas nos adieux vu qu'on se voit encore demain ! Et il paraît qu'ils ont prévu cette soirée Mercredi au goûter, quand je devais trop être occupé à parler avec Amandine pour qu'on les entende. Ils étaient tous au courant qu'on sortait, et nous on l'a appris qu'aujourd'hui. Du coup ce soir on est allé avec eux. Et ça m'a fait plaisir d'un côté, parce que maintenant je connais leurs prénoms et je les connais un peu et je les aime bien ; ils sont sympas. Je ne me sens pas toujours hyper à l'aise, mais ça va ; ça me fait plaisir de passer du temps avec eux. Sauf qu'entre passer la soirée avec eux ou tout seul avec Amandine, il n'y a pas photo quand même ! Ce n'est pas pour rien que j'ai dit à Amandine que je l'invitais juste elle.
Et je n'ai presque pas pu parler avec Amandine pendant cette soirée. J'ai été embarqué dans un tournois de parties de billard avec des gages à la clé si on perdait. Je n'avais jamais été aussi motivé à gagner. Je ne savais pas que j'étais capable d'être si doué au billard. Mais du coup, comme je ne perdais pas, je restais dans le jeu parties après parties. Au bout de trois échecs, on était disqualifié. Et le temps que j'échoue trois fois, il était déjà vingt-et-une heures. Mais au moins j'ai eu de la chance, je suis tombé sur des gages sympa. Par contre j'ai été bête : au final tout le monde a eu trois gages à la fin de la soirée. Tout le monde sauf les deux finalistes, qui sont les seuls à n'avoir jamais été disqualifiés. Vu le fonctionnement du tournois, j'aurais pu capter ça dès le début et me faire éliminer le plus vite possible, vu que ça revenait au même niveau gages.
Mon premier gage, c'était de boire un cocktail qu'ils m'avaient préparé en mélangeant un peu du verre de chacun. Mon deuxième, c'était de faire deviner des mots en mimant. Et mon troisième, c'était de ne pas parler à Amandine pendant une heure. Amandine, elle est nulle au billard. Elle a perdu ses trois premières parties. Son premier gage, c'était de ne rien grignoter pendant deux heures. Le deuxième, c'était de partir se changer aux toilettes et de passer le reste de la soirée avec ses vêtements à l'envers, coutures visibles. Le troisième, c'était de ne poser aucune question à personne jusqu'à la fin de la soirée.
Puis quand mon heure sans Amandine s'est terminée, je suis allé la voir. Elle était en train de manger du saucisson. Je lui ai fait remarquer qu'on n'avait pas le droit de manger notre propre nourriture dans le bar, parce que c'était vrai. Amandine, elle se permet tellement de choses que je ne me permettrais jamais. Puis je lui ai demandé pourquoi elle m'avait réclamé du saucisson chez moi, vu qu'elle avait le sien sur elle. Ce n'était pas une vraie question. J'ai cru qu'elle allait me répondre qu'elle comptait avoir mangé celui là d'ici-là, ou un truc comme ça. Je ne pensais pas qu'elle allait me donner une vraie réponse.
Mais là Amandine elle a dit « Je voulais te demander si on avait bien rendez-vous. J'étais pas sûre. Peut-être que tu m'avais invitée pour plaisanter. Et j'osais pas trop demander. Alors ça m'a semblé un bon moyen de confirmer sans demander directement. » Quand Amandine elle a dit ça, je ne sais pas trop ce qu'il s'est passé en moi mais je crois que j'avais pas été aussi heureux depuis mes cinq ans quand j'ai déballé l'hélicoptère télécommandé que le Père-Noël m'avait apporté. Elle avait dit que c'était un rendez-vous ! Et qu'elle osait pas demander ! J'avais même pas eu à lui poser la question ; elle avait répondu toute seule. Elle s'était posée la même. Puis quand je lui ai demandé de confirmer ce qu'elle venait dire, j'ai pas compris Amandine elle s'est mise à pleurer.
On était heureux. Je m'étais rarement senti aussi heureux qu'à cet instant précis. Comme si tous les doutes et les questions s'étaient envolés. Comme si dans le regard gêné d'Amandine je trouvais toutes les réponses que j'avais besoin de trouver. Sauf que les yeux d'Amandine se sont d'un coup de nouveau chargés de questions. Parce que les yeux d'Amandine se sont d'un coup chargés de larmes. Et j'avais aucune idée de comment réagir. Puis Amandine elle s'est mise à parler. Sauf que c'était pas trop compréhensible. Mais je crois que j'ai compris quand même. Elle disait que si on avait été le genre de personnes pour qui tout ça est facile, elle m'aurait demandé de la prendre dans ses bras. Je crois que c'est ce qu'elle a dit. C'est ce que j'ai compris.
Mais j'ai pas totalement compris. Parce que moi j'avais jamais réalisé. Moi j'avais toujours cru que pour Amandine tout ça c'est facile. J'aurais pas cru qu'elle était comme moi. Je pensais pas qu'elle pouvait douter autant que ça. Je pensais pas qu'elle pouvait douter du fait que je suis complètement fou d'elle. Je pensais pas que même là, après les regards, les mots et les sourires qui avaient précédés les larmes, il y ait eu des larmes. Je ne comprenais pas qu'après ça elle ait toujours des doutes. Peut-être qu'en fait Amandine elle doutait même plus que moi.
Sauf que moi aussi je suis nul. J'aurais pu dire quelque chose, faire quelque chose. La rassurer. J'aurais pu essayer de rendre ça plus facile comme ça. Mais au lieu de ça j'ai buggé. Je comprenais rien. J'ai juste dit « Euh... Ok. » Et j'ai essayé de sécher ses larmes. Et je l'ai prise dans mes bras, parce que ça avait l'air d'être ce qu'elle voulait et qu'après tout je n'allais pas laisser passer cette occasion d'avoir Amandine dans mes bras. Et je crois qu'avec Amandine dans mes bras, j'aurais pu avoir l'impression que tout était enfin à sa place, la sensation la plus agréable du monde. Sauf que je sentais ses larmes sur mon épaule. Et je ne savais pas quoi faire. Mais au bout d'un moment il n'y avait plus de larmes. Elle est quand même restée dans mes bras, sans rien dire. Et on était biens. Je crois. En tout cas moi j'étais bien. Mais au bout d'un moment quand même c'est devenu gênant.
Je me suis senti obligé de briser le silence. Alors je lui ai demandé la première chose qui m'est passé par la tête. Je lui ai demandé comment elle comptait rentrer chez elle. C'est tout ce que j'avais en tête ; je ne voulais pas qu'elle parte, je voulais qu'elle reste avec moi. Et en fait, ça a été le cas. Parce que chez Amandine c'était trop loin pour qu'elle puisse rentrer dans cet état. Alors elle est venue chez moi. En arrivant elle s'est assise dans le canapé. Je suis parti dans la cuisine chercher le saucisson pour lui en proposer, mais quand je suis revenu elle s'était endormie. Alors je l'ai laissée dormir. Et je suis parti me coucher.
Je n'ai pas réussi à m'endormir. Je n'ai pas dormi de la nuit. Je ne pouvais pas m'arrêter de penser à Amandine. Surtout qu'elle m'avait dit que si je l'invitais à dormir chez moi, je prenais le risque qu'elle vienne en pleine nuit se glisser entre mes bras. Et bon sang j'aurais vraiment voulu que ce risque soit un vrai risque ! Et toute la nuit j'ai attendu qu'elle vienne. Mais elle n'est pas venue. Peut-être qu'elle a dormi comme une souche. Peut-être qu'en se réveillant elle ne voulait plus venir se glisser dans mes bras. Moi, j'aurais vraiment bien dormi, si j'avais eu Amandine dans mes bras. A la place de ça, j'ai passé la nuit à me tourner et me retourner dans mon lit. Je le savais bien au fond ; qu'Amandine elle ne viendrait pas. Mais je ne pouvais pas m'empêcher d'espérer. Et je ne pouvais pas m'endormir.
Je crois qu'Amandine et moi, on est un genre de version bilatérale du paradoxe d'Achille et la Tortue. Quel est la limite de l'infiniment petit dans le domaine des doutes et des insécurités ? J'aurais voulu qu'Amandine et moi on se rejoigne à mi-chemin. C'est un peu ce qu'on a essayé de faire. A chaque fois l'un de nous fait la moitié de la distance qui nous sépare. Et si l'autre faisait l'autre moitié de la distance qui nous séparait, on serait réunis. Mais à la place, l'autre fait seulement la moitié de la distance restante. Et la moitié à franchir devient chaque fois plus petite. Mais il reste toujours quelque chose. Quand est-ce qu'il n'y aura plus du tout de chemin à franchir ? Est-ce qu'il y aura toujours la moitié de la moitié de la moitié.... de la moitié de la moitié d'un bout ? Puis Amandine et moi, on n'a pas l'infini devant nous : juste demain.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top